Depuis janvier dernier, pour les élèves français de nombreuses heures de classe sont perdues. Les enseignants et enseignantes souvent atteints du Covid, sont absents et non remplacés. Malgré les propos tenus par la majorité, le souci n’est pas le supposé absentéisme des professeures et professeurs français mais le manque de remplaçants disponibles et donc, le manque de recrutement d’enseignants. Cette situation met en tension les écoles, en difficulté les directeurs, directrices, enseignants et enseignantes mais surtout mette en péril l’acquisition des apprentissages de milliers d’élèves.
Cinq enseignants et enseignantes absents, quatre prévues depuis au moins une semaine, une annoncée la veille au soir, la professeure étant positive au Covid. Une journée presque banale dans cette école de 10 classes du centre-ville de Montpellier. Pourtant aucun remplaçant n’arrive dans l’école. Il faut savoir que comme dans de nombreux départements, le manque de remplaçants est cruel. Dans la circonscription de Montpellier, les ZIL (remplaçants supposés couvrir les petites absences) sont affectés sur de longs remplaçants, certain pour l’année et ce depuis la rentrée. Alors, les absences de maladie ordinaires, et même des congés maternité, ne sont pas remplacés. Les parents qui le pouvaient ont récupéré leur enfant, les autres élèves sont répartis dans les classes. Comme d’habitude dans les écoles primaires, on accueille les élèves des collègues absents, même s’il n’y a pas de chaises ou de tables disponibles.
Des situations à risques
« Nous avons donc accueilli chacun 8 élèves supplémentaires dans nos classes alors que j’ai déjà 28 élèves… » explique M* enseignante de l’école. « Parmi les élèves que j’accueille figure un garçon de CE2 connu pour manifester des troubles du comportement, par exemple intolérant à toute frustration. Il bénéficie de la présence d’une AESH à hauteur de douze heures par semaine, mais depuis la création du PIAL les AESH doivent être mutualisées. Au retour de la récréation du matin et à la suite d’une frustration provoquée par mon refus qu’il entre en classe avec un bâton, il est entré dans une violente colère. Doigt d’honneur, injures à mon encontre, hurlements se succèdent. Il finit par donner de grands coups contre la vitre de la porte-fenêtre et s’enfuit dans l’école après m’avoir dit qu’il allait se suicider ». M. s’élance à sa poursuite, prenant au sérieux son affirmation et laisse ses trente-six élèves sans surveillance, pas trop le choix devant une telle situation. « Devant son refus de me suivre et craignant de le blesser en le portant seul, je retourne un temps en classe – le temps de m’assurer que tout va bien – espérant qu’il descende par lui-même. Trois élèves d’une autre classe viennent alors m’informer que cet élève rôde dans les couloirs. Je pars de nouveau tenter de le raisonner, et le retrouve en présence d’une collègue ayant elle aussi été contrainte de laisser ses élèves. Recroquevillé dans un coin d’une classe restée inoccupée, il refuse toujours de nous suivre. Dans l’urgence, nous décidons de le porter à deux, contre son gré, et de l’accompagner auprès du responsable des temps périscolaires qui, puisqu’il était presque midi, était présent. Nous sommes tous les deux sous le choc, et comme il est midi nous ne pouvons prendre le temps de revenir avec nos élèves sur ce qui venait de se passer. Une de mes élèves avait fondu en larmes elle était apeurée devant la violence de la situation. Vingt minutes plus tard, ma collègue vient m’apprendre qu’elle s’est bloquée les cervicales en portant cet élève. Résultat, elle ne reviendra pas l’après-midi. On a donc fini la journée à 6 enseignants non remplacés sur 10 classes ».
Pas assez de chaises pour tout le monde
Dans cette autre école de l’Indre, cette fois en milieu rural, il y a trois classes. Les absences sont très rares, comment souvent chez les enseignants, selon un rapport de la Cour des comptes. Mais aujourd’hui, l’une des PE manque à l’appel. Après appel à la circonscription, ses collègues attendent un possible remplaçant. En attendant les 26 élèves sont accueillis dans les classes. 26 élèves dispatchés sur deux classes. Chacune des enseignantes présentes s’est donc retrouvés avec près de quarante élèves, dont une dizaine a dû s’assoir par terre toute la journée… Aucun remplaçant ne s’est présenté…
Une conséquence du manque de recrutements
Ces témoignages ne sont pas anodins mais ne présentent pas de caractère exceptionnel. Depuis plusieurs années, le manque de recrutement de personnels du premier degré au niveau national mène à ce type de situation. Les directions académiques placent un enseignant devant élève, c’est la priorité, c’est ce qui se voit. Et ils font ensuite avec un nombre restreint de remplaçants comme l’explique Alain Talleu responsable du SNUipp-FSU du Nord (59). « Cela fait maintenant un an que nous rencontrons de grosses difficultés de remplacement dans les quelques 1500 écoles du département. Pour avoir une idée, il y a entre 14000 et 15000 PE et seulement 1100 postes de remplaçants desquels il faut déduire 114 qui sont supposés être dédiés au remplacement des pondérations en REP+ (temps de concertation et de formation spécifiques) et 29 brigades de formation continue (pour les éventuels – et très rares – départs en formation continue). Nous avons aussi 154 postes vacants sur lesquels ont été placés des enseignants remplaçants… Cela laisse donc peu de personnels pour couvrir toutes les absences du département ». Un constat qu’admet l’administration qui reconnait 438 absences par jour non remplacées, « 500 en off » ajoute le responsable syndical. « Aujourd’hui, sur les 200000 élèves scolarisés dans le premier degré dans le département du Nord, à peu près 10 000 élèves ne bénéficient pas à leur droit premier : celui d’apprendre. Une honte ».
Plus de formation en REP+
Même constat à Marseille où ce sont entre 570 et 760 classes par jour où les enseignants ne sont pas remplacés. « La situation est ubuesque. L’administration déplace même des remplaçants déjà en poste en fonction de l’intensité de la mobilisation des parents d’élèves. Nous ne sommes plus des enseignants, nous sommes des pompiers, nous sommes là pour éteindre le feu » explique Virginie Akliouat, co-secrétaire départementale du SNUipp-FSU 13. Mais à Marseille, la situation est exacerbée par la réquisition de quinze postes pour couvrir les quarts de décharges promis aux directions d’école de l’expérimentation… Priorité : l’affichage politique là encore. Quant aux heures de pondération dédiées aux concertations et formations en REP+, dans tous les départements interrogés, elles ont été tout bonnement annulées.
Pour Sébastien Crochet, secrétaire général du SE-UNSA, la situation est tendue mais pas aussi catastrophique qu’elle l’était en janvier et février. « Dans certains départements, cela reste néanmoins très compliqué, comme à Strasbourg où nous avons dû intervenir. Il nous est arrivé aussi, quand les collègues nous sollicitaient d’intervenir pour que les directions d’école puissent encore bénéficier de leur décharge ».
Alors que l’école est en crise avec des résultats d’élèves inquiétants, une aggravation des inégalités de départ qui met à mal la réussite des élèves de milieu populaire, est-il bien raisonnable que ces élèves perdent des milliers d’heures de cours ? Accusés d’absentéisme, les enseignants sur le terrain tiennent l’école à bout de bras….
Lilia Ben Hamouda