Présentée comme « historique » par JM Blanquer, la revalorisation ne sera finalement qu’un mince ruisseau. C’est ce qui ressort des documents ministériels remis le 7 février aux organisations syndicales. Des 10 milliards promis par le gouvernement, on passe à seulement 500 millions sur le budget 2021. Une seconde réduction s’opère par les choix ministériels. Les scénarios avancés représentent environ 200 millions seulement. Le reste ne sera donné qu’aux enseignants qui accepteront les tâches supplémentaires désignées par le ministre.
De 10 milliards à 14.25€ par mois…
Passer de 10 milliards à 200 millions, il n’y a qu’un alambic ministériel pour arriver à une telle distillation. Au final les enseignants n’auront que le parfum de la revalorisation. Celle-ci va leur échapper alors qu’elle est indispensable au maintien du montant de leur retraite.
Les documents remis le 7 février par le ministère aux organisations syndicales avancent 4 scénarios de revalorisation. Celle-ci prendrait la forme d’une prime d’attractivité. Il n’est pas question de réviser les grilles salariales ou encore d’augmenter le point Fonction publique, solution qui impliquerait tous les fonctionnaires.
Des 10 milliards annoncés pour la loi de programmation il n’est plus question comme on le sait depuis le 13 janvier. Le ministère ne parle plus que des 500 millions qu’il a promis pour le budget 2021, c’est-à-dire pas avant une année.
Le premier scénario prévoit de verser une prime aux échelons 2 à 5 allant de 157 à 64 € nets par mois de façon dégressive de l’échelon 2 au 5ème. Cela toucherait seulement 14% des enseignants. Au-delà de l’échelon 5, il n’y aurait rien.
Le scénario 2, prévoit d’attribuer la prime aux échelons 2 à 6, soit 23% des enseignants, en diminuant son montant. On passerait de 128 à 49.80€ nets par mois. Le scénario 3 envisage de verser la prime de l’échelon 2 au 8ème échelon en faisant passer son montant de 114€ (échelon 2) à 14.25€ (échelon 8). Cela toucherait 44% des enseignants. Enfin le scénario 4 concerne 76% des enseignants mais toujours dans la même enveloppe budgétaire. La revalorisation concernerait tous les enseignants de la classe normale (76% des enseignants) avec une prime allant de 92€ nets par mois à l’échelon 2 à 14.25€ par mois pour les échelons 8 à 11.
Au total, chaque scénario représente environ 200 millions d’euros seulement. Le ministère envisage d’autres mesures non conditionnelles comme une hausse des taux d’accès à la hors classe et à la classe exceptionnelle (en modifiant les taux d’accès selon les deux voies). Mais il est difficile de chiffrer la portée de ces mesures.
Les contreparties exigées par le ministère
Ce qui est certain c’est que la majorité de la revalorisation promise sera conditionnée à l’acceptation par les enseignants de contreparties. Là-dessus JM Blanquer applique les consignes données par le président de la République et renouvelées par le 1er ministre. Le ministère propose aux enseignants d’augmenter leurs revenus en acceptant deux tâches nouvelles.
D’abord en acceptant une formation sur leur temps de congé. Un décret paru en septembre 2019 en application de la loi Blanquer rend obligatoire la formation durant les congés dans la limite de 5 jours par an. Celle-ci doit être rémunérée 600€ maximum pour les 5 jours. JM Blanquer a déjà prévu au budget 2020 30 millions d’euros pour cette mesure, soit 50 000 professeurs contraints de perdre une semaine de congé. A notre connaissance, les intéressés n’en ont pas déjà été informés. Mais l’annonce a été faite au Sénat en novembre.
En consacrant 200 millions à cette mesure, JM BLanquer pourrait imposer une formation de son choix à 350 000 enseignants, par exemple tous les professeurs des écoles, sur le temps de congé. Cela rentre tout à fait dans la vision ministérielle du « nouveau métier enseignant » et du rôle que se donne le ministre de faire évoluer les pratiques pédagogiques selon ses idées. Position qui a l’avantage de rendre les enseignants responsables des échecs de sa politique.
L’autre idée avancée par le ministère c’est de faire effectuer des remplacements par les enseignants en les rémunérant par des heures supplémentaires. On rejoint là une vieille idée déjà avancée sous Luc Chatel. Le problème c’est que les établissements du second degré (car seuls ces enseignants seraient concernés) disposent déjà de ces enveloppes d’heures qui ne sont pas dépensées, les enseignants refusant les remplacements.
Flou total sur l’avenir
Sur la revalorisation, « on est dans le flou et on prend pas en compte les attentes des enseignants », nous a dit R Metzger, co secrétaire général du Snuipp Fsu. « Ils attendent que la loi retraite soit votée pour parler de la loi de programmation », pense F. Rolet, secrétaire générale du Snes Fsu. Elle marque elle aussi sa déception.
Les 10 milliards ne sont donc bien qu’un mirage projeté aux enseignants par un gouvernement qui souhaite qu’ils se tiennent tranquilles. La revalorisation des enseignants n’est vue que comme un levier pour leur imposer de nouvelles tâches. Quant au maintien du niveau des retraites, il sera à arracher chaque année, budget après budget, aux gouvernements successifs.
Les syndicats opposés sur ces mesures
Il n’y a pourtant pas unanimité syndicale sur ces points. « Ces mesures ne permettent pas de prendre en compte l’investissement de tous les collègues et ne répondent pas au déclassement salarial. Il est inacceptable que le ministère puisse concevoir la résolution de questions essentielles comme la revalorisation, le déroulement de carrière, le remplacement ou la formation continue à l’aune d’une enveloppe de 500 millions qui serait à « multi usages », estime la FSU dans un communiqué.
Le Sgen Cfdt accueille par contre positivement ces mesures. « Le budget supplémentaire pour 2021 de 500 millions d’euros représente une hausse du budget hors pension du ministère de l’Éducation nationale de + 1%. C’est une première étape importante pour une revalorisation des carrières qui sera amplifiée par le prochain plan pluriannuel à partir de 2022. En 2021, la revalorisation concernera surtout les débuts de carrière et dans une moindre mesure les milieux de carrière. Elle pourra se traduire dès le 1er janvier 2021 – selon les hypothèses retenues – par une amélioration des débuts de carrière de 1100 à 1800 euros nets par an pour un.e professeur.e d’école débutant.e par exemple, les enseignant.e.s du second degré, les CPE et les PsyEN sont aussi concerné.e.s ».
François Jarraud