« La recherche en éducation a t-elle un impact sur le pouvoir politique ?Sur les pratiques des enseignants de terrain ? » Ces questions sont portées par la Revue internationale d’éducation de Sèvres, dont le dernier numéro, sous la houlette de Jean-Marie de Ketele, propose un tour du monde de la recherche en éducation. Si dans certains pays on observe une union entre recherche en éducation , pouvoir politique et acteurs de terrain, le cas le plus fréquent est que l’un de ces pôles l’emporte. Or il en va de l’avenir de l’Ecole. Et JM de Ketele plaide pour une alliance entre recherche et acteurs de terrain , permettant de passer de recherches sur l’éducation à la recherche pour l’éducation, de Hattie à Bryk.
Une recherche au service du politique
La grande force de la Revue de Sèvres c’est son fichier international d’auteurs qui permet de sortir de nos problèmes nationaux, sans les oublier, pour comparer avec ce qui se fait ailleurs. Avec ce numéro 85 de la Revue on est gâté puisque, à coté de la France, la Revue nous emmène en Chine, dans le monde arabe, en Afrique noire, au Québec, au Mexique, en Suède, au Pays de Galles et en Russie. Autant de pays , autant de différents équilibres entre pouvoir politique, chercheurs et enseignants.
Il y a des pays où la recherche est au service du pouvoir politique ainsi que les enseignants. Les trois pôles s’alignent au service d’un projet politique. En Russie, la recherche et les enseignants sont au service d’un projet d’unification territoriale de l’immense et fort divers territoire russe. En Chine le pouvoir politique semble, selon l’exemple de Shanghai, tenir les chercheurs et les enseignants dans sa main. C’est aussi le cas dans les pays arabes où la recherche doit tenir compte de nombreux interdits pour ses sujets d’études.
Quand le politique est faible…
Inversement le pouvoir politique peut être faible. C’est le cas de l’Afrique noire où les chercheurs sont tournés vers les financements apportés par les grands organismes internationaux (Banque Mondiale, FMI etc.). Parfois c’est l’Etat voisin qui draine les chercheurs. Ainsi au Pays de Galles, les carrières en Angleterre sont plus prestigieuses. Le Québec a deux sources de financement pour ses recherches : provincial mais aussi fédéral.
Le cas français
Malheureusement la revue accorde peu d’importance aux problèmes de financement de la recherche alors que c’est là qu’est le pouvoir. Echappe t-il au pouvoir politique ? On sait qu’en France les programmes d’investissement d’avenir (PIA) sont accaparés par un petit nombre de laboratoires de médecine ou de neuroscience sans que les sciences de l’éducation aient pu en bénéficier. Cela crée une énorme distorsion dans la recherche dont l’exemple est donnée par la recherche très utile de R Goigoux sur l’apprentissage de la lecture , dotée de 30 000€ quand les programmes des PIA reçoivent des millions. Si le pouvoir politique ne décide pas des projets retenus les exigences des appels à projets fait le tri entre les laboratoires qui peuvent y répondre et les autres. X Pons et O Rey montrent comment l’émiettement de la recherche en éducation entre les disciplines affaiblit par exemple la recherche en sciences de l’éducation.
Restons en France. Les enseignants voient bien comment une certaine recherche, alliée du pouvoir politique, est utilisée par le pouvoir politique pour exercer une forte pression sur les enseignants. L’exemple récent du colloque du Grenelle de l’éducation pour redéfinir le métier enseignant est emblématique. Derrière ce colloque cinq membres du CSEN créé par le ministre actuel de l’éducation.
On assiste à une alliance d’une petite partie de la recherche en éducation et du pouvoir politique pour décider de l’avenir de l’Ecole en imposant des pratiques pédagogiques aux enseignants. Les exemples ne manquent pas des nombreux référentiels et guides verts, orange etc., des programmes d’apprentissage comme la méthode Logo de lecture , des formations obligatoires transmettant visant la conformité avec le soutien de la hiérarchie de l’éducation nationale.
Passer d’une recherche sur l’éducation à la recherche pour l’éducation
Ces pressions se font au nom d’une recherche qui se base dur des preuves et affirme connaitre les facteurs qui peuvent améliorer l’Ecole et détenir les solutions. Ce sont des recherches que ce numéro de la Revue appelle des recherches sur l’Ecole. Basées sur des appareils statistiques puissants et sérieux, dans la lignée des travaux de J Hattie, cette recherche est capable d’isoler les facteurs d’amélioration du système éducatif.
Le problème, comme le remarque JM de Ketele, c’est que la situation réelle des classes n’est pas celle des laboratoires et qu’on n’y isole pas tel ou tel facteurs. Les situations sont complexes avec des interactions entre les facteurs. D’où l’intéret de passer d’une recherche sur l’éducation à une recherche pour l’éducation, pour reprendre la formule de JM de Ketele. Les travaux de Bryk ont montré l’urgence d’avoir une recherche qui associe les acteurs de terrain et qui étudie la transition entre la recherche pure et le terrain. JM de Ketele aimerait aussi voir se développer une recherche sur les valeurs de l’éducation.
Entre le poids des grands organismes internationaux, la pression du « publish or perish », celle du politique, la recherche en éducation est face à des choix. Ce sont eux qui en partie dessineront l’Ecole de demain. Ce numéro de la Revue internationale de Sèvres montre que, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, les voix de la recherche sont diverses, les enjeux sont aussi politiques et sociaux, même si les problématiques sont communes.
François Jarraud
Revue internationale d’Education de Sèvres, n°85