Comment éduquer aux réseaux sociaux pour apprendre y exercer sa citoyenneté plutôt que s’y livrer à la haine ? En 1791, Olympe de Gouges transforme la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » en « Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne ». En 2021, au lycée Ozenne à Toulouse, les 1ères d’Emilie Gracia livrent leur réécriture en amenant l’autrice à exprimer ses valeurs et ses révoltes sur le réseau social Twitter. Le palimpseste d’actualisation favorise l’implication, la compréhension et l’appropriation. Le travail interroge même la nature de l’œuvre d’Olympe de Gouges : comme ses affiches, pétitions ou discours, il s’agit d’un texte politique que le programme de français vient autoritairement intégrer au champ de la littérature, comme pour questionner et déplacer les limites de celles-ci. Jusqu’à inclure les réseaux sociaux dans le champ de la pédagogie ? Jusqu’à souligner combien, pour les élèves aussi, un tel « espace d’expression peut devenir un espace d’engagement » ?
Parmi les œuvres imposées du programme, pourquoi votre choix s’est-il porté sur le texte d’Olympe de Gouges ?
J’ai choisi le texte d’Olympe de Gouges pour plusieurs raisons. La première est que je souhaitais commencer l’année scolaire par la littérature d’idées, or donner en lecture un texte trop long peut s’avérer compliqué pour une prise de contact. Le texte d’Olympe de Gouges a l’avantage – mais aussi l’inconvénient pour trouver des explications de texte ! – d’être très court et de permettre au cours de la première semaine la lecture de l’œuvre intégrale. La deuxième raison qui a motivé ce choix est la parité entre auteurs/autrices. J’étudie depuis trois ans le roman La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette et la proposition d’une autre écrivaine était l’occasion d’une parfaite parité. Enfin dernière raison et non des moindres, l’actualité me permettait de trouver un écho contemporain au texte d’Olympe de Gouges.
Vous avez invité vos élèves à tweeter au nom d’Olympe de Gouges : pourquoi le choix du réseau Twitter ?
J’ai pensé à Twitter très rapidement lorsque j’ai élaboré ma séquence. J’ai imaginé quels moyens de communication Olympe de Gouges aurait pu utiliser en vivant à notre époque et l’évidence s’est imposée à moi : elle aurait été une utilisatrice de Twitter pour défendre ses idées.
En outre, les élèves utilisent principalement trois réseaux sociaux – Snapchat, Instagram et Twitter. Ce dernier leur sert essentiellement à faire ce que nous faisons ou faisions sur Facebook : ils partagent leurs humeurs quotidiennes, des informations et n’ont pas forcément une utilisation très citoyenne de ce réseau social, c’était donc l’occasion de leur montrer un autre aspect de Twitter.
Quelles ont été les consignes et les modalités de ce travail d’écriture ?
Après la lecture de l’œuvre, les élèves devaient réaliser le travail suivant : « Olympe de Gouges est propulsée par la magie de la technologie au XXIème siècle et elle est une utilisatrice de Twitter. Imaginez son compte fictif et les nombreux tweets qu’elle pourrait rédiger sur son compte lors de l’écriture de La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. En respectant les consignes de Twitter (nombre de caractères réduit), imaginez les tweets et hashtags de cette pionnière de la lutte pour l’égalité des sexes. » Les élèves étaient libres de créer un profil privé sur Twitter et de m’imprimer ce profil ou de le partager.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de tweets de vos élèves particulièrement réussis ?
« Madame Aubry, Marie-Olympe, Olympe, Gouze, Gouges, etc. Peu m’importe le nom en bas de page. Ce qui compte, ce qui devrait compter, c’est la signature de l’âme, la conviction la plus profonde. Voici la mienne : que la contribution de la femme soit égale à celle de l’homme. O.G. » J’ai trouvé ce tweet intéressant car il aborde la question de l’identité de l’écrivain/écrivaine. La légitimité ne tient pas au sexe mais à l’engagement, à la conviction.
« Mes sœurs ne soyez pas aveugles. #changements »
« Le monde est la réunion entre le ciel et la terre. La démocratie est la réunion de l’homme et de la femme. #OuranosetGaia «
« Homme es tu capable d’être juste? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu le lui ôteras pas du moins ce droit. #sarcasme #droit #liberté #femmes »
Ces trois tweets sont intéressants car ils reprennent des expressions du texte d’Olympe de Gouges et l’inscrivent dans l’esprit Twitter par des # simples mais qui résument avec justesse l’idée du propos.
Olympe de Gouges : « En cette belle journée d’octobre, je tiens à annoncer à toutes mes sœurs le début d’une nouveau combat avec l’arrivée de cette nouvelle qui est la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. »
Robes Pierre : « Olympe de Gouges déclare une nouvelle déclaration spécialement pour les femmes comme si celle sur les hommes avec un grand H ne suffisait pas ! »
Ces deux tweets sont intéressants car l’élève qui a créé ce compte a contextualisé son compte fictif au siècle d’Olympe de Gouges en créant le compte de Robespierre. Outre l’effort de créer plusieurs comptes, j’ai particulièrement apprécié le ton attribué à Robespierre, un ton méprisant qui fait écho à la réception du texte d’Olympe de Gouges au XVIIIème siècle.
Vu la lourdeur du programme de français en 1ère, certain.es considèreront peut-être que ce travail constitue une perte de temps et d’efficacité : que leur répondriez-vous pour défendre cette recréation-actualisation ?
Je pense qu’au contraire l’exercice de réappropriation-actualisation peut permettre aux élèves non seulement d’appréhender des aspects de l’œuvre qu’ils n’auraient pas compris et cherché à comprendre en se contentant de lire mais aussi dans la perspective de l’oral de l’EAF, cela peut permettre de construire une véritable lecture personnelle de l’œuvre. C’est un exercice que j’ai mis en œuvre l’an dernier avec la lecture de La Princesse de Clèves. Les élèves devaient créer le compte Instagram d’un des personnages principaux du roman. Pour réaliser cet exercice, ils devaient être attentifs aux caractères des personnages, aux événements marquants pour chacun d’eux et ainsi ne pas se contenter d’une lecture rapide où l’on saute volontiers quelques pages. Parfois on peut avoir l’impression de perdre du temps avec ce genre d’exercices mais finalement je pense qu’on en gagne et surtout que les élèves s’impliquent plus dans la lecture.
Quelles autres actualisations de l’œuvre avez-vous déployées durant votre séquence ?
Pour cette séquence, j’ai proposé une autre actualisation plus classique dans sa consigne : « Homme, femme du XXIème siècle, vous rencontrez, de nos jours, Olympe de Gouges – qui par les miracles de la science se retrouve projetée au XXIème siècle- et vous lui parlez de son texte, audacieux pour l’époque. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Le combat qu’elle a mené à son époque a-t-il abouti ? Lors de cet échange fictif, vous rappellerez dans un premier temps à votre interlocutrice en quoi son texte était si important pour l’époque puis vous aborderez dans un second temps la place de la femme dans la société et la réussite ou l’échec de son combat. Votre dialogue pourra s’appuyer sur des faits d’actualité, des lectures personnelles ou scolaires, des films… » Nous avons également travaillé sur des planches de bande dessinée.
Quand on explore un des comptes Twitter, on découvre que même le choix des abonnements d’ODG fait sens : était-ce une suggestion de votre part ? quel vous semble l’intérêt de pousser jusque là le jeu de rôle et d’éditorialisation ?
Je n’avais pas donné de consigne en ce sens aux élèves, je leur avais dit que le compte devait être cohérent soit par les idées (s’abonner à des comptes qui partagent des idées semblables) soit par les réponses d’autres comptes Twitter. Ainsi, certains ont également créé le compte de Robespierre pour l’opposer à Olympe de Gouges. J’ai trouvé cela pertinent et intéressant que les élèves s’approprient le texte et le contexte de l’œuvre d’Olympe de Gouges.
Cela peut aussi les renvoyer à leurs pratiques personnelles de Twitter. Ils apprennent aussi que les abonnements que l’on a renvoient une image de qui nous sommes sur les réseaux sociaux.
En quoi un tel travail est-il selon vous susceptible d’amener des élèves à reconsidérer leurs pratiques d’internet jusqu’à en faire un espace de citoyenneté ?
J’espère que cet exercice leur permettra de comprendre qu’internet et plus particulièrement les réseaux sociaux sont des espaces miroirs, qu’ils construisent notre identité numérique ce qu’ils ont tendance à oublier ou à ne pas réaliser.
Ce travail est aussi l’occasion de les sensibiliser à des questions citoyennes d’actualité par un autre biais que l’étude de texte. En associant la littérature avec une pratique courante et quasi spontanée des réseaux sociaux, les élèves prendront, j’espère, conscience qu’internet s’il reste un espace d’expression peut également devenir un espace d’engagement.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Un des comptes Twitter d’Olympe de Gouges