Le gouvernement juge-t-il utile d’avoir une structure capable d’évaluer ses politiques ? On pouvait en douter après la suppression du Cnesco avec la loi Blanquer. Une nouvelle étape s’ouvre depuis l’envoi le 25 septembre au soir, d’un mail de la cheffe de l’inspection générale, que le Café pédagogique s’est procuré. Caroline Pascal annonce la suppression de l’Inspection générale en 2023. Le ministère de l’éducation nationale se prive d’un corps d’experts qui était capable de signaler les erreurs et les dysfonctionnement et de conseiller le ministre. Venue de l’Elysée, cette mesure reflète une nouvelle conception de la gestion de l’État par un pouvoir exécutif dont l’autorité doit s’exercer sans limite. Prévue pour 2023, cette réforme fait partie du nouvel État qu’Emmanuel Macron va proposer aux Français lors de l’élection présidentielle.
Le mail de Caroline Pascal
« Comme prévu, je reviens vers vous après la réunion interministérielle qui s’est tenue lundi 20 au sujet de la fonctionnalisation des inspections générales », écrit aux inspecteurs généraux, le 25 septembre, à 19h36, la cheffe de service de l’Inspection générale, Caroline Pascal. « Le périmètre dépasse finalement les trois IG interministérielles et concerne bien toutes les inspections générales qui sont à la fois corps et service, et donc la nôtre. La mise en extinction du corps de l’IGESR se ferait à partir du 1er janvier 2023 avec l’ouverture d’un droit d’option qui offrirait le choix de rester dans son corps d’origine ou d’intégrer celui des administrateurs de l’État ». Elle ajoute : « Vous savez que vous pouvez compter sur mon engagement total pour faire de cette nouvelle réforme une opportunité pour chacun d’entre vous et un atout pour les missions qui sont les nôtres ».
Une réforme lancée par l’Élysée
La réforme annoncée par C. Pascal fait partie des points du programme d’E. Macron qui n’ont pas été mis en application depuis 2017. La décision ne concerne pas que l’Éducation nationale mais l’ensemble des inspections générales des ministère. Toutes devraient disparaitre en 2023, à condition qu’E. Macron soit reconduit dans ses fonctions. Il s’agit donc d’un point du futur programme que le candidat président devrait présenter aux Français.
Les inspecteurs généraux de l’Éducation nationale savent que leur service doit être supprimé depuis deux semaines. Lors de leur réunion de rentrée, le 6 septembre, JM Blanquer leur a présenté cette disparition comme une « opportunité » pour chacun d’entre eux. Ce que C Pascal a confirmé en disant qu’elle « réfléchit aux parcours des uns et des autres », qui vont donc être reçus par elle pour leur proposer un point de chute.
A quoi sert l’Inspection générale ?
L’Inspection générale vient pourtant d’être réformée. En mars 2021, un décret créait l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche en unifiant sur le champ les inspecteurs généraux de l’éducation, de la jeunesse, du sport et des bibliothèques. Au terme de cette réforme les 80 inspecteurs généraux de l’éducation nationale (IGEN) se trouvaient noyés dans les 280 inspecteurs du nouveau service, l’IGESR.
L’Inspection générale de l’éducation nationale a plusieurs rôles. C’est d’abord un organe de contrôle et de conseil. Les inspecteurs généraux (IG) contrôlent et réalisent des rapports sur les sujets souhaités par le cabinet du ministre selon un programme annuel conçu avec la cheffe de service. On sait que JM Blanquer a battu les records de censure de ces rapports, la plupart ne sortant pas des placards du cabinet. Ainsi, En 2019 seulement 8% des rapports ont été rendus publics.
Mais même non publiés, les rapports rendent compte des résultats des politiques mises en place et éclairent les décisions envisagées. Le corps des inspecteurs généraux réunit des experts qui connaissent les dossiers, autrement qu’un ministre de passage et son cabinet, et sont capables d’apporter un conseil précieux car indépendant. Ils participent ainsi d’une certaine continuité de l’État au delà des échéances électorales.
Les IG ont aussi un rôle dans les territoires où ils animent, chacun sur une zone, des réunions d’inspecteurs pour les aider dans la mise en place des politiques ministérielles. Ce rôle est aussi important parce qu’ ils peuvent « parler vrai » aux inspecteurs et réorienter leurs pratiques.
Des missions attribuées à des personnels sous contrôle
La réforme qui est annoncée pour 2023 ne va pas supprimer ces missions. Elle va supprimer ceux qui en sont chargés. A la place des inspecteurs généraux, experts reconnus par leurs pairs, ayant une certaine indépendance parce qu’inamovibles, le ministre fera appel à des personnels détachés venus de n’importe quelle administration pour une durée plus ou moins longue. On peut craindre que ces chargés de mission, installés sur un siège éjectable et reconnus par personne d’autre que le ministre, aient beaucoup moins de liberté pour penser et juger les politiques gouvernementales. On peut penser aussi que la continuité des politiques menées par l’État soit beaucoup moins bien assurée et que l’intérêt politicien passe avant l’intérêt de l’État.
Une conception autoritaire de l’État
Cette décision renvoie à une conception du fonctionnement de l’État tout à fait nouvelle. Dans cette optique, à chaque alternance politique le haut personnel administratif sera totalement renouvelé à l’image du « spoils system » américain. On ne voit pas dans ces conditions comment pourrait être assurée la continuité de l’État, un principe jusque là fondateur de la démocratie.
Mais cela renvoie aussi à une nouvelle conception du pouvoir. On l’a vue à l’œuvre avec la suppression du Cnesco, inscrite dans la loi Blanquer en 2019. Cet organe d’évaluation de l’École indépendant n’avait plus sa place dans le ministère de l’Éducation nationale dirigé par JM Blanquer. Dans cette conception qui est commune à E Macron et JM Blanquer, l’autorité du gouvernement doit s’exercer sans autre limite que la durée de son mandat. Tout organe indépendant capable de l’entraver doit être éliminé.
C’est un autre État qui se prépare. L’idée même d’avoir des contre-pouvoirs capables de limiter l’autorité issue des urnes est rejetée. Cela va avec la suppression des corps intermédiaires qui a été menée depuis 2017. Dans l’Éducation nationale par exemple cela s’est traduit par la suppression du paritarisme et des organes de contrôle : CHSCT, Observatoire de la sécurité des établissements etc. La suppression des inspections générales annonce ce nouvel État où l’autorité de l’exécutif ne connait plus aucune limite.
Quoi que l’on pense du corps des inspecteurs généraux, ils sont porteurs d’une conception de l’État qui remonte aux Pères de la République. Ceux-ci ont construit une démocratie reposant sur la multiplication des contre-pouvoirs exercés par des corps intermédiaires. Ce n’est pas se payer de mots que de dire qu’avec cette décision, c’est cette conception de la démocratie qui est en train de disparaitre.
François Jarraud