Et si l’auteure d’un des plus beaux romans de la rentrée littéraire 2013, Laura Kasischke, avait aussi le pouvoir d’élargir nos horizons pédagogiques ? Et si un aventurier de l’édition et de l’écriture, François Bon, parvenait à modifier en profondeur les modes d’appréhension et d’apprentissage scolaires de la littérature ? Et si l’institution, pour se refonder vraiment, pour retrouver le sens de l’humanisme, pour faire de l’élève un créateur plus qu’un copiste, ouvrait enfin la porte à leurs propositions et valeurs ?
Evénement à suivre dans la durée : François Bon, auteur, éditeur, explorateur de l’humanisme numérique, enseignant d’écriture créative à l’École nationale supérieure d’arts Paris-Cergy et à Sciences-Po Paris, a entamé la reprise en ligne de son ouvrage fondateur « Tous les mots sont adultes », originellement paru en 2000. « Méthode pour l’atelier d’écriture », l’ouvrage explorait des propositions créatives diverses dans le compagnonnage de Pérec, Kafka, Juliet, Novarina, Michaux, Koltès ... : « Cette reprise, explique François Bon, tiendra compte de mon évolution depuis lors, intègrera de nombreux compléments et nouveaux exercices, ainsi que des recommandations pour l’usage avec des publics différents (FLE, collèges, public en grande difficulté sociale etc.). Je la conçois comme un vrai livre, et souhaite qu’elle puisse constituer une ressource active pour les enseignants ou animateurs en charge d’ateliers d’écriture. »
Publié au fur et à mesure de son avancée sur le site « le Tiers Livre », ce « work in progress » du « creative writing » à la française sera enrichi de textes complémentaires (autour de l’écriture web ou des approches américaines), de textes théoriques, d’études sur des auteurs, de séances-exemples… D’ores et déjà, François Bon y propose « trois exercices d’accumulation » pour « écrire avec Valère Novarina », aide à « conquérir l’intensité d’Artaud », livre quelques suggestions pour effleurer l’écriture théâtrale, invite à entrer avec Koltès dans « la fabrique du monologue » et la « fabrique du personnage ». A titre d’exemple, pour saisir combien il n’est pas de plus éclairante école de la littérature que celle qui invite à entrer dans sa fabrique, voici ce qu’écrit François Bon pour introduire son atelier Koltès : « Je considère que ces deux exercices sont un point de passage obligé dans les cycles que je mène, le premier parce qu’il propose une piste formelle d’une incroyable efficacité pour aborder le monologue (une seule phrase qui ne finit pas, et temps référentiel nul dont on retraverse le temps origine à chaque stabilisation d’une figure narrative), le second parce qu’il permet une approche à la fois abstraite et distanciée du personnage, en trois marches d’écriture, qui permet de s’ancrer sur une sensation ou une relation réelle mais la produire d’emblée comme fiction susceptible de porter bien plus que l’exercice. »
On peut, parallèlement, savourer en vidéo la rencontre, cet été à La Baule, entre François Bon et des auteures américaines qui enseignent l’écriture créative, notamment Laura Kasischke. Les expériences ici partagées témoignent du retard de développement pris par la France en matière d’ateliers d’écriture. Il est vrai que ceux-ci sapent le fonctionnement même d’un enseignement qui le plus souvent ne fait écrire les élèves que pour pouvoir les noter. Pour que la littérature retrouve en acte son pouvoir d’arrachement, sa capacité à faire parler les morts et faire écrire les vivants, puissent tous les enseignants, de l’école à l’université, assimiler la leçon, pourtant si simple, de celle qui vient de publier le déchirant roman « Esprit d’hiver » : « La littérature, ça se lit et ça s’écrit. »
La question de l’atelier d’écriture dépasse en réalité le champ disciplinaire pour interroger l’institution dans son ensemble, toujours plus ou moins figée sur ses traditions pyramidales. François Bon ainsi interpelle : « Pourquoi l’université s’en tient à ses apprentissages passifs, aussi dépassée en ce domaine qu’elle l’est pour la question du numérique (je parle des facs de lettres). Idem pour la catastrophe qu’est devenue la formation des enseignants du secondaire après 5 ans de sarkozysme, loin d’être réparés, alors que là aussi il y aurait tant à faire pour travailler ensemble, mutualiser les expériences, faire circuler les ressources, outils et analyses. »
Question (naïve ?) : parmi les ESPE qui se sont ouverts en cette rentrée 2013, combien ont mis en place des dispositifs de formation à l’écriture créative ?
Jean-Michel Le Baut
« Tous les mots sont adultes » en ligne :
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3547
Rencontre de La Baule : http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3632
Un atelier d’écriture de Laura Kasischke :
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3575
François Bon dans Le Café pédagogique :