Peut-on changer l’Ecole en changeant ses enseignements ? C’est tout le pari du CICUR, un mouvement créé en 2020. Le 16 novembre, il organise un « séminaire filé » consacré aux politiques curriculaires. C’est l’occasion de revenir sur l’approche du CICUR et de confronter ses thèses à des réformes réalisées en France et à l’étranger. Patrick Rayou, Aziz Jellab, Jean-Pierre Véran, Régis Malet animent le débat.
Rompre avec l’imaginaire de l’Ecole
« Notre démarche est une démarche de rupture ». Jean-Pierre Véran reprend aussi la formule présidentielle de « révolution copernicienne » pour l’Ecole. Cette démarche a vocation à répondre à la crise de confiance de la société dans son l’Ecole qui a rompu « le contrat démocratique ». Le Cicur, selon Patrick Rayou, veut mettre en débat « l’impensé profond sur la finalité de l’Ecole », la pertinence des savoirs scolaires, la définition d’une culture scolaire commune et la politique éducative à travers une politique curriculaire.
L’origine de cette démarche vient de la crise des récits justificatifs de l’Ecole, explique Régis Malet. « Notre école est marquée par plusieurs récits successifs », dit-il. Au récit nationaliste a succédé l’utopie de l’école universelle incarnée par l’Unesco. Puis le modèle de l’école des compétences, d’inspiration libérale, portée par l’OCDE est arrivé. « On est à un carrefour dans un processus d’hybridation » estime-t-il, et cela crée « le trouble curriculaire ».
Jean-Pierre Véran appelle à rompre avec l’école libérale, celle des allants de soi et aussi à rompre avec un « imaginaire collectif » sur l’Ecole. « Il faut rompre avec la politique actuelle des savoirs, en finir avec les savoirs scolaires. Il faut fonder une politique démocratique des savoirs » avec un curriculum élaboré avec les citoyens et annexé à la constitution. Dans cette table rase, JP Véran inscrit aussi l’organisation de l’Ecole. Le CICUR veut donner aux établissements les moyens de mettre en œuvre le curriculum aménagé localement, en débat avec les parents.
Des idées que l’on retrouve dans des réformes
À l’appui de ses thèses, le CICUR veut s’appuyer sur des exemples. Arduino Salatin (université de Venise) a conseillé la récente (2017) réforme des instituts professionnels (équivalents des lycées professionnels français). La réforme veut répondre à la baisse du nombre d’élèves et lieux répondre à la demande économique. Pour cela, la réforme augmente les heures réservées à la formation professionnelle (en coopération avec les entreprises), elle augmente les heures d’atelier. Un référentiel d’établissement est mis en place en lien avec les entreprises locales. On retrouve dans cette réforme bien des points qui rappellent la réforme envisagée pour la voie professionnelle. Les Italiens ayant 5 ans d’avance peuvent annoncer quelques résultats. Le déclin de la voie professionnelle n’a pas été enrayé. L’alliance avec les entreprises locale fonctionne. Mais A Salatin déplore « le manque d’écoute et d’engagement » des professeurs et des chefs d’établissement dans la réforme. Même si les enseignants sont devenus plus sensibles à la prise en charge éducative des élèves et aux soft skills. La mise en place de curriculums locaux pose problème pour l’évaluation à travers des diplomes nationaux (problème aperçu aussi dans la réforme française).
Bernard Delvaux évoque le Pacte d’excellence de la Belgique francophone. Là aussi, l’accent est mis sur l’autonomie des établissements, un tronc commun prolongé, un effort sur le bien-être à l’école. L’école belge a réécrit son curriculum en définissant un tronc commun comprenant 5 domaines avec une forte volonté de décloisonner : français, arts et culture, langues, maths, sciences, sciences humaines, philosophie, et EPS et santé. S’il est trop tôt pour un bilan, B Delvaux remarque que sous les nouvelles appellations les anciennes disciplines sont toujours là. La réforme a échoué à définir ses finalités et a fait l’économie d’un débat citoyen.
Rupture et inégalités
Inspecteur général et chercheur, Aziz Jellab peut évoquer le cas français. Il interroge les savoirs scolaires : sont-ils en dialogue avec la vie des élèves ? Permettent ils de mieux comprendre le monde ? Il souligne la difficulté à faire évoluer les pratiques pédagogiques. Pour lui, « il faut repenser les programmes en entrant par ce qui relève des questions socialement vives : l’écologie, le numérique, l’égalité des chances et des possibles ». Cela implique de revoir la répartition des enseignants entre les disciplines et le dialogue entre elles. « Les enseignants du collège pourraient être ouverts à la bi-disciplinarité ».
On le voit, les positions du CICUR interpellent le métier enseignant et l’institution scolaire. Elles posent la question des inégalités : en renforçant l’autonomie et les parcours personnels des élèves, le risque de les augmenter est réel. Le séminaire montre aussi, plus qu’une rupture, une continuité entre les idées émises, celles de la technostructure éducative et les réformes en cours.
François Jarraud