Depuis quelques années une nouvelle pratique voit le jour : le hand à 4. Pour autant suffit-il de faire jouer les élèves à 4 contre 4 pour les transformer ? Pascale Jeannin, enseignante en STAPS Sorbonne Paris Nord, à l’origine de cette nouvelle pratique, explique son intérêt. Elle présente aussi les pistes pour adapter le hand à 4 à la crise sanitaire actuelle.
Qu’est-ce que le hand à 4 ?
Le hand à 4 est un concentré de handball, on retrouve une cible à attaquer ou à défendre, la présence de partenaires, d’adversaires et de l’incertitude. Il permet de vivre une « tranche de vie de handballeur », mais sa particularité comme son nom l’indique est de se jouer à 3 joueurs de champ + 1 Gardien de But (GB), sur un terrain qui mesure environ 20X13m. La zone rectiligne, ou en arc de cercle, se situe entre 4 et 5,50 mètres du but en fonction des capacités et des gabarits des joueurs. Cette dernière étant plus proche, les buts sont légèrement plus petits (2,40X1,70 m) qu’en handball afin de rééquilibrer le rapport de force entre le GB et le tireur. Un terrain de handball à 7 accueille 3 terrains de hand à 4. C’est un handball qui se joue partout : indoor, outdoor, city stade, herbe…
Cette pratique est accessible au plus grand nombre, elle s’adresse au débutant comme à l’expert. Le contact est aménagé -neutralisation supprimée- afin que chacun puisse s’exprimer sans appréhension. Les joueurs prennent plaisir à marquer beaucoup de buts. Engager le gardien après un but favorise en effet le jeu rapide et l’accès à la marque. Notons que cette forme de pratique, à l’origine scolaire, est désormais labellisée par la fédération Française de Handball (depuis janvier 2017).
Pourquoi ne pas jouer justement comme le hand traditionnel à 6 ou à 7 sur le terrain classique ?
Pour 12 élèves qui jouent, il en reste 18 sur la touche en handball traditionnel ! Le temps de pratique est plus que restreint… Aussi, frustrée d’assister à des matchs ou le score affiche péniblement 2-1 après 10 minutes de jeu, et ou les moins sportifs -majoritairement des filles- sont cantonnés à l’aile et touchent rarement le ballon, je pense qu’une autre forme de pratique devait s’imposer pour garantir un temps de pratique suffisant pour permettre à chaque élève de se transformer.
Plus que de vivre une expérience, je souhaite que mes élèves (ou étudiants désormais) vivent rapidement une émotion de handballeur qui leur procure du plaisir tout en se transformant !
Les tirs et les buts ne sont plus la propriété de certains mais bien de tous les élèves. Notre objectif est de permettre à chaque élève d’être marqueur ! Cette émotion se caractérise individuellement et collectivement en attaque par un nombre important de buts marqués (en moyenne 1 but / minute en D1 actuellement, contre 1 but /4 minutes en milieu scolaire en handball traditionnel), et par des ballons volés en défense pour se confronter de nouveau au duel tireur / gardien pour marquer un but.
Pour vivre cette émotion, il faut faire des choix. Ainsi, avec B. Cremonesi et J. Bouchez, enseignants d’EPS dans un collège voisin, nous avons opté, entre autres, pour les compétences « Tous Marqueurs » et « Tous Voleurs de ballons ». Intercepter un ballon pour marquer un but sont des actions individuelles qui témoignent de compétences qui se construisent avec l’équipe. A 3 joueurs de champ, le jeu imposera à chacun de tirer ou d’intercepter. Le hand à 4 oblige ses pratiquants à prendre en permanence des décisions, des responsabilités dans le jeu et à les assumer au sein de leur collectif.
Vous semblez donner beaucoup d’importance au plaisir et aux émotions, la multiplicité des règles n’est-elle pas antinomique avec ce plaisir ?
Je crois que pour accéder à ce plaisir et cette émotion, les élèves doivent intégrer le sens du jeu et les possibilités que leur confèrent les règles. La règle est ce qui leur permet de jouer ensemble. Je l’envisage dans mon enseignement comme un pouvoir, un crédit d’actions potentiel plutôt qu’une contrainte à respecter. Ainsi je l’aménage en fonction des capacités du moment et des compétences visées.
Avec des élèves du cycle 3 n’ayant pas encore construit la notion de progression vers la cible adverse je leur donne la possibilité d’accéder au tir sans se soucier des règles de déplacement (3 pas, dribble), je propose une course illimitée. En leur offrant le pouvoir de courir vers le but sans se préoccuper du nombre de pas, ils construisent cette notion de « gagne-terrain » : Tous Traverseurs !
La situation de tir est attrayante, leur plus grand plaisir est de marquer un but, c’est l’essence même des sports-co : en marquer un de plus que l’adversaire. Aussi il revient à l’enseignant de construire au fur et à mesure de leurs progrès cet accès à la cible, en se rapprochant progressivement du jeu codifié qui nous sert de référence. Les règles sont alors adaptées dans un but de transformations motrices, elles sont choisies et utilisées graduellement dans l’optique de leur laisser la liberté de s’exprimer en fonction de leurs ressources disponibles et de développer de nouvelles compétences. Le hand à 4 permet à ce titre d’utiliser un aménagement différent d’une même règle sur les 3 terrains, en fonction des capacités actuelles de chacun.
L’augmentation du temps de pratique est-il suffisant pour transformer les élèves notamment ceux en difficultés ?
Coopérer pour s’affronter nécessite un réel apprentissage, c’est une activité rendue complexe par une incertitude permanente et par la contrainte spatio-temporelle. Offrir un temps de pratique plus important est une condition indispensable pour transformer tous les élèves, mais non suffisante. Outiller nos élèves d’une lecture du jeu par la reconnaissance d’indices me semble fondamental, ceci leur permettra de réaliser des choix de plus en plus pertinents.
L’activité perceptivo-décisionnelle nécessite une adaptation permanente des élèves handballeurs, elle deviendra efficace si la réalisation motrice est à la hauteur de la décision. La technique prend alors toute sa dimension, elle est au service de la réalisation du choix opéré, c’est une ressource. Elle n’est pas juxtaposée mais contextualisée dans le jeu. Elle devient aussi fondamentale que l’activité perceptivo-décisionnelle, cela prendra du sens pour les élèves de travailler des situations dans lesquelles par exemple l’ajustement du timing d’engagement pour traverser la défense est obligatoire. Pour faire progresser tous les élèves, distiller des critères de réalisation précis, qui deviendront des règles d’action pour l’équipe une fois que chacun en aura ressenti l’efficacité dans le jeu, me semble être un gage de transformations pour chacun.
Vous pouvez illustrer ?
Afin que le jeu soit toujours attrayant pour les lycéens qui commencent à se confronter au jeu placé, l’enseignant doit leur permettre de développer des ressources pour continuer d’être « Tous Traverseurs ». La densité des joueurs est plus grande, elle impacte leur prise d’information. Les aiguiller pour lire le jeu va les aider dans un premier temps. Je leur pose simplement une question avant de jouer : « face à ce dispositif 2-1 avec deux défenseurs avancés, qu’est-ce que le pivot peut faire pour récupérer la balle et tirer, ou pour aider ses arrières à accéder au tir ? ». Après un temps de jeu, ils ont des réponses, qu’il convient de traduire dans un vocabulaire handballistique. Leur regard se focalise sur le pivot se trouvant dans le dos de ces 2 défenseurs avancés et sur ce qu’il peut apporter à l’équipe, c’est une première lecture du jeu.
En choisissant l’aide apportée aux arrières, la notion de « passe et va » apparaît souvent. Pour que ce « passe et va » soit efficace, des indicateurs précis sont donnés sur l’appel de balle du pivot, dans quel espace, sur le timing d’engagement de l’arrière, sur l’espace libre à investir, sur son replacement s’il n’a pu tirer… La technique est là, au service du choix réalisé. Utilisée dans ce contexte, elle devient une aide précieuse à l’apprentissage. Les élèves savent ce qu’ils ont à faire, tous, même ceux qui rencontrent des difficultés. Reste alors à transformer, par un temps de pratique important, ce savoir en savoir-faire. L’enseignant peut s’autoriser à limiter le crédit d’actions des défenseurs en fonction des capacités de chacun, l’utilisation des 3 terrains permet d’adapter le rapport de force en conséquence.
Justement, comment réussir à transformer les élèves, comment s’organise vos formes groupales ?
Je travaille depuis quelques années maintenant sous forme de « clubs ». Brest joue contre Metz (D1 féminine), ou Montpellier contre le PSG (D1 masculine). Chaque club est constitué de 2 ou 3 équipes de niveaux, besoins différents (équipe 1, 2 ou 3). Lors de chaque phase de matchs les élèves peuvent s’exprimer pleinement en fonction de leurs capacités puisque les équipes sont homogènes en leur sein, l’équipe 2 de Metz rencontrera son homologue de Brest. Disposer de 3 terrains est alors un réel avantage. Les buts de chaque équipe sont comptabilisés pour apporter des points à leur club, on gagne le match par club pas forcément par équipe.
En faisant ce choix je m’assure que chaque élève puisse jouer en assumant ses décisions dans le jeu et puisse marquer des buts. Je pense ici notamment à ceux qui sont le plus éloignés des acquisitions attendues. Ils osent jouer, prendre des responsabilités dans le jeu. Ils ne se cachent plus pour ne pas recevoir le ballon, ou en passant le plus clair de leur temps remplaçant à leur initiative, ou à l’initiative de camarades « bienveillants » qui décident pour eux…
Chacun peut s’exprimer au sein d’une équipe qui correspond à son niveau de jeu, et apporte ainsi sa contribution au gain du match collectif du club. Les points de l’équipe 3 valent autant que ceux de l’équipe 1. Ils vivent ainsi une réelle interdépendance positive.
Pourquoi travailler sur la défense « tous voleurs de ballons » ? N’est-ce pas trop tôt ?
En 12 à 15H maximum de pratique pour une séquence d’enseignement, l’enseignant doit effectuer des choix. La compétence « Tous voleurs de ballon » va traverser l’intégralité du continuum de formation, elle est recherchée aussi bien dans la mise en place d’une défense individuelle tout terrain que dans une défense organisée collectivement autour de la zone.
En misant sur la récupération du ballon comme choix d’intention défensive prioritaire, j’invite les élèves à être plus actifs dans cette phase de jeu. « Voler » la balle va les inciter à occuper davantage d’espace en défense, à lire davantage le jeu. Ce n’est jamais trop tôt.
Je note trois avantages, le premier consiste à récupérer la balle et la monter rapidement pour aller marquer un but avant que l’équipe adverse ne se soit replacée en défense, ce qui est plus simple. Le changement de statut défenseur / attaquant s’effectue plus vite. Le second consiste à s’organiser collectivement pour la récupérer en fonction de son positionnement : face, proche ou loin du porteur de balle. Ils apprennent ainsi à coordonner leurs actions dans un but de récupération collective. Enfin le dernier avantage consiste à considérer la défense comme un tremplin vers des progrès offensifs. L’intention de « Voler » la balle en défense permet à l’attaque adverse de se confronter à un dispositif défensif étagé qui offre de l’espace à investir dans le dos et entre les défenseurs, l’accès au tir est ainsi facilité quand ils perçoivent ces espaces. Ce choix permet, à mon sens, dans un temps d’apprentissage contraint de vivre une émotion de handballeur rapidement.
Dans le contexte actuel de crise sanitaire, quelles pistes les équipes EPS peuvent-elles adopter pour permettre de maintenir une distanciation ?
Merci tout d’abord de me poser la question, effectivement cela fait partie de nos préoccupations à l’heure actuelle que ce soit dans le cadre scolaire, mais également universitaire, et fédéral.
La démarche habituelle s’impose : quels choix didactiques réaliser (espace, effectif, règles…) afin que les élèves puissent se transformer, en ajoutant le paramètre « sécurité sanitaire » ?
Le hand à 4 se jouant en effectif réduit, il nous permet en modifiant l’espace de jeu d’assurer une distanciation intéressante. En passant de 3 terrains à 2, dont nous augmentons la largeur jusqu’à 17-18m, la surface d’évolution est d’environ 170m2 pour les 6 joueurs de champs (si la zone est à 5 mètres). Ceci aura pour incidence d’augmenter l’espace des intervalles.
Quant aux règles possibles à adapter, notre première pensée va vers le contact. Habituellement en hand à 4 le contact est aménagé, la neutralisation étant supprimée il reste l’opportunité au défenseur face au porteur de balle d’entrer en contact en l’accompagnant. Actuellement cette dernière est supprimée et remplacée par un décompte du défenseur. Lorsque le bassin et les appuis de ce défenseur sont face à celui du porteur de balle, et qu’il se trouve à distance d’un bras, il peut compter à haute voix jusqu’à 3. Si à « 3 »la balle n’a pas quitté la main de son vis-à-vis, elle lui revient (merci Alexandra Demogeot, académie Martinique, pour cet apport).
Dans l’idée de favoriser la circulation des joueurs sur le terrain, et de limiter les rapprochements, comme au Beach Hand où les contacts sont interdits et le dribble est fortement compliqué sur le sable, nous avons essayé d’insérer ces règles. Le dribble s’effectuera à partir du moment où aucun défenseur n’est présent entre le porteur de balle et la cible à attaquer. Sont favorisés le mouvement des joueurs en attaque et les interceptions en défense, tout en limitant le temps de possession de balle à 3 secondes.
Évidemment rien n’est parfait, et tout est question d’adaptations permanentes, et en choisissant de jouer également avec des dispositifs défensifs « étagés » cela garanti un espace de jeu suffisant pour 6 joueurs de champ.
Propos recueillis par Antoine Maurice
AEEPS : Présentation du Hand à 4
« Le Hand à 4 pour viser l’égalité des chances » :
Le handball permet-il aux élèves d’accéder à la même réussite?
« Tous Traverseurs » – Grille de lecture de motricité et de décision
Les différents rôles travaillés
Évaluation – Choix pédagogiques et didactiques
EPS et société :