Comment tenter d’améliorer le climat scolaire dans un collège REP+ ? Comment y développer les compétences psychosociales des élèves ? Carole Schellinger, Conseillère Principale d’Education, et Catherine Guichard, professeure d’Espagnol, s’y efforcent activement au collège Iqbal Masih à Saint Denis. Le but est d’aider les élèves à se sentir mieux au collège, de favoriser motivation et réussite, de développer l’empathie. Les outils sont concrets : fiches de suivi de classe positive, fiches de résolution de conflit, dispositif des « Anges », passeport de la réussite. Et le travail en équipe s’avère indispensable : « La force de ce projet repose sur la capacité des membres à dépasser les préjugés sur les uns et les autres, particulièrement celui des CPE vis-à-vis des professeurs et inversement. Il faut apprendre à se faire confiance. Il faut apprendre à prendre en compte les besoins professionnels des uns et des autres. » Eclairages de Carole Schellinger venue présenter ce travail au Forum des Enseignants Innovants 2019…
Comment ce projet de collaboration CPE – Professeure principale est-il né ?
Le projet est né d’une évidence. Le professeur principal et le CPE sont des interlocuteurs privilégiés pour les élèves. De plus, il était évident pour les deux que le suivi et l’accompagnement des élèves devaient se faire avec une double expertise professionnelle. Le point fort de cette collaboration repose sur le fait que nos métiers sont très différents et complémentaires à la fois. Nous acceptons les contraintes de l’une et de l’autre et prenons le relais dès qu’il le faut.
Dans la classe concernée, vous mettez régulièrement en œuvre un conseil d’élèves : avec quels objectifs et selon quelles modalités ?
Le conseil d’élève a lieu en heure de vie de classe (toutes les deux semaines) et il dure entre 20 à 30 minutes. Il se déroule en trois temps : les élèves s’ils le souhaitent peuvent solliciter la gestion d’un conflit qu’ils ont eu avec un élève de la classe ; s’ils le souhaitent ils peuvent proposer une action pour améliorer la vie de la classe ou du collège ; enfin s’ils le souhaitent, ils peuvent faire un compliment à un ou plusieurs élèves de la classe. Pour chacun de ces axes, l’objectif est de favoriser la collaboration entre pairs. Si nécessaire, les adultes, soit le professeur principal et la CPE, interviennent en tant que médiateurs. Ils agissent également en accompagnant les élèves dans la découverte et la prise en compte de leurs émotions.
Vous utilisez aussi des « fiches de suivi de classe positive » : de quoi s’agit-il ?
Il s’agit en réalité d’un livret qui comprend une fiche de suivi hebdomadaire et une fiche d’expression pour les élèves. Le livret est valable entre chaque période de vacances scolaires. Il contient donc 6 à 7 fiches de suivi. Le recto de la fiche de suivi est composé de l’emploi du temps des élèves de la classe.
A chaque heure de cours, le professeur concerné (où la vie scolaire si les élèves sont en étude) évalue le climat de travail de la classe. Pour cela, le professeur entoure la case rouge si le climat n’est pas propice au travail, la case orange si le climat de la classe est moyen, la case verte si le climat de la classe est propice au travail. Au verso, les adultes du collège ont la possibilité d’écrire des mots positifs à l’attention du groupe classe.
Le choix du porteur de cette fiche est très important. Il permet avant tout de faire fonctionner cet outil. Bien souvent, l’élève sélectionné (un par période) est un élève timide ou qui a des difficultés relationnelles avec l’adulte. Via cette fiche, l’élève a un lien particulier avec les adultes. Il peut dialoguer simplement et avec confiance sans avoir peur de se tromper et d’être jugé. A la fin de la période, l’élève porteur de la fiche a évolué et son lien avec les adultes est apaisé. La fiche étant déposée chaque midi et soir à la loge du collège, le personnel de loge joue un rôle exceptionnel d’encouragement vis-à-vis du porteur de la fiche, mais également du groupe classe.
Quels sont les objectifs de cette « fiche de suivi de classe positive » ?
L’objectif pour les élèves est d’avoir des journées complètes avec les cases vertes. En fin de période, si les élèves ont remporté au moins « 20 journées vertes », ils obtiennent une valorisation qui a pour objectif de favoriser le collectif et le sentiment d’appartenance du groupe classe.
Le second objectif pour les élèves c’est de pouvoir être valorisé. En effet, les professeurs ne peuvent pas y écrire les noms des élèves pénibles, bavards, qui ont posé problème… La fiche à vocation d’encourager le groupe classe à progresser et non à démotiver les élèves « perturbateurs ». En valorisant le collectif, on raccroche chaque élève au wagon et personne ne reste sur le quai.
L’objectif pour les professeurs est d’avoir un outil de communication simple et efficace qui leur permet très rapidement d’analyser l’ambiance de travail dans la classe.
L’objectif pour le CPE et le Professeur Principal est de pouvoir analyser rapidement les heures de cours où le groupe classe dysfonctionne et travailler tout cela avec les élèves afin qu’ensemble ils trouvent des solutions et se mobilisent collectivement.
L’objectif pour le collège est d’analyser les emplois du temps des élèves afin d’optimiser l’année suivante les heures de cours difficiles (horaires et matières).
Cette fiche de suivi positif permet tout simplement de créer du lien entre les personnes du collège. Ceci peut paraitre insignifiant, mais au contraire, c’est très important.
Comment fonctionnent les « fiches de résolution de conflits » ?
La fiche de résolution de conflit est un outil à disposition des élèves dans la salle du professeur principal et dans le bureau de la CPE. Il n’est pas toujours simple pour un élève d’aller exprimer à un adulte un problème avec un autre élève. S’ils le souhaitent, les élèves peuvent passer par l’écrit afin de poser leurs maux et mettre à distance cette situation difficile à vivre. Cette fiche permet aux élèves d’expliquer le problème, de trouver et d’écrire les émotions ressenties, d’écrire les démarches déjà entreprises pour essayer de régler le problème en expliquant pourquoi cela n’a pas fonctionné. Ensuite l’élève revient voir le professeur principal ou le CPE, et ensemble nous revenons sur le problème et continuons de chercher la ou les méthodes pour résoudre le conflit.
Qu’est-ce que le dispositif des « Anges » que vous avez aussi mis en place ? Vous parait-il efficace ?
Le dispositif des Anges a lieu une fois par trimestre. Les élèves de la classe tirent au sort le nom d’un camarade. Pendant une semaine, ils doivent prendre soin de ce camarade sans se faire remarquer. S’ils le souhaitent, les élèves peuvent également prendre soin d’un adulte du collège. A la fin de la semaine des Anges, un bilan est réalisé avec le professeur principal et la CPE.
Il est difficile de dire si le dispositif est efficace ou non. Cependant il est utile. Il est d’autant plus utile parce qu’à chaque semaine des Anges un bilan est fait avec les élèves. Leurs retours sont intéressants. Plusieurs disent qu’il est difficile de « prendre soin » de l’autre car pour cela, il « doit aller mal ». Nous avons donc fait un travail avec les élèves afin de leur faire prendre conscience que « prendre soin » d’autrui peut et doit se faire à chaque instant de la vie. Les élèves avouent avoir aimé prendre soin des autres. Ils disent en majorité que ce dispositif leur permet de créer du lien. Ils apprécient de pouvoir prendre soin des adultes qui les encadrent au quotidien.
Notre objectif de travail étant de développer l’empathie, nous pouvons dire que des petites graines ont été semées et que notre objectif de travail via ce dispositif des Anges est atteint.
Qu’est-ce que le « passeport de la Réussite » ?
Le passeport de la réussite a pour objectifs de motiver les élèves dans leur scolarité et de valoriser leurs réussites. Il s’agit d’un livret où les élèves inscrivent deux objectifs par trimestre. En début de trimestre, les élèves travaillent sur leurs objectifs personnels à atteindre. Ce travail se fait en heure de vie de classe. Ils en choisissent deux qu’ils notent dans leur passeport de la réussite. Les objectifs des élèves sont centralisés par la CPE puis ils sont envoyés aux professeurs afin qu’ils s’en saisissent et stimulent les élèves.
Une semaine avant le conseil de classe : c’est la semaine du voyage. Les élèves vont à la rencontre des professeurs en lien avec leurs objectifs. Les professeurs évaluent les objectifs en cochant : une étoile si l’objectif commence un petit peu à être atteint, deux étoiles si l’objectif est en cours d’acquisition, trois étoiles si l’objectif est atteint. Les élèves sont tous évalués positivement, puisqu’ils sont tous dans une démarche constructive pour atteindre leurs objectifs. Si les élèves valident un ou deux objectifs avec trois étoiles, le professeur principal demande aux élèves de se rendre au bureau de la CPE (passage à la douane). La CPE félicite individuellement les élèves et note un mot positif sur le bulletin scolaire du jeune.
Le passeport de la réussite appartient aux élèves et peut être personnalisé comme ils le souhaitent. Via ce dispositif, chaque élève (du meilleur au moins bon) à l’opportunité de réussir son ou ses objectifs personnels et d’être valorisé.
Quelles sont les difficultés rencontrées ?
Le bilan de ce travail est positif, mais les points faibles existent pour autant. Pour mettre en application l’ensemble de ces actions et dispositifs avec les élèves, il faut du temps. Réaliser les heures de vie de classe tous les 15 jours est indispensable. Cela demande à l’équipe de Direction d’intégrer cette heure dans l’emploi du temps des élèves et du professeur principal. Egalement, cela nécessite que le professeur principal et la CPE communiquent quotidiennement. Cela n’est pas toujours facile, tant pour le professeur qui a des contraintes d’emploi du temps, que pour la CPE qui doit s’investir tout autant pour l’ensemble des classes qu’elle a en responsabilité. Ce travail demande à la CPE et au professeur principal de communiquer avec l’ensemble de l’équipe pédagogique : sur le fonctionnement et les enjeux de ces dispositifs, sur le suivi individuel et collectif des élèves.
Ces dispositifs ne sont pas « miraculeux ». Les élèves ne s’impliquent pas toujours de la même façon (fatigue, manque de motivation, conflits entre pairs…). Il est indispensable que le professeur principal et la CPE fassent vivre ces dispositifs en stimulant régulièrement les élèves. Cependant, notre objectif final n’est pas d’obtenir une classe « calme » et « parfaite », mais d’avoir des élèves qui acceptent d’évoluer, de progresser tant sur leurs compétences scolaires que sociales.
Quels vous semblent les intérêts du dispositif pour les élèves ?
Ces actions et dispositifs permettent aux élèves de s’analyser collectivement, de se poser des questions et de changer, de s’auto-réguler. Ils apprennent à accueillir leurs émotions, à les comprendre et à les partager. Ils développent leurs compétences psychosociales et plus simplement leur empathie. Ceci est l’axe dominant du projet. Un lien est créé avec les adultes et ceci facilite les relations avec les élèves (même lorsqu’il y a des conflits). En développant ces compétences, les élèves adoptent des postures indispensables dans la vie citoyenne. De plus, ils favorisent leur bien-être, ce qui par la suite favorise leur réussite scolaire.
Et pour les adultes encadrants du collège ?
L’ensemble de ces dispositifs permet de créer du lien entre les adultes du collège. Les adultes de l’équipe pédagogique se sentent toujours épaulés par leurs collègues CPE et professeur Principal et ceci est une vraie force. Il est important de préciser que le binôme CPE et professeur principal est en réalité un trio. En effet, Monsieur le Principal Adjoint est toujours associé aux différentes décisions prises dans ces dispositifs et des retours réguliers lui sont transmis. Le projet permet d’inclure les assistants d’éducation et le personnel de loge qui bien souvent ont des mots d’encouragements pour les élèves.
Qu’en est-il des familles ?
Les familles sont informées des différents dispositifs. Lors des réunions parents-professeurs, les élèves font un retour à leurs parents sur ce qui a été fait pendant le trimestre en intégrant le projet des Anges, la fiche de suivi de la classe et le passeport de la réussite. D’ailleurs, c’est ensemble qu’ils réfléchissent aux objectifs à atteindre au trimestre suivant. La facilité de compréhension des outils dans ces dispositifs rassurent les familles d’un collège REP +. Les familles comprennent rapidement l’investissement des élèves dans leur scolarité. De plus, pour les élèves en difficultés scolaires, les familles peuvent concrètement voir que leur enfant est capable de réussir certaines choses et ceci est très important.
Quel bénéfice en retire le collège lui-même ?
Il est trop tôt pour dire que ces dispositifs ont une incidence directe sur le climat scolaire et la réussite des élèves. Cependant, même sur du long terme, pourrons nous le voir ? Favoriser « l’estime personnelle des élèves », développer leur empathie ne sont que des graines semées qui pousserons un jour. Nous pouvons cependant attester que plusieurs élèves, même les plus colériques et difficiles sont en progrès face à des situations difficiles. Ces élèves-là s’investissent de plus en plus en heure de vie de classe. Les « bons » élèves sont ravis de progresser et d’apporter un accompagnement à ceux qui en ont besoin. Nous construisons un collectif qui vit des hauts et des bas, mais qui apprend petit à petit à se réguler et à s’encourager. De plus, ces dispositifs commencent à prendre vie dans d’autres classes (de 6ème, 5ème et 4ème) et ceci est un point fort pour le collège.
Quels conseils donneriez-vous à des collègues qui voudraient s’inspirer de vos démarches ?
En premier lieu, il est nécessaire d’accepter de travailler en équipe. La force de ce projet repose sur la capacité des membres à dépasser les préjugés sur les uns et les autres, particulièrement celui des CPE vis-à-vis des professeurs et inversement. Il faut apprendre à se faire confiance. Il faut apprendre à prendre en compte les besoins professionnels des uns et des autres.
Pour les collègues qui souhaiteraient s’inspirer de ces divers dispositifs, je leur conseillerai de ne pas les appliquer comme tel, de ne pas en faire un copier-coller, mais de garder les concepts. En effet, d’une classe à l’autre, d’un établissement scolaire à l’autre les besoins des adultes et des adultes diffèrent. L’important c’est de se questionner, de questionner ses collègues et ses élèves. Il est indispensable de s’adapter et nos élèves sont riches d’idées pour trouver des solutions à différentes problématiques.
Egalement, n’hésitez pas à vous former via le Plan Académique de Formation mais également par vous-même au travers de lectures d’articles ou d’ouvrages. Via ces formations, vous allez chercher à faire évoluer votre pratique professionnelle pour votre bien être mais également pour celui de vos élèves et pour leur réussite. Il ne faut pas hésiter à inclure les Chefs d’Etablissement dans vos projets. C’est important qu’ils fassent partie intégrante de votre équipe. A titre d’exemple, dans notre établissement, nos élèves demandent que Monsieur le Principal Adjoint passe plus régulièrement dans leur classe pour voir leur travail et pour les encourager.
Pour conclure, je réitère mon premier conseil, il est primordial de collectivement se faire confiance.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut