Un bookflix est un mur virtuel ou réel qui présente des livres en imitant les codes visuels de la célèbre plateforme de séries et de films : sur un fond noir, des affiches incitatives et des QR code renvoient à une mise en voix, une bande annonce littéraire ou une vidéo de booktuber. Voilà ce qu’ont fabriqué les élèves d’Audrey Laurent, professeure de français, et Laurent Desmulliez, professeur-documentaliste, au collège Les Dentelliers à Calais. Pour éviter l’école buissonnière sur Netflix, faut-il, comme cela a été dit, maintenir coûte que coûte les élèves en classe, les programmes en vigueur, les examens à préparer ? Ou ne pourrait-on pas plutôt exploiter les pratiques informelles, jugées illégitimes, des élèves, utiliser les smartphones et les codes de la culture numérique pour les aider à aller vers la culture du livre ? Audrey Laurent présente ici les enjeux et les modalités du beau travail mené…
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un bookflix ?
Bookflix est une contraction entre deux mots « book » et « Netflix ». Un bookflix est une sorte de mur virtuel ou réel qui présente des livres en reprenant les codes de la célèbre plateforme de séries. Ainsi, peut-on découvrir sur un fond noir des affiches montrant des couvertures de livre, des images incitant à lire ou d’autres supports plébiscitant la lecture.
En ce qui me concerne, sur ce mur bookflix, les supports varient selon les projets, mais l’on retrouve sur chacun d’entre eux un QR code qui renvoie à une mise en voix de l’élève sous la forme d’une vidéo ou d’un enregistrement sonore.
Parmi les activités préparatoires à ce bookflix, vous mettez en œuvre le carnet de lecture : selon quelles modalités et avec quels profits ?
Le carnet de lecture sert à garder une trace de ce que l’élève a lu. Je l’utilise pour chacune des lectures longues, et ce tout au long de l’année. Il permet de garder les premières émotions, les premières questions et de faire émerger un avis, des liens avec d’autres œuvres. Je leur demande de présenter les personnages principaux, ce qu’ils ont compris de l’intrigue, les questions qu’ils se sont posées, une citation d’un passage qu’ils ont aimé, une critique développée et enfin des liens avec d’autres œuvres.
Le carnet de lecture permet de garder une trace des lectures, mais aussi de se construire une identité de lecteur. Les élèves explorent leurs goûts et les affinent. Dans leur critique, chacune de leur remarque doit être justifiée et appuyée à l’aide du texte. Je demande aussi que leur carnet soit personnalisé, à leur image. C’est un carnet qui va les accompagner tout au long de l’année. Je souhaite aussi qu’il soit le lieu de découvertes littéraires mais aussi d’expressions de soi. Enfin, le carnet est le lieu de l’échange. On peut s’en servir pour vérifier la compréhension, faire dialoguer les élèves entre eux.
Vous avez présenté le projet bookflix lui-même avant la lecture : pourquoi ? comment les élèves ont-ils réagi ?
J’ai présenté tout de suite le projet pour donner à la lecture une direction et un enjeu. Les élèves allaient lire dans le but de réaliser et de produire à leur tour un support qui les engagerait personnellement. Le fait d’en parler en amont les implique dans une lecture attentive.
Quand je leur ai parlé du projet, il y a eu deux réactions : de l’étonnement et de l’enthousiasme. De l’étonnement car beaucoup d’entre eux connaissent Netflix, mais le lien entre le livre et ce qu’ils en connaissent les intriguait. L’annonce de ce projet a attisé leur curiosité. Pour les aiguiller davantage, je leur ai montré des images de « bookflix » préexistantes.
Pour alimenter le bookflix, les 6èmes ont créé des bandes-annonces et des affiches : avec quelles consignes et modalités de travail ?
Les 6èmes ont lu Les Métamorphoses et devaient créer des bandes-annonces pour donner envie de les lire. Une fois ces dernières créées, elles seraient exposées sur le mur bookflix à l’aide d’un QR code épinglé sur une affiche.
Avant de commencer, les élèves ont construit des binômes par affinité et ont choisi la métamorphose qu’il préférait.
Puis, ils ont créé le texte et le storyboard de leur bande annonce de livre. Nous avons défini ce qu’était un booktrailer. La bande annonce de livre fonctionne comme une bande annonce de film : on présente les personnages et les éléments clés de l’histoire sans aller jusqu’à l’analyse. Voici les éléments attendus : un titre ; une présentation générale du contexte (cette étape met en avant une ambiance) ; une présentation des personnages, une présentation de l’intrigue ; une accroche en posant une question qui tienne le spectateur-lecteur en alerte ; un avis rapide. Le texte a été créé. Puis, les élèves ont dû concevoir un scénarimage, un storyboard pour rendre compte de l’organisation des différentes diapositives.
Lorsque les brouillons ont été terminés, ils ont procédé à la réalisation de la bande-annonce sur le logiciel en ligne « canva». La vidéo ne devait pas durer plus de deux minutes, de façon à ne pas lasser le spectateur. Le logiciel en ligne Canva comporte une offre gratuite. C’est un logiciel de création de vidéos et de supports de présentation en tous genres qui fonctionnent un peu comme génially. Pour y entrer, il faut donc des comptes que j’ai créés pour chacun des binômes en faisant des alias sur gmail. Je leur ai ensuite communiqué adresse mail et mot de passe, nécessaires à leur connexion. L’utilisation de Canva est très intuitive. Bien que je leur aie donné un tutoriel pour prendre en main canva, les élèves parviennent à s’en passer et se laissent aller à leur créativité.
La réalisation de la bande-annonce a pris deux séances d’une heure. Pour peaufiner, les élèves pouvaient tout à fait travailler de chez eux, à condition d’avoir une connexion internet et un outil numérique. Enfin, ils se sont occupés à conceptualiser une affiche, affiche qui serait présente sur le bookflix. Ce projet a duré un peu plus d’une semaine. L’affiche a également été conçue sur le logiciel en ligne Canva.
Pour nourrir le bookflix, les 4èmes ont quant à eux créé des « BookTubes » : comment avez-vous procédé ?
Lors de la séquence consacrée au thème « dire l’amour », les élèves ont lu une œuvre cursive en lien avec ce sujet. En fonction du niveau des élèves, je leur ai attribué un livre provenant du CDI. La lecture est faite à la maison et les élèves doivent remplir leur carnet de lecture.
Si les élèves connaissent YouTube, force est de constater que le concept de « BookTube » leur est bien souvent inconnu. Les BookTubers.euses font la critique de livres sur le réseau social. Ils présentent un livre ou une pile à lire et commentent leur lecture. Avant de commencer le projet, j’ai montré aux élèves des chaînes de BookTubers pour qu’ils visualisent au mieux les attentes.
Ensuite, en classe, les élèves écrivent leur critique à l’aide de leur carnet de lecture, que j’ai entre temps ramassé et commenté. Ils doivent prendre conscience que c’est avant tout un travail qui nécessitera une prise de parole. De ce fait, leur écrit doit comporter des marques orales et s’adresser à un internaute invisible. Lors de cette étape, les élèves se rendent compte que ce n’est pas si facile que cela d’être un youtuber (un booktuber encore moins), que cela demande du travail. La construction des propos est également importante. Il faut développer, ordonner les idées tout en ne lassant pas. Après que leur écrit est terminé, les élèves doivent imaginer une façon de scénariser leurs propos, en trouvant un objet, un décor en lien avec le livre.
Puis, une fois la critique écrite, ils doivent réfléchir à la mise en scène et travailler l’oral. C’est à la fin de cette dernière étape que l’élève se filme. Soit, l’élève fait la vidéo de chez lui, soit il la fait directement au CDI. Les deux sont possibles. Professeur documentaliste et de lettres, nous travaillons ensemble car la littérature est concernée, mais également le lieu du CDI (ou 3C) qui est le lieu du livre. Quand la vidéo est terminée et postée, j’obtiens le QR code sur le site unitag.
Il ne nous reste plus qu’à faire les affiches au CDI. Pour les 4ème, j’ai voulu reprendre les codes de Netflix. Ainsi trouve-t-on : un titre ; les codes de Netflix : pourcentage d’appréciation et de recommandation ; une amorce donnant envie de lire l’œuvre ; une critique ; une image du livre.
En quoi consiste le support de présentation amené à être présenté sur le mur bookflix ?
Il s’agit simplement d’un panneau de bois que nous avons tapissé de noir et sur lequel nous avons collé le logo « bookflix » et les autres onglets « titres, auteurs, ajouts récents ». Le panneau a été créé avec les sixièmes volontaires de la section CHAP. Pour mieux mettre en avant le livre, mon collègue documentaliste, a mis en place deux présentoirs qui permettent d’emprunter le livre dont l’élève a écouté la critique.
Les fiches sont donc imprimées et rassemblées sur ce panneau au CDI : pour quels usages et quels profits ?
Le panneau est visible du CDI. Dès qu’on franchit la porte, on tombe nez à nez sur le panneau. Notre volonté était d’attiser la curiosité des habitués du CDI et de faire en sorte de discuter autour de livres, puis que ces mêmes élèves découvrent le travail de leurs pairs. Ce projet donne au CDI et au professeur documentaliste une place capitale. Ce mur « bookflix » se voit comme un mur de promotions de livres. L’élève fait un choix et emprunte une œuvre. Ainsi, c’est l’élève qui va guider le choix et amener une autre lecture. Les professeurs de français et le documentaliste travaillent donc de concert dans ce projet et ce, pour promouvoir, le livre, les élèves et leurs goûts littéraires. L’usage du portable, dans ce cadre, est autorisé. En effet, les élèves en ont besoin pour flasher le QR code. Notre objectif est de valoriser les livres et le lieu où l’on peut les emprunter.
Au final, quels vous semblent les intérêts pour les élèves d’un tel projet ?
Au-delà de l’attrait du support pour les élèves, on trouve d’autres intérêts. Ce projet aide à l’appropriation des œuvres parce qu’il concrétise des éléments de l’histoire. Dans le cas de la bande annonce de livre, les élèves en binôme ont eu à faire des choix en regard de l’histoire (décor, illustration des personnages, couleurs…) et à les défendre. Ils devaient créer une ambiance sonore et visuelle qui rendait compte des sensations qu’ils avaient éprouvées pendant leur lecture. Par exemple, sur les booktrailers concernant « Deucalion et Pyrrha », on a une musique à la tonalité tragique avec la crainte de la fin du monde. Ainsi, mettre en image et en son permet-il de concrétiser, de rendre « réels » des personnages, des décors, des accessoires imaginés. Le recours à l’image fixe comme à l’image en mouvement aide à la matérialisation, à la mise en relation et en cohérence des éléments de l’histoire. Ensuite, ce travail leur a permis de dépasser leur opinion pour parvenir à une argumentation plus éclairée. Les élèves ont pu enfin exprimer leur avis. Ils ont été placés en position d’acteurs, mais pas seulement, ils sont aussi réalisateurs et critiques.
A la lumière du projet, en quoi vous semble-t-il pertinent d’utiliser les codes et usages de la culture numérique pour aider les élèves à aller vers la culture du livre ?
Utiliser la culture numérique permet de garantir un aspect ludique à la restitution littéraire. Et donc, cela permet d’engager les élèves dans une production personnelle. Mais avant de parvenir à la tâche finale, ils doivent faire résonner et incorporer l’œuvre lue.
A travers le jeu de la vidéo, l’élève façonne et devient lui-même auteur d’une interprétation et d’un jugement. Cela contribue à faire sien le texte lu. Ce projet met en relation le livre avec l’individualité. C’est une démarche inconsciente que nous avons exprimée ici de façon consciente : un élève lecteur est un élève acteur, un élève réalisateur d’une histoire, un élève auteur d’une interprétation.
Ensuite, les outils numériques sollicités pour créer cette affiche en réalité augmentée visent à moderniser, dynamiser et concrétiser les œuvres littéraires. Le projet « bookflix » est protéiforme, même si le canevas de l’affiche ne change pas, le QR code, lui, renvoie à un support numérique qui varie et qui n’adopte pas toujours le même format. Les pratiques sont ainsi modifiées. C’est une autre manière de rendre compte de sa lecture, de ses impressions et de ses émotions. En sollicitant la créativité de l’élève, on peut agir sur sa motivation et par la même occasion sur sa compréhension de l’œuvre. Enfin, le support numérique peut aussi permettre de donner envie à d’autres élèves de lire les œuvres.
Quels prolongements ou adaptations jugez-vous possibles ?
Le mur Bookflix n’est pas statique et varie en fonction des activités. Il n’est pas réservé non plus à un seul professeur, mais s’adresse à l’ensemble des professeurs. Pourquoi ne pas faire un mur Bookflix en ligne qui permettrait de visualiser les lectures des élèves à travers l’ENT de l’établissement ? On pourrait même imaginer un rendez-vous mensuel pour donner rendez-vous au CDI et donner à voir soit les nouvelles acquisitions, soit les nouvelles activités liées au livre.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Voici quelques exemples de bande-annonce de 6èmes
La chaîne YouTube « De la plume à la voix »
Modèle de fiche de présentation Bookflix
Exemple 1 de fiche de présentation Bookflix
Exemple 2 de fiche de présentation Bookflix