Que se passe-t-il dans les élections professionnelles quand on change les règles du jeu ? Chercheur associé au Cerlis, Laurent Frajerman a travaillé sur les précédentes élections professionnelles de l’éducation nationale. Alors que s’ouvrent de nouvelles élections le 1er décembre, marquées par un changement important des règles électorales dans le second degré, il revient sur les effets de ces modifications et sur les enjeux d’une élection professionnelle alors que le gouvernement a réduit la place des syndicats dans les commissions paritaires. « Par leur vote en faveur de telle ou telle organisation, les enseignants peuvent aussi soutenir des propositions précises, arbitrer entre une logique de négociation ou de mobilisation, choisir un syndicat majoritaire ou non. Bref, voter leur est toujours utile. »
Les élections professionnelles de cette année utilisent un nouveau mode électoral. On vote par degré et non plus par corps. Quel impact cela peut-il avoir sur l’avenir des syndicats, notamment des petits ?
Historiquement, le syndicalisme enseignant s’est constitué à partir des corps. Au milieu du 20ème siècle, on a favorisé un échelon plus large, par degré d’enseignement : par exemple, le Snes Fsu représente tous les personnels du 2d degré (hors enseignement professionnel) qu’ils soient agrégés, CPE ou surveillants. Mais les instances paritaires fonctionnaient toujours dans une logique de corps. Un syndicalisme minoritaire (Sgen-Cfdt, puis Syndicat des Enseignants Unsa) revendiquait non seulement de dépasser ce niveau, mais de créer un corps unique d’enseignant de la maternelle au lycée.
Le mode de scrutin par degré représente une nouveauté pour les enseignants du 2d degré (pas pour ceux du 1er degré, pour lesquels, c’était le cas depuis longtemps). Ce changement rend invisibles les syndicats représentant des corps enseignants périphériques (psyEN, professeurs de lycée professionnel, etc). On ne saura plus combien ils apportent de voix à leur fédération, dont dépend leur survie. Ce phénomène aura inévitablement un impact, mais il ne sera pas perçu tout de suite par les enseignants.
On peut supposer qu’il conduise à une recomposition syndicale de basse intensité. La logique institutionnelle pousse en ce sens. Les décisions se prennent de plus en plus au niveau du rectorat et du ministère. Or, il y a toujours eu une homologie entre la structure syndicale et celle de l’administration. En face de l’interlocuteur administratif, il faut un interlocuteur syndical.
Quels effets cela peut avoir pour les petits syndicats ?
Certains syndicats subsistent parce qu’ils incarnent une spécificité professionnelle. De l’extérieur, on peut estimer qu’il y a plus de différence entre un CPE et un professeur de mathématiques syndiqués au SNES – FSU qu’entre ce professeur de maths et son collègue d’EPS membre du SNEP-FSU. Toutefois, dans le questionnaire scientifique Militens, 75 % des professeurs d’EPS déclarent préférer un syndicat spécifique à l’EPS (en l’espèce le SNEP), 15% un syndicat qui regroupe toutes les disciplines du second degré et 10% une structure commune à tous les enseignants du premier et du second degré. Cette dimension métier est primordiale dans le syndicalisme enseignant, elle devrait préserver les organisations dont les mandants souhaitent se distinguer des certifiés « classiques ».
Pourquoi ce changement de mode électoral qui semble jouer contre l’administration ?
Les politiques éducatives souffrent souvent d’une concrétisation hasardeuse et de contradictions entre leurs objectifs. Ainsi, l’État veut limiter le nombre d’instances pour des raisons de rationalisation budgétaire, mais dans l’éducation nationale, on voit qu’il y en a encore 600 ! Les petits syndicats des personnels administratifs conservent leurs multiples instances. Les AESH, de plus en plus nombreuses, sont gérées par des instances inter degrés, avec de multiples dissonances sur le terrain.
On risque d’avoir une autre hiatus entre la fusion des corps enseignants du 2d degré dans un même collège électoral et la réforme de la voie professionnelle qui diminue le temps d’enseignement classique. Le métier des PLP s’éloignerait alors de celui des professeurs de l’enseignement général et technologique.
Globalement, ce changement de mode électoral va-t-il pacifier ou augmenter le nombre de conflits ?
Les élections professionnelles ne sont qu’un aspect des relations du travail. Ce ne sont pas les élus du personnel qui négocient avec le ministre, mais les dirigeants des syndicats. Même sans élus, les syndicats existeraient toujours, parce qu’ils ont une base. On l’a vu avec JM Blanquer qui a été applaudi pour sa tactique du bulldozer, son intransigeance. Mais finalement, il est tombé dans le fossé suite à une grève lancée par les syndicats. Ceux-ci ne peuvent pas être contournés durablement. Sans un dialogue avec eux, le ministère dysfonctionne, comme l’a démontrée la période du confinement.
Le vote électronique a impacté négativement la participation électorale. Cette nouvelle réforme peut-elle à nouveau avoir un impact sur la participation ?
Je ne pense pas. La participation ne devrait pas augmenter, car les enseignants se heurteront aux mêmes obstacles d’un système particulièrement lourd. Ils n’ont pas d’ordinateur au travail. Leurs messageries professionnelles se font concurrence (entre celle du ministère et celles des collectivités locales, voire des ENT). Le taux de participation va surtout dépendre de la capacité de mobilisation des syndicats.
Cela aura un effet sur la taille des appareils syndicaux ?
L’effet a déjà eu lieu. Le gouvernement a fait baisser la charge de travail des commissaires paritaires et en a réduit le nombre. Les décharges syndicales ne vont pas baisser davantage que sous JM Blanquer.
Que reste-t-il comme pouvoir aux syndicats ? Pourquoi aller voter ?
D’abord, ils peuvent voter pour revendiquer que leurs syndicats en aient davantage… Par exemple, les enseignants regrettent la disparition des prérogatives syndicales dans les procédures de carrière avec la loi de transformation de la fonction publique. Si la participation est faible, cela justifierait la volonté de la haute administration de ne pas écouter les élus du personnel, créant un cercle vicieux.
Ensuite, voter est aussi une façon de s’exprimer, de poser un acte. On connaît le mécontentement sur les salaires, l’attitude du pouvoir, il serait paradoxal qu’il ne s’exprime pas dans les urnes.
Enfin, voter est une façon de s’exprimer sur les enjeux syndicaux. Depuis 4 ans, les syndicats ont démontré leur capacité de mobiliser et d’être en lien avec la profession. Lors de l’émergence des stylos rouges, beaucoup de commentateurs s’interrogeaient sur la pérennité des syndicats. Bien qu’il n’y ait plus de monopole syndical aux élections professionnelles, les stylos rouges ne présentent pas de candidats. Personne ne conteste vraiment la place des syndicats dans les relations professionnelles, même si ce mouvement des stylos rouges a démontré que les enseignants peuvent tester d’autres outils d’expression et de contestation. Les syndicats sont donc placés dans une situation contrastée. Ils rencontrent des défis comme la socialisation des nouveaux enseignants qui souvent ont déjà effectué une carrière hors éducation nationale ou la montée de la précarité. Par leur vote en faveur de telle ou telle organisation, les enseignants peuvent aussi soutenir des propositions précises, arbitrer entre une logique de négociation ou de mobilisation, choisir un syndicat majoritaire ou non. Bref, voter leur est toujours utile.
Propos recueillis par François Jarraud