« Quel doit être le bagage scientifique d’un lycéen sortant du système éducatif ? » Vice-présidente de la Société mathématique de France, Mélanie Guenais réagit à la place des sciences dans la réforme du lycée. Pour elle, comme pour les signataires d’une tribune signée par de nombreuses associations mathématiques et scientifiques (dont l’Apmep, l’Udppc, l’Irem, le Cfem et la SMF), il est urgent de réfléchir pour modifier en profondeur la structure du lycée général et rééquilibrer la place des sciences au lycée. Les associations récusent à l’avance des modifications marginales que pourraient proposer dans les jours à venir la commission réunie par JM Blanquer.
Dans une tribune publiée le 15 mars, vos associations appellent à rééquilibrer la part des sciences et des humanités au lycée général. Que voulez vous dire ?
Actuellement le tronc commun du cycle terminal du lycée est de 15h30 à 16 h avec un « enseignement scientifique » de 2 heures. Tout le reste ce sont des humanités. Nous ne demandons pas 7 ou 8 heures de sciences. Nous souhaitons qu’on réfléchisse à l’équilibre entre ces deux poles. Nous ne voulons pas décider cela seuls. Il faut une concertation large avec tous les partenaires du tronc commun pour réfléchir à ce que doit être le bagage scientifique d’un lycéen sortant du système éducatif.
On ne peut pas donner tout de suite la réponse à cette question. Mais actuellement les sciences n’ont pas une place suffisante au regard de leur rôle dans une société qui repose sur des savoirs scientifiques et technologiques.
Vous refusez l’idée d’une augmentation de la part des maths dans « l’enseignement scientifique ». Pourquoi ?
Cela ne résoudra pas le problème. Si on augmente l’enseignement scientifique d’une heure en mettant 1h30 de maths on ouvre la guerre entre les disciplines. Actuellement ce sont les professeurs de physique chimie et de SVT qui se partagent les 2 heures d’enseignement scientifique. Il faut voir aussi que cet enseignement est axé sur des thèmes de physique chimie, de SVT et de numérique. Il est orienté sciences fondamentales. Or les maths sont transversales et concernent aussi les SES par exemple. On ne veut pas les oublier.
Vous défendez la part des sciences. Pourtant toutes les sciences ne se retrouvent pas dans votre tribune. Les professeurs de SVT de l’APBG ne l’ont pas signé par exemple.
Ce qui a bloqué la signature de l’APBG c’est seulement notre dénonciation du comité de consultation créé par JM Blanquer. Dans ce comité on retrouve les personnes qui ont créé la réforme du lycée, comme P Mathiot, JC Ringard, C Torossian ou E Geffray. Ils sont de parti pris.
Est-il possible de mettre des maths dans le tronc commun alors que le ministère n’arrive même pas à recruter les professeurs en nombre suffisant par rapport aux postes offerts ?
Il y a deux ans c’était possible. En deux an on a perdu 20% des heures de maths au lycée. Ces postes ont disparu facilement en renvoyant des contractuels. Si on rétablit les maths dans le tronc commun, on fera appel à nouveau à ces contractuels. Après il faudra réfléchir aux moyens d’améliorer l’attractivité du métier, particulièrement en sciences.
Voyez vous une issue rapide, par exemple pour la prochaine rentrée ?
Il n’y a pas d’issue pour la prochaine rentrée. Toutes les annonces qui pourraient être faites à ce sujet seraient électoralistes. En effet nous n’avons pas de programme pour des maths dans un éventuel tronc commun ou pour des options. D’autre part les dotations horaires des établissements ont déjà été envoyées. S’il devait y avoir des annonces augmentant la part des maths elles seraient marginales.
Les problèmes que nous rencontrons sont liés à la structure de la réforme. Il faut créer un nouvel enseignement, rééquilibrer les disciplines du tronc commun. On peut s’interroger par exemple sur un bac de maths en 1ère comme il y a un bac de français. Tout cela mérite réflexion. Il faut du temps.
La tribune attire l’attention sur la baisse du nombre de filles dans l’enseignement mathématique. Par quels moyens pourrait-on l’augmenter ?
C’est une question difficile qui renvoie à la présence de stéréotypes dans notre société. Dans l’ancien système la filière S était assez générale pour ne pas faire fuir les filles. Avec cette réforme on a créé une rupture et on a créé de l’angoisse. Cette angoisse provoque un repli sur soi et renforce les stéréotypes et les inégalités en général.
Toutes ces interrogations sur la part des maths et des sciences en lycée général, cela ne concerne que les futures élites ?
Non, car les mathématiques sont nécessaires partout. Cela concerne les milieux défavorisés où on trouve des problèmes de surendettement. Tous les élèves ont besoin des maths. Favoriser l’accès aux sciences et aux maths c’est promouvoir l’ascenseur social. C’est aussi ouvrir les portes des études en sciences humaines qui ont elles aussi besoin des maths. Et les maths sont aussi une façon de penser qui est transmise par leur pratique régulière. Les maths permettent une pensée abstraite sur les problèmes de la vie quotidienne.
Propos recueillis par François Jarraud