Le robot fascine, la robotique émerveille ! L’histoire de l’automatisme et de son développement est d’abord l’histoire de la substitution de l’homme par la « machine ». Plutôt que de porter de l’eau dans des poches ou sacs étanches on a organisé l’adduction. De Salins les bains aux Salines royales d’Arc et Senans, via le saumoduc, on comprend l’ingéniosité de l’humain pour faire face à des tâches difficiles. Automatisation et mécanisation vont de pair et les robots, appelés d’abord automates, vont rapidement peupler notre imaginaire et celui des enfants. Le jouet s’inspire de cette fascination ou plutôt accompagne cet émerveillement que ce soit devant la représentation humaine ou quasi humaine (baigneurs, poupées, et autres) ou devant les automates et automatismes qui sont associés à ces objets (de la voix des poupées, aux trains électriques…). Pour l’enfant il s’agit de la représentation de l’humain adulte que l’on peut « dominer » parce que de forme adaptée à l’enfant.
En classe, des activités limitées
L’engouement pour la robotique à l’école maternelle et élémentaire est aussi basée sur ces représentations. En forme de coccinelle, jadis de tortue, ou plus récemment d’animal de compagnie ou encore humanoïde, le robot et ses automatismes crée un espace d’émerveillement qui suscite la motivation et l’engagement de l’enfant dans les tâches, alors scolaires, qui lui sont proposées. Au-delà, c’est la programmation et donc la prise de contrôle de la machine par l’enfant qui est le moteur d’intérêt pour cette activité. En effet l’enfant rejoint là un de ses propres moteurs de développement : maîtriser le monde qui l’entoure par des activités dans lesquelles il montre progressivement sa « prise de contrôle » de cet univers. Toutefois les démonstrations des activités menées en classe avec ces robots révèlent que les activités sont souvent très limitées : anticipation de l’action par la programmation, identification et mise en place de procédures adaptées pour affronter des obstacles.
Margarida Romero (INSPE académie de Nice Université de Côte d’Azur, directrice du Laboratoire d’Innovation et Numérique pour l’Education – LINE) est une des auteurs (avec Viviane Vallerand) d’un guide d’activités avec les robots et la programmation. Elle met en évidence les dynamiques possibles et propose des fiches d’activités testées en classe. De même Jacques Béziat a publié un article intitulé : « À l’école primaire, robotique éducative en milieu ordinaire », qui fait le point sur cette question. On le voit, autour de la robotique à l’école primaire, promue dans les textes officiels depuis 2015 en lien avec l’apprentissage de la programmation, se construit un ensemble de pratiques qui sont censées aider les enfants à accéder à l’informatique et ses fondamentaux.
Derrière les robots, l’enseignement de l’informatique ? Le retour de la programmation dans les programmes scolaires (langages dans le socle par exemple) de l’école élémentaire au lycée (enseignement en seconde, spécialité en 1ere et terminale) est le signe d’une part de l’importance accordée par les politiques à cette question dans un contexte industriel de concurrence autour du numérique et d’autre part d’une curiosité présente dès le début des années 1970 pour ce qui se passe dans ces « machines » que sont les ordinateurs, mais surtout leurs programme. Cette curiosité prend de nombreux habits pour s’exprimer : analogie avec le cerveau, rigueur de la programmation (comme jadis le latin ou les mathématiques), besoin de dominer la machine, nécessité d’apprendre à « soulever le capot » etc. De nombreux arguments sont donc porteurs de cette volonté qui dépasse bien sûr le robot et même le rend anecdotique.
De la robotisation au fantasme
Car au-delà du robot, c’est de la robotique dont il s’agit. Et là ce n’est pas nouveau car l’enseignement technologique et industriel travaille les automatismes et la robotisation depuis près de quarante années. L’informatisation de la société a transformé et concerné l’ensemble de la société, la robotique est une partie de ce développement dont on connaît les enjeux en particulier depuis le film magistral de Charlie Chaplin, « Les temps modernes » (1936). L’automatisation industrielle est un enjeu majeur de nos sociétés confrontées aux coûts de la main d’œuvre et le secteur automobile est un des plus impliqués dans le dilemme humain/machine. Enjeu industriel, enjeu économique, la robotisation est un facteur important d’évolution dans les entreprises de productions. Avec le développement des algorithmes, la miniaturisation, les robots rentrent dans de nombreux secteurs professionnels : entrepôts de stockage par exemple.
Loin des petits robots humanoïdes qui sont surtout anecdotique et dont les capacités « humaines » sont souvent très faibles, il y a donc des univers professionnels dans lesquels ils ont leur place, mais le plus souvent sans ressembler à des humains tout au plus à des membres supérieurs articulés, et encore. Toutefois une représentation idéalisée du robot circule toujours dans l’enseignement : le robot enseignant, remplaçant de l’enseignant comme ont pu en entendre parler à propos de la Corée du Sud en 2010, et réitéré en 2018. Cette image qui n’est pas nouvelle reste cependant un fantasme qui traverse nos sociétés technologisées, numérisées. Lorsque l’on effectue des recherches sur ces questions on s’aperçoit que le ministère via la DNE (Direction du Numérique pour l’Education) a initié un groupe de travail porté par l’IFE/ENS de Lyon qui régulièrement tente de rassembler les travaux sur ces questions, montrant ainsi l’intérêt pour ces questions de robotisation. Bien sûr ces travaux montrent un tout autre aspect de la question des robots en éducation ce qui ouvre des horizons de réflexion intéressants.
Des robots à enseigner ?
Reste enfin à aborder un sujet qui est finalement annexe, celui des robots dits de télé présence. Surnommés « Skype à roulette » et soutenus par le ministre de l’éducation qui a suggéré d’en déployer dans toutes les académies, ces « robots » ont pour fonction de donner accès à la salle de classe ou de cours à des élèves empêchés de se déplacer (ceci pourrait être valable pour un enseignant aussi). La particularité de ces appareils est d’être une représentation à distance d’une personne sous la forme d’un écran sur roulettes pouvant personnifier la personne à distance. Il n’a de robot que l’apparence car ce n’est simplement qu’un système de visioconférence mobile et pilotable à distance (nous en avons fait la démonstration à Ludovia il y a quelques années). On pressent bien que ce type d’appareil mériterait d’être enrichi de fonctionnalités, non pas dans le sens d’une robotique, mais dans le sens d’une intégration à l’écosystème local dans lequel il agit : ainsi le lien numérique entre l’élève à distance et les élèves en classe pourrait dépasser le simple échange audio et vidéo et s’enrichir de documents partagés ou de ressources échangées par exemple. Par contre ce « faux robot » est en fait un véritable humain à distance, encore faut-il lui donner les moyens d’agir dans le milieu dans lequel il intervient. Ces robots sont d’abord des machines qui prolongent nos fantasmes de télécommande du monde qui nous entoure.
Ce qui pose problème concernant les robots en éducation est l’effet sur ses utilisateurs : sont-ils des remplaçants, des béquilles, des prothèses ou sont-ils de véritables auxiliaire intelligent de l’humain ? Font-ils simplement rêver où sont-ils vraiment utiles. Hormis des applications pédagogiques visant à développer la conscience et la capacité à dominer les machines (programmation) les robots ne représentent pas une menace pour l’enseignement ni même une aide vraiment efficace, en tout cas pas sous la forme de machines humanoïdes ou non. Ce sont les algorithmes et les programmes contenus dans toutes les sortes de machines qui nous entourent qui seront porteurs de véritables questionnements pour l’enseignement. Pour l’instant on se cantonne principalement à des répétiteurs, des auxiliaires, voir des aides à l’évaluation (adaptive learning) et au diagnostic des difficultés d’apprentissage. Il est fort probable que les chercheurs qui ont tenté de modéliser depuis longtemps l’activité d’enseigner vont être amené à expérimenter des solutions nouvelles pour enseigner avec l’aide des « machines », alors les robots en particulier humanoïdes ne seront qu’une forme « amusante » de l’activité de ces machines et surtout de ces algorithmes qui s’incarneront davantage dans les smartphones que dans d’autres formes plus humaines…
Bruno Devauchelle
Article « À l’école primaire, robotique éducative en milieu ordinaire« , Jacques Béziat, revue Spirale, 2019/1 (N° 63), pages 91 à 109
Des robots enseignants en Corée du Sud
Journées de l’IFE/ENS octobre 2018