Peut-on enseigner la différenciation des gonades chez l’embryon avec 47 cartes ? Mélanie Fenaert, professeure de SVT au lycée Blaise Pascal à Orsay (91), propose un outil de modélisation d’expériences destiné aux lycéens de seconde. En lien avec les nouveaux programmes de SVT, le « sexOscope » permet aussi de « sortir un peu du tout numérique ». Avec une préparation matérielle minimale, le jeu fonctionne seul ou en équipe et permet aussi des manipulations génétiques sur les gènes RSPO1 et SRY. L’enseignante perçoit avec cet outil papier des échanges potentiellement plus riches entre les élèves.
Comment utiliser en classe ce « jeu de cartes qui n’en est pas un » ?
Il s’agit d’un kit à imprimer et plastifier comprenant 47 cartes et un plateau. Là s’arrête toute ressemblance avec un jeu : il n’y a pas d’enjeu, de gagnants, de perdants… Le sexOscope, est en réalité un outil de modélisation d’expériences permettant de comprendre la différenciation des gonades et des voies génitales chez l’embryon. Il peut s’utiliser seul ou en équipe de deux à quatre élèves.
Les élèves démarrent avec un paquet de cartes retournées, aux dos numérotés, et sélectionnent progressivement les paramètres de l’expérience qu’ils souhaitent réaliser : sexe chromosomique, manipulation génétique, ablation et/ou greffe de gonade, implantation de cristaux d’hormones… Ils déposent au fur et à mesure les cartes choisies sur le plateau. Ils additionnent ensuite les numéros des cartes, ce qui leur fournit celui de la carte du résultat de “leur” expérience.
L’association de cartes que l’on additionne s’inspire d’une mécanique des jeux d’évasion de type Unlock! , détournée récemment par Guillaume Berthelot, professeur de SVT et créateur des jeux UNFAKE sur la démarche scientifique.
Quels sont les objectifs de ce jeu sur la différenciation sexuelle ?
Il s’agit d’une alternative “analogique” à l’utilisation de logiciels comme Detsex ou Différenciation sexuelle. Comme eux, l’objectif est de fournir aux élèves la possibilité de paramétrer leurs propres expériences en fonction de leurs hypothèses, et de réfléchir à la notion de témoin. Certaines cartes fournissent des compléments d’information sur les expériences historiques de Jost, ou encore le free-martinisme.
A quel public est-il destiné ? Quels sont les avantages du jeu version papier par rapport à des logiciels utilisés classiquement pour cet enseignement ?
Le sexOscope s’adresse aux élèves de seconde. Sa création fait suite aux problèmes d’équipement rencontrés par une collègue et amie en cette rentrée : pas d’ordinateurs dans ses salles, pas de WiFi, peu d’élèves possédant un smartphone ou alors sans données pour se connecter en 3G ou 4G. Dans ces conditions, étudier des expériences en version papier est une alternative. Mais c’est moins engageant pour les élèves, et cela ne permet pas l’interactivité ni le choix des paramètres.
Il n’y a pas nécessairement d’avantage immédiat à utiliser le jeu de cartes plutôt qu’un logiciel, si on y a accès. Il faudra imprimer le matériel (six feuilles recto verso et le plateau) en plusieurs exemplaires, le plastifier, le découper. Avec un logiciel par contre, pas besoin de préparation matérielle. Cependant, pour coller au mieux aux nouveaux programmes, j’ai inclus des paramètres qui ne sont pas proposés dans les logiciels Detsex et Différenciation sexuelle : des manipulations génétiques sur les gènes RSPO1 et SRY. Un cristal neutre est aussi disponible, pour approfondir la réflexion sur ce qu’est un témoin.
J’y vois cependant un intérêt principal, qui est celui de sortir un peu du tout numérique. En SVT, nous utilisons de nombreux logiciels : pour visualiser ou modéliser des objets et phénomènes à des échelles très petites ou très grandes, ou encore pour exploiter des banques de données… En dehors de ces indispensables, il peut être intéressant pour les apprentissages des élèves de varier les modalités en leur offrant des activités plus “analogiques”, sans revenir pour autant à du tout papier classique. Une certaine frugalité numérique en quelque sorte, ou en tout cas un usage raisonné.
Les petits plus du format jeu de cartes : il est plus facile de travailler en équipe de trois ou quatre avec Le sexOscope plutôt que devant un écran d’ordinateur, les échanges entre élèves sont donc potentiellement plus riches. Les résultats peuvent être tous conservés en mettant de côté les cartes… Et celles-ci impliquent le toucher et la manipulation, ça change du clic !
Vous avez utilisé le modèle de carte proposé par le site S’cape. Avez-vous remarqué d’autres types d’usages de ces cartes par les enseignants ?
En effet, Patrice Nadam (encore un professeur de SVT) a créé cet été le Scaposcope, un jeu de carte d’analyse des escape games pédagogiques, et propose sur le site S’cape un modèle adaptable, aux formats PowerPoint et Impress. Le plateau du sexOscope ressemble assez d’ailleurs de celui du Scaposcope.
Ce modèle de cartes a lui-même pour source d’inspiration les jeux UNFAKE de Guillaume Berthelot. Cet enseignant a créé de toutes pièces des jeux d’évasion type Unlock! avec appli-compagnon, adaptés aux programmes de collège et lycée (sur le microbiote, le réchauffement climatique, les vaccins…), qui permettent de travailler la démarche scientifique de manière très immersive.
Les cartes de rôle ont la côte chez les enseignants : rédacteur, expérimentateur, maître du temps, journaliste, ambassadeur, espion… J’ai aussi utilisé en début d’année ces cartes pour créer des groupes aléatoires lors d’une séance en mode jigsaw (classe puzzle) : grâce à des couleurs, des symboles, des figures, on peut mixer et faire tourner les groupes facilement.
Enfin, les cartes peuvent servir pour toute activité de tri ou d’ordonnancement : classification en groupes emboîtés, niveaux d’organisation du vivant, étapes des divisions cellulaires… La seule limite est l’imagination des enseignants.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Le sexOscope est disponible sur S’cape
Les jeux UNFAKE de G. Berthelot
Dans le Café
SVT et YouTube : Regards croisés de Tania Louis et Mélanie Fenaert
Un jeu sérieux pour explorer la planète Mars
Un Escape Game pour quoi faire ?
S’Cape : Le site de mutualisation des jeux d’évasion pédagogiques