Relier matières littéraires et matières scientifiques, c’est possible ? Au collège Roz Avel de Guerlesquin dans le Finistère, Perrine Vedrenne, professeure de lettres classiques, et Ivanne Hureau, professeure de sciences physiques et chimiques, ont relevé le défi. D’une part en menant un projet sur « la cosmétique dans l’Antiquité », d’autre part en animant le « club Astro Mytho ». Le travail conduit l’élève à expérimenter les savoirs, favorise la curiosité, la motivation et l’engagement, produit des événements d’établissement, ouvre le collège sur son territoire. Chaque matière y trouve joliment sa place pour « ancrer et contextualiser les notions scientifiques » et pour signifier combien « le cours de LCA est un espace d’ouverture où les élèves peuvent mettre en relation leurs savoirs, qu’il s’agisse de culture populaire ou scolaire. »
Qu’est-ce qui peut amener une professeure de lettres et une professeure de physique-chimie à travailler ainsi ensemble ?!
Isabelle et Perrine : Par-delà des affinités de personnes, nous avons toutes les deux une curiosité et une envie d’apprendre qui nous ont donné envie de travailler ensemble. Être enseignant signifie aussi être passionné par nos disciplines, et le collège est un lieu idéal pour échanger des connaissances entre passionnés !
Nous avions aussi le souci de casser les représentations parfois associées à nos disciplines : le thème sur la cosmétique dans l’Antiquité nous permettait ainsi de montrer aux jeunes filles très majoritaires dans cette classe de latin qu’une thématique qu’elles percevaient comme étrangère au milieu scolaire reposait au contraire sur des savoirs et savoir-faire accessibles dès le collège, et de leur montrer que la science englobait bien des domaines variés.
Dans quel cadre avez-vous déployé ces projets ?
I. et P. : « La cosmétique dans l’Antiquité » a pris la forme d’un EPI d’une heure, pris sur les 2 heures hebdomadaires du cours de LCA Latin en 4ème, sans dotation horaire supplémentaire.Le « Club Astro-Mytho » était un atelier qui se déroulait sur la pause méridienne, avec une subvention du Conseil Général et un financement du collège.
Le travail sur « la cosmétique de l’Antiquité » a donné lieu à des activités pluridisciplinaires : pouvez-vous nous les présenter ?
I. et P. : Nous avons varié les supports, entre cours théoriques, manipulations et activités pratiques, selon plusieurs thématiques :
– sur les plantes : visite du jardin de simples de Guerlesquin, constitution d’un herbier, hydrodistillation de la sauge.
– sur les parfums et leurs contenants : utilisations des parfums et les différents flacons dans l’Antiquité, création d’une affiche publicitaire pour un parfum moderne inspiré de l’Antiquité (inspiration : campagnes Paco Rabanne).
– sur la médecine : les figures d’Hippocrate, de Galien et d’Avicenne, la théorie des humeurs, étude de la gravure de Dürer Melancholia I, fabrication d’un cérat de Galien.
– sur les pigments : les pigments utilisés dans l’Antiquité, extraction d’un pigment, la chlorophylle
– sur la cosmétique moderne : l’utilisation du latin dans la terminologie moderne des cosmétiques avec le décryptage des listes INCI au dos de produits modernes, création d’une échelle de pH au jus de chou rouge et synthèse d’un arôme : l’acétate d’isoamyle.
Et quelles activités dans votre « Club Astro-Mytho » ?
I. et P. : Dans un premier temps, nous avons choisi comme thématique les 48 constellations de Ptolémée. Les élèves ont réalisé des maquettes lumineuses de constellation et en parallèle ont étudié la mythologie associée. Dans un second temps, à l’occasion du cinquantenaire de l’alunissage, nous avons proposé la Lune comme objet d’étude. Les élèves ont travaillé sur l’élaboration d’un film retraçant les premiers pas de l’Homme sur la Lune, et ont découvert plusieurs mythes asiatiques sur l’astre lunaire.
Les deux projets se sont terminés par des journées spéciales au collège : que s’est-il passé ?
P. : Lors d’une Journée de l’Antiquité organisée au collège, les élèves latinistes de 4ème ont pu présenter à tous leurs camarades leurs travaux réalisés dans le cadre de l’EPI, en animant un stand où ils proposaient également un atelier sensoriel à la découverte des épices et aromates de l’Antiquité.
I. : Concernant le Club Astro-Mytho, nous avons organisé avec les élèves la « Grande journée du club Astro-Mytho » : les élèves ont exposé leurs productions, ont pu participer à un atelier de création de fusées à air comprimé lancées depuis la cour de récréation et profiter d’une séance d’observation du ciel dans le planétarium gonflable installé au gymnase, en partenariat avec l’association Cap des étoiles et avec la participation de Pascal Perdriau et Geneviève Terrière. Le film sur les premiers pas sur la Lune a quant à lui été sélectionné pour la finale académique du concours CGénial ; le contexte sanitaire n’a pas permis au concours d’aboutir, mais les élèves ont été récompensés pour leur investissement lors d’une remise de médailles au collège et par une visibilité sur le site du concours.
En quoi de tels événements d’établissement vous semblent-ils profitables ?
I. et P. : Ces événements permettent aux élèves de voir leurs travaux et leur engagement valorisés auprès de la communauté éducative. Ils sont aussi profitables pour le recrutement en LCA, en concurrence avec plusieurs options au sein de l’établissement.
A la lumière de ces expériences, quels vous semblent les plaisirs et les intérêts de la pédagogie de projet ?
I. et P. : Chez l’enseignant, développer la cohésion au sein des équipes éducatives à travers des projets interdisciplinaires, adopter différentes postures d’enseignant, y compris grâce à la co-animation. Et chez les élèves, développer leur autonomie, leur donner l’opportunité de faire valoir leurs compétences personnelles et donc de renforcer leur estime d’eux-mêmes, accroître l’attraction des disciplines optionnelles et éveiller leur curiosité.
A la lumière de ces expériences, le décloisonnement disciplinaire vous semble-t-il susceptible de redonner du sens aux disciplines elles-mêmes ?
P. : Je conçois les LCA comme une source qui irrigue toutes les disciplines, quelle que soit leur coloration. Revenir aux racines des disciplines leur redonne en effet du sens. Il est aussi primordial de faire du lien entre les disciplines. Le cours de LCA est un espace d’ouverture où les élèves peuvent mettre en relation leurs savoirs, qu’il s’agisse de culture populaire ou scolaire.
I. : Le décloisonnement disciplinaire permet aussi d’explorer le vaste champ des domaines scientifiques, de l’astronomie à la cosmétique. Cela permet d’ancrer et de contextualiser les notions scientifiques.
Des conseils pour des collègues qui auraient envie d’embarquer les élèves dans de telles aventures ?
I. et P. : On peut commencer par s’inspirer des ressources partagées par des collègues, ou partir d’une thématique qui nous est familière. On peut aussi prendre appui sur les centres d’intérêt des élèves, mais avec un contenu disciplinaire rigoureux pour éviter que la pédagogie ne devienne démagogie.
Il ne faut pas viser l’aboutissement parfait du projet, et ne pas hésiter à réinvestir et améliorer le projet les années suivantes.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut