Une web radio au lycée
« JD-radio, JD-radio […] Pourquoi ce blocage ? C’est tout simplement pour dénoncer les 23.000 lycéens la semaine dernière. Choisir la meilleure voie pour atteindre ses objectifs, pas évident quand on a seulement 15 ans. Je ne suis pas là pour expliquer à la jeunesse ce qu’elle doit faire. JD-radio : la web radio du lycée […]. »
Rien que ce générique me plaît. Une compilation de phrases brèves, des journalistes, des politiques et surtout des lycéens qui parlent de leur avenir et de leur formation. En quelques secondes, on entre dans le vif du sujet, comprenant bien que ces élèves de lycée professionnel, dans une ville moyenne de province, ont décidé de prendre la parole.
On entend d’abord Cédric et Maïwenn qui expliquent chacun leur arrivée au lycée pro.
Lui, s’était toujours senti décalé, en maternelle, à l’école primaire puis au collège, où les vêtements, le langage ou encore les goûts musicaux sont souvent clivants. En entrant en seconde, ses différences se sont peu à peu estompées, ou du moins, chacun, élève comme enseignant, a appris à les tolérer : « On voit que beaucoup de gens se ressemblent, mais on comprend que peu sont pareils », explique-t-il.
Elle, parle de son choix de quitter un lycée général en cours d’année, pour une seconde professionnelle. Décision qu’elle a eu du mal à faire accepter mais qui l’a pourtant sauvée.
Tous deux présentent ensuite le thème de l’émission. La réputation. La petite équipe de réalisation de la web radio s’y est intéressée à plusieurs égards :
– la réputation et les nouvelles technologies comme l’e-sport ou l’intelligence artificielle,
– la réputation et les stéréotypes de genre qui touchent certaines filières de leur lycée : la mécanique bâteau ou la coiffure.
Ils et elles abordent ensuite, sous forme de débat, la réputation de la voie pro, la comparaison avec les élèves de lycée général, qui sont aussi leurs copains ou copines. Ils et elles évoquent les préjugés subis au moment de l’insertion ou des poursuites d’études.
Un projet de radio porté par la documentaliste
Plus j’écoute cette web radio, et plus elle m’interpelle. Encore un beau projet de ma copine Isa. J’ai passé trois ans à ses côtés, il y a longtemps dans un autre lycée.
Elle est professeure documentaliste. Certains l’appellent encore « La dame du CDI ». Car oui, c’est encore comme ça qu’on considère « celle », le plus souvent, « celui », parfois, qui gère les ressources et médias de l’établissement, rassemblés dans un Centre de Documentation et d’Information. Je ne suis pas sûre que tous les élèves aient l’acronyme !
Il y en a beaucoup pour qui le CDI est avant tout un lieu d’accueil : on y va parce qu’on a un trou. On y va parce qu’à la récré, on n’a pas envie d’être dehors, planté comme un arbre au milieu de la cour. On y va parce qu’on a une photocopie à faire ou une question sur le devoir d’histoire, un truc bête, qu’on osera jamais demander au prof. On y va parce qu’on a un peu d’avance, alors on va voir les BD ou les mangas. On y va pour respirer, ne plus être un élève, quelques instants. On y va pour se poser et se reposer. On y va parce qu’elle est sympa, la dame du CDI !
Isabelle, la prof doc, un rôle clé
C’est pas moi qui dirais le contraire. Elle est sympa, Isa ! En plus, elle sait tout : ce qui se passe dans le lycée ; les travaux des uns, des autres, des classes qu’on n’a pas ; les appels à projet ; les collègues qui ont envie d’y participer ; les activités des structures culturelles de proximité ; les multiples possibilités. Et bien sûr, elle nous en fait profiter. Elle développe les partenariats, organise des sorties et se met à disposition des élèves et des équipes pédagogiques, comme une véritable médiatrice de musée.
En salle des profs, évidemment, on ne parle pas de « dame du CDI » ni de « monsieur du CDI ». On discute, on boit un café, on échange avec le ou la prof-doc, comme on le fait avec nos collègues de math, de lettres ou tout autre discipline enseignée au lycée.
Assurément, Isa est enseignante. Elle a un CAPES en Documentation (Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement Secondaire). Sa discipline est transversale et propose aux élèves de mieux maîtriser l’information, c’est-à-dire la recherche, l’éducation aux médias, la production d’une information, la gestion des ressources numériques… Au collège, on parle d’ÉMI (Éducation aux Médias d’Information). Il n’y a pas d’horaire prédéfini, mais les élèves participent à des séquences pédagogiques riches et bien ficelées. Avec des activités différentes, en dehors de l’espace classe, elle a l’occasion de voir les élèves autrement, ils communiquent davantage et s’investissent personnellement.
Elle est sympa Isa, je l’ai déjà dit. Mais au-delà de ça, le ou la prof-doc, dans un collège ou un lycée, c’est un rôle-clé, qui facilite la communication et la réalisation de nombreux projets.
Le projet de web radio
C’est ainsi qu’a démarré, dans son lycée, la préparation d’une émission de web TV, à l’initiative d’une jeune collègue de français qu’Isa avait envie d’accompagner. Une classe de seconde a pu consacrer une partie de son année à l’élaboration d’un journal vidéo, en partenariat avec la médiathèque, accompagnée par Caroline Bourguine, journaliste résidente, et Lucas Roxo, réalisateur.
L’année suivante, les deux collègues ont de nouveau fait appel au jeune réalisateur pour la création d’une web radio, cette fois-ci au sein du lycée. Le projet était ouvert et des élèves de différentes classes pouvaient y participer, certains ayant déjà vécu l’expérience de la web TV. Une équipe plutôt hétéroclite s’est constituée. Il fallait gérer les emplois du temps, une grande partie du travail s’est faite sur le temps libre des élèves. Quelques demi-journées ont été banalisées pour les interventions et enregistrements de Lucas Roxo, qui a ensuite réalisé le montage final.
Ce média leur a permis de s’exprimer, d’identifier leurs préoccupations et d’interpeller les autres lycéennes et lycéens, y compris dans la voie générale. Ils et elles se sont organisé·es, ont débattu, rédigé, presque seul·e·s. Le jour J, tout était prêt.
On leur a donné la parole, ils et elles s’en sont vraiment emparé·es. Un thème, par-dessus tout, leur tenait à cœur : la réputation.
Maïwenn
Dans la web radio, la jeune Maïwenn explique que lorsqu’elle a choisi le lycée professionnel, la mauvaise réputation de ce dernier a été un véritable frein. Elle voudrait rétablir une image plus juste, moins manichéenne.
J’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer auparavant, je suis persuadée que c’est la grande diversité des élèves qui arrivent en lycée pro qui en fait toute la richesse. Il ne s’agit pas de façonner les élèves pour qu’ils rentrent toutes et tous dans un moule, dans un emploi ou dans un modèle de société, mais d’accueillir chacun, chacune, avec ses différences, sa singularité, pour leur donner les clés de l’épanouissement et leur permettre d’entrer dans l’âge adulte avec sérénité.
Le parcours de Maïwenn m’intéresse, j’ai eu envie de la rencontrer pour qu’elle m’explique et me dise, maintenant qu’elle a terminé, ce qu’elle a pensé de ses années de lycée. Je l’ai contactée par l’intermédiaire d’Isa et nous avons maintenant rendez-vous dans un café de la place du marché. Nous choisissons nos boissons et nous nous installons, ma fille s’assied en face de Maïwenn. Peu d’années les séparent, elles sont à l’aise avec cette proximité. Je me mets sur le côté pour pouvoir prendre des notes et m’étaler. Après quelques explications d’usage, nous discutons. La jeune bachelière est plutôt fière, alors elle se confie avec facilité.
Elle me raconte le collège où elle est arrivée après un déménagement. Elle était bonne élève, toujours soucieuse de bien faire. Elle avait de bons résultats mais était souvent stressée. Ça ne paraît pas grand-chose dans la bouche d’une enfant, mais plusieurs symptômes se sont révélés : une grande fatigabilité, des difficultés à communiquer, à développer des amitiés, des maux de ventre de plus en plus importants et parfois même l’impossibilité de se lever. Avec le soutien de ses parents et de ses enseignants, elle a réussi à s’accrocher. En troisième, elle a même été élue déléguée. C’est à ce moment que les choses ont dégénéré. Les copains se sont d’abord moqués, et, assez vite, l’ont dénigrée. Pendant un temps, Maïwenn ne voulait plus y aller. Elle restait à la maison, loin du regard des autres qui la trouvaient toujours « trop ». Trop sérieuse, trop impliquée, trop accompagnée, trop encouragée… Chez elle, la collégienne continuait à travailler avec la volonté par-dessus tout de préserver ses bons résultats. Ce n’est que bien après que son mal-être a été identifié et que les mots de « harcèlement », « décrochage » et « phobie scolaire » ont été employés. Avec des notes et des bulletins satisfaisants, son passage en seconde générale n’a jamais questionné.
Pour le lycée, elle avait même choisi l’internat auquel elle avait droit pour limiter ses trajets. Dès la rentrée, elle a compris qu’elle ne le supporterait pas. Elle pensait rencontrer des gens, se faire de nouveaux copains, de nouvelles copines, mais dans sa chambre partagée, elle se sentait comme une plante verte qu’on aurait oublié d’arroser. Elle est retournée à la maison, tant pis pour les trajets. Petit à petit, cette sensation l’a accompagnée dans l’ensemble du lycée. Elle n’avait que très peu d’amis, ils n’étaient pas en seconde générale mais dans la filière Métiers d’art. Alors, pour les retrouver, elle s’est mise à sécher, à traîner dans les couloirs. Les surveillants l’ont vite repérée. Absente en cours, présente au lycée, le CPE (Conseiller Principal d’Éducation) lui a demandé de s’expliquer. Entrer dans la classe, s’asseoir, écouter, copier, sortir et recommencer, cela ne lui plaisait pas, elle n’y arrivait pas. Il a voulu savoir ce qu’elle aimait ou voudrait faire, et rapidement il lui a expliqué comment créer un dossier passerelle. Ce dispositif permet, sous réserve de places disponibles, d’intégrer en cours d’année une seconde professionnelle. Certains préfèrent attendre la rentrée pour tout recommencer, mais, venant de seconde générale, ils ne sont pas prioritaires.
Maïwenn a fait un premier stage dans un lycée pro qu’elle n’a pas du tout aimé, avant de finalement trouver la formation qui lui convenait. Dernier écueil, ses parents ne voulaient surtout pas en entendre parler : « Pourquoi aller en LP, alors qu’en général, tu pourrais y arriver ? ».
Alors elle a bataillé, discuté pendant des semaines, presque des mois et ce n’est qu’en février qu’elle a pu intégrer une seconde professionnelle “Métiers de la relation client”. Elle a été acceptée, à condition de ne plus être absente. Elle avait passé les trois derniers mois à sécher, à ne plus travailler, ce n’était donc pas gagné.
Au lycée pro, tout a changé
Au lycée pro, tout a changé. Dans la plupart des cours, ils étaient en groupe de 15 élèves. Même s’ils étaient tous différents, les profs prenaient le temps de les écouter, de les accompagner. Maïwenn s’est vite intégrée dans sa classe. Les cours lui plaisaient, l’enseignement professionnel en particulier. Il ne suffisait pas d’écouter, il fallait réagir, proposer, s’impliquer. Les équipes ont tout fait pour qu’elle puisse rapidement rattraper ce qui lui manquait.
Rassurés de la voir raccrocher, ses parents ont vite été fiers de son parcours et de ses résultats scolaires. Même sa grand-mère l’a encouragée.
« J’ai redécouvert ce que c’était d’aimer aller à l’école », me confie-t-elle.
Elle s’est ainsi beaucoup investie. Elle a participé au quart d’heure de lecture, était à l’initiative du club manga. Elle passait la plupart de ses récrés, de ses pauses méridiennes ou de ses heures de trou au CDI. L’année suivante, plus engagée, elle a été élue au Conseil de Vie Lycéenne. Elle a participé à de nombreux projets. Celui de la web radio l’a tout de suite intéressée parce que les élèves pouvaient choisir leurs propres sujets et les traiter comme ils ou elles le voulaient. Quelques débats ont été très animés, mais les adultes étaient toujours là pour les accompagner dans l’organisation, la rédaction, et bien sûr dans la réalisation technique, véritable nouveauté pour chacun.
Au lycée pro, la scolarité est également ponctuée de périodes de formation en milieu professionnel. Maïwenn voulait aller en librairie : une première, assez généraliste qui faisait aussi papeterie, puis une autre qui lui a permis de découvrir l’univers de la presse, et enfin, une plus spécialisée dans les mangas et les jeux de société. Elle m’explique avoir eu un peu de mal à les trouver, même si elle était accompagnée. Elle a dû insister. Elle se sait chanceuse, consciente que tous ses camarades n’ont pas pu apprendre autant dans ces périodes-là.
Forte de toutes ces expériences, Maïwenn a obtenu son bac l’an dernier. Elle a construit son projet et rêve un jour d’ouvrir sa propre librairie. La jeune diplômée reste lucide, elle sait qu’il lui manque encore beaucoup pour y arriver. Aussi, elle a décidé de continuer et a postulé pour un BTS (Brevet de Technicien Supérieur) en Communication. Elle a fait différents vœux, et quand Parcoursup lui a annoncé plusieurs admissions, elle a choisi l’alternance. Elle s’est dit que l’apprentissage serait plus concret, qu’elle serait plus indépendante et pourrait peut-être même épargner. Fin septembre, elle n’avait trouvé aucun employeur. En octobre, toujours rien. Pas de retour possible vers la formation initiale, tous les BTS étaient complets. Hélas, sans entreprise, sa formation est en suspens. En attendant, elle bosse dans une épicerie bio avec un contrat limité, mais reste très disponible, ce qui fait d’elle une bonne employée. Dans son lycée, elle est toujours suivie. Un décret oblige désormais les établissements à accompagner 6 mois après la fin de leur scolarité les élèves dont les projets n’ont pas été satisfaits. Elle ne fait pas ce qu’elle voudrait, mais dans les statistiques, elle reste du bon côté.
Le lycée pro, c’est un enseignement plus substantiel. Certains cours sont allégés, d’autres plus spécialisés. Les méthodes sont adaptées. Lorsqu’il a été initié, il y a bientôt une quinzaine d’années, le Bac Pro en trois ans était une promesse d’égalité entre les élèves sortant de la voie générale et de la voie professionnelle. Le même âge, les mêmes modalités, les mêmes possibilités. Mais aujourd’hui, en le rattachant au ministère du Travail et de l’Emploi, l’Etat attend du lycée pro qu’il adapte ses élèves aux besoins du marché, qu’il les rende employables plutôt qu’émancipés. Avec de moins en moins de cours, sur des durées encore abrégées, les possibilités sont forcément limitées.
Maïwenn n’a jamais eu à rougir de ses résultats scolaires. Malgré un parcours accidenté, elle a surmonté les difficultés. Plusieurs années la séparent de la jeune fille qui n’arrivait pas à se lever. Elle a réussi, reste déterminée et assume ses choix avec responsabilité. Malgré le retard pris dans sa formation, elle pourra aborder l’apprentissage avec maturité. J’admire son abnégation.
Il y a beaucoup d’élèves qui prennent la même décision : l’alternance pour financer une formation privée aux tarifs prohibitifs. L’alternance pour s’installer, quitter le domicile familial parce que la situation y est trop compliquée. L’alternance sinon, pour soutenir les parents, et les frères et sœurs qui ne sont encore que des enfants. L’alternance n’est pas toujours un choix, mais souvent la seule solution pour continuer.
Je ne suis pas une prof maternante, enfin je ne le crois pas. J’apprécie lorsque les élèves acquièrent une certaine indépendance, je m’appuie sur leur sens des responsabilités. En terminale, je prends plaisir à discuter de notre branche professionnelle, de ce qu’ils en perçoivent et plus largement de la société. Avec Maïwenn, nous avons passé un bon moment. C’était une rencontre enrichissante.
Le rôle du lycée pro, jusqu’au bout, c’est de former, mais surtout d’accompagner et de protéger les élèves à un âge, et dans des circonstances où ils et elles sont souvent fragilisé·es. Aussi, je ne peux m’empêcher d’être inquiète. En choisissant l’alternance, Maïwenn, comme les autres, quitte définitivement la tutelle de l’Éducation nationale. Pleine de volonté, elle s’abandonne au monde professionnel, qui peut être particulièrement cruel, la contraignant à certaines activités, au bon vouloir d’un patron qui peut, du jour au lendemain, tout arrêter, sans lui laisser tracer le chemin qui permettrait de réaliser ses projets. Isa m’a récemment annoncé qu’elle aurait trouvé une entreprise et commencé en janvier. Je lui souhaite de réussir, j’espère sincèrement que ça va marcher !
Marion Dupré
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