Comment aider et accompagner au mieux son professeur stagiaire ? Vaste question que chaque tuteur s’est souvent posée sans pour autant constater de changement sur les séances suivantes… Laurent Michel, enseignant d’EPS et formateur à l’INSPE pousse la réflexion avec une thèse autour du coteaching pour voir les leviers possibles du développement du stagiaire et du tuteur.
Vous travaillez autour des concepts de travail partagé, et plus particulièrement autour du concept de coteaching. De quoi s’agit-il ?
Je travaille effectivement autour des notions de travail partagé, de coenseignement, et plus particulièrement autour du concept de coteaching. Mon travail de recherche étudiait les effets d’un modèle d’enseignement de type coteaching sur la formation initiale d’un enseignant novice. Concrètement, j’ai étudié comment se construisait la professionnalité enseignante d’un enseignant stagiaire lors d’une activité d’enseignement menée conjointement entre lui et son tuteur.
Pour revenir au concept de coteaching celui-ci correspond à l’action au cours de laquelle deux acteurs sont engagés ensemble à tout moment pour l’apprentissage des élèves à partir d’une action de co-planification, de coenseignement et de co-évaluation (Roth & Tobin, 2001 ; 2005). Cette action implique donc une responsabilité partagée entre les acteurs afin de répondre aux besoins des élèves. L’objectif affiché est de fournir aux apprenants les expériences d’apprentissage les plus efficaces et les plus agréables, tout en offrant aux acteurs la possibilité d’apprendre les uns des autres et améliorer ainsi leur propre pratique.
Mon choix d’approfondir ce format que représente le coteaching s’explique par sa dimension assez large au sein des modèles de collaboration enseignante au sein de la classe. En effet, en plus d’impliquer les deux acteurs au-delà de la leçon puisqu’ils collaborent lors des phases de co-planification et de co-évaluation, le coteaching peut également se décliner sous différentes formes de modèle, en fonction notamment des acteurs choisis. Ils peuvent par exemple avoir le même statut (deux enseignants novices ou deux enseignants chevronnés) ou, au contraire, des statuts bien distincts (un enseignant novice et son tuteur, mais aussi un enseignant et des parents, etc.).
Justement, vous expliquiez, au préalable, que votre travail portait sur une action de coteaching entre un tuteur et le stagiaire dont il a la responsabilité. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a poussé à faire ce travail d’enquête autour de la formation initiale des enseignants stagiaires ?
Formateur à l’ESPE pendant plusieurs années, je me suis naturellement assez vite intéressé à la formation des enseignants, notamment dans le cadre de leur mise en stage. Ce moment constitue, en effet, le lieu de formation où s’actualisent les savoirs acquis à l’université. Dans le cadre de ces stages, je me suis vite aperçu que le modèle traditionnel de tutorat demeurait toujours dominant.
Pour rappel, ce modèle traditionnel consiste en une situation d’enseignement menée en responsabilité par l’enseignant novice et observée par son tuteur. Il s’ensuit un entretien de conseil pédagogique au cours duquel les acteurs échangent en prenant appui sur la leçon observée.
Or, les nombreuses visites que j’ai pu réaliser en tant que formateur ESPE m’ont permis d’observer que ce modèle présentait de sérieuses limites quant à l’apprentissage des règles du métier d’enseignant chez le professeur stagiaire, cela étant corroboré par la littérature scientifique (Bertone, 2016). Cette limite s’exprimait notamment par la frustration, chez le tuteur, de ne pas voir son stagiaire appliquer les nombreux conseils qu’il pouvait lui apporter lors de l’entretien de conseil pédagogique. Si plusieurs hypothèses peuvent expliquer cela, je pense que les conseils du tuteur sont souvent attribués sur la base de son épaisseur professionnelle et des préoccupations qu’il peut avoir au regard de son expertise. Ces conseils demeurent alors difficilement audibles et endossables pour un enseignant novice dont les préoccupations sont caractéristiques d’un « genre débutant » (Saujat, 2004).
Face à ce constat, j’ai donc souhaité étudier les effets d’un format « non traditionnel » au cours duquel le tuteur se permettrait d’intervenir lors de la situation d’enseignement. Ce format collaboratif présente l’atout d’envisager une action d’enseignement partagée entre le tuteur et l’enseignant novice, ce qui permet ainsi d’envisager cette action de coenseignement également comme un lieu d’apprentissage des règles de métier. En outre, ce format de coenseignement me semble essentiel pour permettre aux acteurs de partager leurs préoccupations dans le cours même de l’action d’enseignement. Il permet également au tuteur de rendre ostensibles des actions de métier qui n’auraient fait l’objet que d’énoncés plus ou moins abstraits à l’occasion des entretiens de formation post leçon. Enfin, notons que l’entretien de conseil pédagogique faisant suite à cette action de coenseignement se trouve transformé, puisque s’appuyant sur une activité de type coenseignement. Il s’est ainsi avéré essentiel pour permettre l’explication et le suivi de certaines règles de métier par le tuteur.
Au regard des limites évoquées quant à la situation traditionnelle de tutorat, ce format type coteaching a-t-il, par conséquent, permis à l’enseignant novice de mieux accéder aux règles de métier ?
Mon travail de recherche a effectivement permis d’observer de nombreux résultats probants. Le résultat le plus saillant concerne le développement du pouvoir d’agir de l’enseignant stagiaire. En effet, lors des leçons au cours desquelles les acteurs coenseignaient, le tuteur a ainsi adressé plusieurs règles de métier à l’enseignant novice. Cela s’est déroulé selon deux formes caractéristiques : soit de manière ostensive, c’est-à-dire sous la forme d’injonctions adressées à l’enseignant novice dans le cours même de l’action ; soit de manière ostensible, c’est-à-dire sous formes d’actions typiques données à voir par le tuteur, qui prenait alors en main la classe en alternance avec son stagiaire. Cet enseignement en cours d’action, associé à cette phase essentielle d’explications lors de l’entretien de conseil pédagogique qui s’en est suivi, a permis d’observer chez l’enseignant novice un réel apprentissage de certaines de ces règles enseignées lorsque celui-ci revenait en responsabilité avec sa classe.
J’ai aussi pu observer que cette action de coenseignement engageait le tuteur dans une double action d’enseigner et de former menées de manière simultanée. Ainsi, il a parfois agi en montrant délibérément son action d’enseignement avec un message doublement adressé aux élèves, mais aussi à l’enseignant novice ; cela avec l’intention d’exemplariser une règle de métier enseignée.
Un autre résultat significatif renvoie au fait que le tuteur, impliqué dans l’action de coenseignement, exploitait certains moments de regroupement avec l’enseignant novice pour lui permettre de mieux observer les élèves, lui permettant ainsi d’envisager des préoccupations plus caractéristiques du genre enseignant. Ces temps de regroupement ont également permis à l’enseignant novice de prendre davantage de risque dans sa pratique comme on a pu déjà le montrer dans un article récent (Michel & Bertone, 2017). En effet, rassuré par la présence du tuteur, voire par ses encouragements à agir différemment, l’enseignant novice a changé ses façons d’agir et d’intervenir auprès des élèves.
Notons également que ce format a été fortement apprécié par les enseignants novices. De nombreux témoignages ont montré que les enseignants stagiaires apprécient fortement de pouvoir coenseigner en présence du tuteur, et qu’ils envisagent cela comme un moment déterminant pour apprendre le métier. Cela nécessite toutefois une contractualisation à établir entre les acteurs en amont de ce dispositif.
C’est intéressant de pointer cet aspect selon lequel les enseignants novices seraient friands de pouvoir coenseigner avec leur tuteur. Compte-tenu de ce constat, quels conseils pourriez-vous donner aux tuteurs intéressés pour essayer ce dispositif innovant que représente le coteaching ?
J’ai eu la chance de pouvoir accompagner de nombreux binômes tuteur-enseignant novice par des formations au coenseignement. J’encourage donc naturellement tous les tuteurs à s’engager dans cette action de coenseignement, voire de coteaching. Il me semble tout d’abord essentiel, pour le tuteur, de contractualiser cette formation par coenseignement avec son enseignant stagiaire. Cette contractualisation permettra notamment au tuteur d’être rassuré sur le fait que coenseigner est une modalité d’intervention et de formation souvent demandée de la part des enseignants novices. J’encourage ensuite les tuteurs à respecter les phases du coteaching, et ne pas se cantonner qu’à l’unique phase de coenseignement. En effet, la co-préparation de la leçon, en plus d’être un moment de partage professionnel, est un moment déterminant pour enseigner des premières règles de métier qui seront possibles à observer chez le novice, ou à réaliser de façon ostensible par le tuteur lors de la leçon. Le temps d’entretien de conseil pédagogique est également important pour permettre au tuteur d’expliquer les règles de métier enseignées de manière délibérée, mais aussi pour lever certains malentendus qui auraient pu perdurer lors de la leçon. Compte-tenu de la lourdeur de ce format, il me semble important d’alterner le coteaching avec des leçons où l’enseignant stagiaire prend sa classe en responsabilité en présence ou non du tuteur. En plus de diminuer la charge de travail pour le tuteur, cela permet également à l’enseignant novice de suivre les règles de métier enseignées, mais aussi d’éviter également un effet de dépendance du tuteur.
Ensuite, il me semble important d’alterner les configurations possibles lors du coenseignement (Cook & Friend, 1995). En effet, il est possible de diviser la classe en deux, de façon à ce que l’un des acteurs puisse prendre les commandes par moments pendant que l’autre observe. La visée est que les acteurs puissent parvenir à une configuration au cours de laquelle ils ont tous les deux, à tout moment, la classe en responsabilité partagée, pouvant tour à tour diriger la classe, se partager le travail d’explication-démonstration, ou encore compléter les interventions de chacun. Il me parait également essentiel que le tuteur multiplie les temps d’échange avec son stagiaire lors de l’action de coenseignement, en mettant l’accent non seulement sur les actions réalisées ou à réaliser, mais aussi et surtout sur les préoccupations qui les animent.
En parlant de coenseignement, il ne vous a pas échappé que la récente réforme du CAP et du lycée professionnel encourage justement cette forme de pratique. Ne pensez-vous pas que cela pourrait offrir l’opportunité pour développer ces formations ?
En effet, la co-intervention est une modalité inscrite dans la réforme du CAP et du Baccalauréat professionnel. Nous pouvons donc espérer que cette réforme aura pour incidence la mise en œuvre de formations au coenseignement. Néanmoins, force est de constater que d’autres réformes auraient pu permettre le développement de ces pratiques, à l’instar du dispositif « Plus de maîtres que de classes » instauré en 2012 pour l’enseignement primaire. Or, le Rapport du comité national de suivi du dispositif « Plus de maîtres que de classes » (2015) montre ainsi que, en l’absence d’indications précises, les mises en œuvre de ce dispositif par les enseignants ont davantage été de la co-intervention, s’opérationnalisant par un partage de la classe en deux groupes distincts, plutôt que sur du coenseignement.
C’est donc une réelle occasion manquée selon moi qui s’explique par des injonctions institutionnelles floues qui indiquent ce qu’il y a à faire, à défaut d’indiquer comment le faire. Notons d’ailleurs que la disparition progressive de ce dispositif au profit du dédoublement des classes laisse entendre l’hypothèse selon laquelle le levier prioritaire pour améliorer les apprentissages des élèves résiderait davantage dans la diminution des effectifs par enseignant plutôt que par des modalités de coopération efficaces pour contribuer davantage à : Aider les élèves dans leur apprentissage ; Et à exploiter cela comme un moyen privilégié de développement professionnel entre enseignants.
Il nous semble donc essentiel qu’il soit proposé, au sein des académies, des formations au coenseignement compte tenu des résultats prouvés scientifiquement sur l’apprentissage des élèves et la formation des enseignants, qu’elle soit continue ou initiale.
Propos recueillis par Antoine Maurice