Elu lors du congrès de la FSU le 13 décembre, Benoit Teste devient secrétaire général de la première fédération syndicale de l’éducation. Il le fait en pleine tourmente. Bien sur avec le mouvement contre la réforme des retraites. Mais aussi parce que le gouvernement s’attaque avec une rare violence aux syndicats avec la loi de transformation de la fonction publique. B. Teste fait le point sur le congrès de la Fsu mais surtout sur sa vision du syndicalisme et ce qu’il compte faire dans cette situation si particulière.
Vous avez 41 ans. Vous êtes professeur d’histoire-géographie et vous voilà à la tête d’une des plus grandes fédérations de fonctionnaires. Ca fait quel effet ?
C’est impressionnant. C’est aussi motivant compte tenu du contexte. Je me sens soutenu par une fédération très rassemblée et un contexte où les syndicats ont réussi à mobiliser. On se dit que les collègues nous font plutôt confiance et qu’ils ont confiance dans l’action collective. On l’a vu le 5 décembre. Et on le revoit aujourd’hui. Ca nous donne envie de combattre.
Globalement le congrès de la Fsu a montré un grand accord. On est dans la continuité des mandats de la Fsu avec la réaffirmation de l’objectif de démocratisation du système scolaire. La congrès a réaffirmé aussi sa volonté de travailler en commun avec les autres syndicats , comme la Cgt et Solidaires.
Vous prenez la suite de Bernadette Groison qui était une enseignante du 1er degré et une femme. Dans une profession aussi féminisée c’est un handicap ?
Ca pourrait être perçu comme un signal. Mais il faut le démentir. Je vais être dans la continuité de B. Groison. Elle avait réussi à s’imposer dans un univers syndical très masculin. Mon engagement féministe est total et le congrès a adopté la parité dans les instances internes de la Fsu. Je serai dans le même esprit de synthèse entre les syndicats de la fédération, notamment le Snuipp et le Snes. Il faut continuer à défendre des métiers différents mais qui s’inscrivent dans le même objectif de société.
Le syndicalisme est attaqué de façon très frontale par le gouvernement, par exemple avec al loi de transformation de la fonction publique. On n’a pas beaucoup entendu la Fsu sur ce terrain… Comment allez vous faire avec le retrait de vos compétences en matière de mutation et de carrière ?
C’est clair que le gouvernement cherche à nous tuer. On a eu du mal à être audible même si on a fait trois grèves contre la loi de transformation de la fonction publique. Les collègues nous ont écouté. Mais en terme de mobilisation c’était compliqué car il y avait des préoccupations immédiates comme la réforme du lycée ou les injonctions et évaluations dans le 1er degré. On a eu du mal à faire passer le message que la suppression des commissions paritaires n’est pas un problème de syndicats mais de droits des gens. En CAP on faisait respecter les droits des gens et finalement c’est l’intérêt du métier. En refusant les passe droits pour les affectations, par exemple, on coupe la course au plus méritant et on défend l’équité en contrecarrant le clientélisme.
Il faut absolument qu’on se mette en ordre de bataille pour faire face à la nouvelle situation. Ca veut dire défendre les collègues individuellement avec moins d’outils. Ca ne sera pas simple. Mais étant majoritaire avec une bonne implantation sur le terrain on aura encore la capacité de dénoncer les passe droits. On voit d’ailleurs qu’il y a plus de monde dans les réunions d’information sur les mutations. Au final les collègues savent que les syndicats n’ont plus le pouvoir de vérifier. Mais ce regain d’opacité inquiète les collègues qui ont davantage peur de ne pas être traités équitablement. Notre connaissance du système et ce rapport proche avec les collègues vont nous permettre de continuer à défendre la majorité des dossiers que les collègues vont nous confier.
Le gouvernement est en train de construire un nouveau métier enseignant. Qu’en pensez vous ?
Ce sont toujours les mêmes discours sur le fait que le coeur du métier enseignant n’est plus le plus important. Ce qui est valorisé c’est ce qui vient en plus des heures de cours. On est caricaturés comme des défenseurs d’un métier figé alors qu’on pense qu’il faut reconnaitre que l’enseignant ne fais pas seulement des heures de cours. Pour nous il faut revaloriser le métier en lui-même. Il faut mieux reconnaitre les missions des enseignants. Mais ce n’est pas en les segmentant en primes ou IMP qu’on va mieux reconnaitre le métier. Avec ces primes on fragilise finalement le coeur du métier. On craint une dérive qui est déjà observable. Une dérive vers un métier qui ne serait plus qu’une course aux projets innovants et surtout à leur affichage. On n’est pas contre ces projets. Mais quand on rémunère par des primes les plus « méritants » au détriment des autres on crée une concurrence entre les personnels. Et ce n’est pas bon pour le système scolaire. Cela crée des malentendus et cela empêche le travail d’équipe.
On voit que cette évolution du métier enseignant est générale. La France peut y échapper ?
On a un modèle français qui tient le coup. On ne mesure pas toujours la grande qualité du système éducatif. C’est un vrai souci qu’il n’arrive pas à résorber les inégalités sociales. Mais c’est parce que la société française est très inégalitaire avec une ségrégation sociale bien réelle. Face à ces inégalités sociales , le système scolaire doit tenir. Si on le dégrade ce sera pire. Enfin il faut faire attention à ne pas appliquer des modèles étrangers qui n’ont pas fait leurs preuves.
On est en plein conflit sur les retraites. Vous croyez que le gouvernement peut reculer ?
Cela dépendra du rapport de force. Ca va être compliqué. Avec le grand coup du 5 décembre on a déjà fait vaciller le discours officiel. Le premier ministre a essayé de déminer la situation. On a obtenu le report de la génération concernée par la réforme à 1975. Mais en réalité l’age pivot sera appliqué à ceux qui partiront en retraite dès 2022, c’est à dire très bientôt. ON est d’ailleurs passé de 2025 à 2022 pour le pire de la réforme.
Si on arrive à maintenir la pression jusqu’en janvier on peut obtenir le retrait de la réforme. Et aussi que certaines de nos propositions soient prises en compte et que la réforme, si elle s’applique, soit améliorée. Je pense par exemple à la prise en compte des années d’études ou à la pénibilité. IL y a la question de la revalorisation. Elle ne doit pas concerner que les enseignants. Il y a d’autres catégories qui n’ont pas de primes.
Et puis il y a aussi la question des contreparties. Profiter de ces discussions sur la retraite pour redéfinir le métier enseignant, pour nous ce n’est pas raisonnable. Il faut se rappeler qu’il a déjà été redéfini en 2014 avec un texte qui a fait accord. Dans cet accord on a créé les IMP pour les missions et on a redéfini les obligations de service et les missions liées au métier enseignant. Rouvrir ce dossier c’est remettre sur le tapis un sujet conflictuel qui énerve les enseignants déjà impactés par la loi sur la fonction publique et la loi Blanquer, les retraites, les réformes, le bac, les évaluations et injonctions dans le 1er degré. Et on leur dit qu’il faut travailler davantage et qu’on va rogner leurs vacances. Je dis que ce n’est pas raisonnable.
Propos recueillis par François Jarraud