Lors de leur conférence de presse de rentrée, le 16 septembre, les Régions ont souligné le rôle important qu’elles ont joué pour assurer « la continuité pédagogique » dans les lycées et leur « hyper mobilisation » pour garantir aujourd’hui la sécurité sanitaire. Elles en ont aussi appelé à l’aide de l’État dans deux secteurs au coeur de leur engagement. Dans le numérique éducatif d’abord, elles réclament davantage d’investissement. Dans l’apprentissage ensuite, elles tirent la sonnette d’alarme, brandissant le risque de voir disparaître des CFA, notamment ruraux, avec la mise en oeuvre de la réforme Pénicaud qui les a privées de cette compétence.
« On a été sorti par la porte et par la fenêtre par le précédent gouvernement de la responsabilité de l’apprentissage », a rappelé François Bonneau, président délégué de Régions de France et président de la Région Centre Val-de-Loire. Or, avec la première année d’application de la réforme, l’élu voit confirmées toutes ses craintes. « On avait dit attention à Madame Pénicaud : si demain une grande enseigne, par exemple de shampoings et de cosmétiques, veut se lancer dans l’apprentissage, vous allez affaiblir les autres CFA. On ne croyait pas si bien dire. L’Oréal est en train de créer son propre réseau et cela pose problème aux autres CFA qui vont voir les apprentis partir. »
C’est sur la question de l’apprentissage que le président de Régions de France a eu les mots les plus forts. La réforme, combattue en vain, n’est manifestement pas passée. Et même si François Bonneau a rejeté tout « revanchisme », les Régions ne comptent pas en rester là.
Financement par apprenti
La réforme, concoctée par l’ancienne ministre du Travail d’Édouard Philippe, instaure notamment la liberté d’installation pour les CFA. Leur financement est désormais fonction du nombre de contrats d’apprentissage. Une erreur qui risque de coûter cher, selon François Bonneau, notamment pour les plus bas niveaux de qualification. « Payer au contrat, c’est fragiliser certaines formations et certains CFA en zone rurale, explique le président délégué de Régions de France, on fait dépendre la dynamique d’un CFA du nombre de contrats. Mais si on ferme des CFA au moment où ça va mal… »
D’ores et déjà, alors même que le gouvernement a fait de l’apprentissage la pierre angulaire de la formation professionnelle, l’offre se rétrécit et de plus en plus de jeunes cherchent en vain des contrats. Avec la crise économique, les petites entreprises renoncent à recruter des apprentis. A terme, François Bonneau voit poindre un danger : « L’apprentissage va être aux mains de grands opérateurs qui n’ont pas une vision du développement des territoires. »
Les collectivités, convaincues d’être les mieux à même de définir les métiers de demain, veulent encore y croire. « Nous sommes disponibles pour discuter de la place des Régions dans l’apprentissage », a proposé François Bonneau.
Bandes passantes
Sur le numérique éducatif, les deux élus – outre François Bonneau, Kamel Chibli, président de la Commission éducation de Régions de France et vice président de la Région Occitanie – ont été clairs : les collectivités attendent un investissement plus fort de l’État.
« En quelques heures, lorsque les lycées ont fermé en mars, nous avons accru la bande passante pour les cours en ligne, cela a permis un enseignement à distance massif et généralisé. », s’est félicité François Bonneau. « Nous avons montré notre capacité à assurer la continuité pédagogique avec les ENT (environnement numérique de travail) dont la fréquentation a été démultipliée », a complété Kamel Chibli.
Des efforts ont été aussi faits pour fournir des ordinateurs aux élèves de milieu défavorisé dont les familles n’en possèdent qu’un pour tous les membres, voire aucun. Sans pour autant éviter « l’aggravation du décrochage des élèves de familles en difficultés », a regretté Kamel Chibli.
Mais l’État doit s’engager davantage aux côtés des Régions. Elles attendent ainsi du concret des États généraux du numérique éducatif, prévus en novembre prochain. « S’ils ne sont qu’un constat », a averti Kamel Chibli, cela ne servira à rien, « si c’est pour dire « Accompagnons les collectivités », il faudra alors que l’État aille plus loin » et qu’il mette la main au portefeuille.
Bras de fer
En toile de fond, les deux élus n’ont pas caché l’enjeu en cours : l’assurance pour les Régions d’obtenir une part des sommes annoncées dans le plan de relance – qui prévoit notamment 35 milliards d’euros pour la cohésion sociale et territoriale -, avec un rôle à jouer dans le déploiement des mesures sur le terrain.
« Nous avons été reçus par le premier ministre Jean Castex à propos de l’impasse budgétaire dans laquelle nous nous trouvons, a expliqué François Bonneau, il n’y a rien pour les Régions alors que nous avons les compétences Économie et Formation. Nous avons signé un accord de méthode. Il y a eu de l’écoute mais il y a aussi un bras de fer. »
Gels et rénovation thermique
Plus largement, les deux élus ont dressé un bilan très positif de l’action des Régions dans le domaine éducatif sur fond de crise du Covid-19. Tout est en place à cette rentrée pour assurer la sécurité sanitaire dans les établissements et les agents sont « hyper mobilisés ». Les lycées disposent de gel, les élèves reçoivent des masques gratuits. Un plan de circulation a été mis en place dans les locaux et les services de cantine ont été modifiés. Certaines Régions ont par ailleurs rendu gratuit le transport scolaire.
A propos de la nouvelle compétence qui leur échoit à cette rentrée, celle de l’orientation, les élus ont évoqué des expérimentations. François Bonneau a cité, dans le Centre -Val-de-Loire, la constitution d’un « pôle d’ingénieurs de l’orientation ». Les collectivités entendent par ailleurs prendre part à la transition énergétique. Elles prévoient d’importants investissements pour rénover les bâtiments mal isolés, changer de source d’énergie, améliorer le système de régulation de la chaleur… ainsi que la construction de « lycées du futur ».
« On croit à la décentralisation, a plaidé en conclusion François Bonneau, la crise est un accélérateur, les solution verticales ne fonctionnent plus. Demain s’invente sur les territoires. » Et pour cela, il leur faut des moyens à la hauteur de leur ambition.
Véronique Soulé