Quelques mois après un rapport de la Cour de Comptes très critique sur l’EMC, une Mission d’information du Sénat, pilotée par Stéphane Piednoir (LR) et Henri Cabanel (RDSE), demande elle aussi un recadrage de l’EMC. Trop de débats, pas assez de connaissances, l’EMC est soupçonnée d’être pour quelque chose dans la désaffection des jeunes envers la politique. Les remèdes sont rédigés à la plume Sergent Major. L’EMC doit transmettre des connaissances, particulièrement sur les institutions, mais en évitant les critiques sur les élus, et préparer les jeunes à leur participation aux cérémonies officielles.
Redéfinir l’EMC
"Il faut recentrer l’EMC sur ce qu’elle était au départ, sur le fonctionnement des institutions avec des documents plus valorisants pour ceux qui pratiquent la démocratie au quotidien". La formule de Stéphane Piednoir, président de la Mission d’information du Sénat "Comment redynamiser la culture citoyenne", résume la partie Education nationale d’un rapport qui comporte aussi des recommandations électorales.
Partant du constat de l’abstention des jeunes aux élections, les sénateurs ont vite fait de considérer que "dans notre pays on a du mal à trouver quelque référence qu’on partage tous" (S Piednoir). Leur rapport produit une dizaine de recommandations concernant l’Education nationale et principalement l’EMC.
Recentrer sur la connaissance des institutions
La Mission invite à "redéfinir les contenus de l’enseignement moral et civique (EMC) autour de priorités claires". Elle demande la réécriture de l’article L312-15 du Code de l’Education. Il est vrai que les parlementaires n’ont pas hésité à ajouter au fil des temps au contenu de l’EMC. Selon l’article, " l’enseignement moral et civique vise notamment à amener les élèves à devenir des citoyens responsables et libres, à se forger un sens critique et à adopter un comportement réfléchi, y compris dans leur usage de l’internet et des services de communication au public en ligne. Cet enseignement comporte, à tous les stades de la scolarité, une formation aux valeurs de la République, à la connaissance et au respect des droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international et à la compréhension des situations concrètes qui y portent atteinte. Dans ce cadre est donnée une information sur le rôle des organisations non gouvernementales oeuvrant pour la protection de l’enfant… L’enseignement moral et civique comporte également, à l’école primaire et au collège, une formation consacrée à la connaissance et au respect des problèmes des personnes en situation de handicap dans une société inclusive… L’enseignement moral et civique sensibilise également les élèves de collège et de lycée à la vie associative et au service civique prévu au titre Ier bis du livre Ier du code du service national…Dans le cadre de l’enseignement moral et civique, les élèves sont formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible et d’acquérir un comportement responsable dans l’utilisation des outils interactifs lors de leur usage des services de communication au public en ligne… Dans le cadre de l’enseignement moral et civique, les collégiens et les lycéens sont incités à participer à un projet citoyen au sein d’une association d’intérêt général. L’enseignement moral et civique sensibilise également, à l’école primaire, au collège et au lycée, les élèves au respect des animaux de compagnie. Il présente les animaux de compagnie comme sensibles et contribue à prévenir tout acte de maltraitance animale".
Pour les sénateurs, l’EMC doit avant tout faire connaitre les institutions de la Républqiue et leur fonctionnement. La Mission estime qu’une "reprise en mains" est nécessaire. Il faut " redéfinir les fondements législatifs de l’EMC à partir de priorités claires : renforcer la connaissance des institutions démocratiques ainsi que des principes de la République, et donner à nos jeunes concitoyens les outils pour comprendre les grands enjeux (internationaux, sociétaux et environnementaux) du monde contemporain ; assurer la stabilité de ce socle juridique dans la durée".
Changer la pédagogie
Mais pour la Mission il faut aussi changer la pédagogie. D’abord abandonner les cycles pour des programmes annuels et "créer des outils pédagogiques clairs et objectifs". Pour S Piednoir, "les manuels ont un examen de conscience à faire pour mettre à disposition des outils qui ne soient pas de manière systématique dans le pessimisme et la critique systématique du système". Les sénateurs opposent connaissances et débat. "Il faut d’abord avoir des connaissances… Il faut recentrer l’EMC sur ce qu’elle était au départ, sur le fonctionnement des institutions". Ils ne perçoivent pas que le débat suppose des connaissances et sont le moyen de les acquérir.
Cela ne les empêche pas de considérer qu’ils sont de meilleurs transmetteurs que les enseignants. Ils veulent aussi "généraliser les rencontres entre élèves et élus". Un autre moyen pour redynamiser la culture citoyenne c’est de faire participer les élèves aux cérémonies mémorielles par exemple en les mettant en dehors des jours fériés.
Concernant la modernisation du processus électoral ils recommandent de dématérialiser l’envoi de la propagande électorale, de la faire passer sur les réseaux sociaux et d’expérimenter le vote électronique.
Vers un retour à l’instruction civique
Ce rapport est publié peu de temps après la publication d’un rapport de la Cour des Comptes qui pointait lui aussi la faible connaissance des institutions par les élèves. La Cour demandait de revoir les programmes et de renforcer l’évaluation, ce que le rapport sénatorial recommande aussi.
Mais ce retour vers le passé de l’instruction civique est en marche depuis plus longtemps. En 2015 la réforme de l’EMC avait invité à changer la pédagogie en rédigeant les programmes par cycles et en préconisant des pédagogies nouvelles. On passait en fonction de l’âge des élèves des débats simples, argumentés au contradictoire. Cinq autres techniques faisaient leur entrée : la discussion à visée philosophique, la clarification des valeurs, les dilemmes moraux, les messages clairs et les conseils d’élèves.
Le premier quinquennat d’E Macron s’est traduit par une réécriture des programmes d’EMC en 2018. "On est passé d’une culture morale et civique à une culture civique tout court", nous dit Kéren Desmery, autrice d’une thèse sur l’EMC. Les programmes sont retaillés dans une dimension rigide et patriotique : on y parle du drapeau, de l’hymne et surtout du respect comme un dû.
En janvier 2022, S Ayada, encore présidente du Conseil supérieure des programmes, disait devant le Sénat : "Je crois qu’il est urgent de revenir à une instruction civique classique où on n’est pas en lutte contre tous les maux de la société". Visiblement l’offensive continue pour gommer toute l’évolution de l’EMC et revenir à l’instruction civique d’antan. Ce rapport du Sénat est une petite pierre de plus sur ce chemin.
François Jarraud
Le rapport de la Cour des Comptes
Kéren Desmery : le difficile parcours de l’EMC
Le retour de l’instruction civique