« Toute la salle des profs s’accorde à dire que ce début d’année ressemble à un mi second trimestre ». Ce témoignage d’un enseignant sur Twitter en rejoint beaucoup d’autres. Il colle aussi avec les nombreux incidents depuis la rentrée : 3 suicides d’enseignants, des agressions filmées, des démissions rendues publiques. Les enseignants semblent au bout du rouleau, fatigués et pessimistes. Qu’en est-il réellement et comment l’expliquer ?
Des profs à la ramasse
Tout commence par la remarque d’un syndicaliste du privé, Luc Viehé (secrétaire général du Spelc): « les professeurs sont épuisés. Ils sont à la ramasse ». Et puis il y a les tweets d’enseignants qui se multiplient depuis quelques jours. « C’est la première année où j’ai autant de mal en ce début d’année ». « 11ème rentrée. C’est la pire de toutes ». « Les collègues sont épuisés par la préparation de 2 voire 4 nouveaux programmes et par les discussions infinies sur l’organisation des E3C ». Ces tweets disent-ils la vérité des enseignants ?
A écouter le ministre , surement pas. Le 10 octobre il donne à entendre sur Europe 1 que tout tourne rond. « Les menaces, les violences et les agressions sont plus graves. Il n’y a aucun abandon de personne en situation de victime. Au contraire c’est le soutien total de l’institution. La solidarité est totale avec les personnels ».
La lettre de C Renon a libéré la parole
Stéphane Crochet, secrétaire général du Se Unsa, sort d’une réunion académique à Arras. Pour lui, « l’épuisement est généralisé et palpable. La communauté éducative est secouée par le suicide de C Renon et par sa lettre. Les enseignants du 2d degré en parlent autant que ceux du 1er. La lettre de C Renon a mis des mots sur le ressenti et libéré la parole ». Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Snes Fsu, voit dans les lycées « la lassitude des professeurs qui se traduit par un climat tendu et le repli sur soi ». Même perception pour Jean-Rémi Girad, président du Snalc : « c’est perceptible à tous les niveaux : il est clair que le climat est morose. Mais ce n’est pas la même explication à tous les étages ».
De l’école au collège
Dans les écoles, pour lui pèse la surcharge de travail avec « de plus en plus de remontées demandées ». Marie-Hélène Plard, co secrétaire générale du Snuipp Fsu 93, sort de réunion syndicales qui ont été très suivies par les enseignants. Elle sent surtout de la colère et le sentiment de « perte de sens du métier. Il y a aussi la prise de conscience qu’un rouleau compresseur est en marche et qu’il nécessite une résistance longue ». Les directeurs ont d’ailleurs décidé de limiter les remontées vers l’académie à ce qui est utile aux élèves.
Stéphane Crochet évoque lui aussi les ordre venus d’en haut. « Le mail est facile et demande du travail. On envoie davantage de consignes et de procédures ». Un autre facteur aggravant c’est l’école inclusive. « La profession en a assez d’être pointée comme ayant pas fait ceci ou cela et d’être culpabilisée ». « On a une accumulation d’élèves nécessitant de la différenciation pédagogique mais à 30 élèves par classe au collège on ne peut pas le faire », témoigne Valérie Sipahimalani.
Les collèges soufrent particulièrement des suppressions de postes alors que les effectifs élèves sont en hausse. A cela s’ajoutent des évolutions. « Les heures de cours sont rognées par une multitude de dispositifs imposés : quart d’heure de lecture, expérimentation oral, horaires raccourcis… Les professeurs aimeraient bien que tout ne change pas tout le temps », nous dit Valérie Sipahimalani. Jean Rémi Girard parle d’évaluation par compétences imposée. « On change les habitudes des profs contre leur volonté ».
Et au lycée
Au lycée, la rentrée est marquée par les nouveaux programmes à la fois en 2de et en 1ère. Les enseignants sont partis fatigués par les événements de juin. Ils ont passé l’été à préparer leurs cours. La perspective des E3C angoisse car il faut préparer des élèves à des épreuves encore inconnues. « Les professeurs sont rentrés fatigués et en plus sont dans le flou sur la réforme. Ils sont insécurisés », dit S Crochet. « Les collègues ont du mal à entrer dans les programmes », explique V Sipahimalani. En maths les programmes sont de trop haut niveau pour des classes hétérogènes. En histoire-géo ils sont trop lourds et trop en retard sur l’historiographie. En sciences les professeurs ont trop de nouveaux programmes à préparer (enseignement scientifique plus spécialités). « On n’arrive plus à préparer les expérimentations à l’avance et on demande trop aux agents de laboratoire. Dans mon lycée ils tombent malades ». On pourrait ajouter que dans de nombreux établissements les enseignants ont fait cours sans manuel papier ou numérique. Ils ont du se débrouiller.
Les espoirs déçus par E Macron
Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer ont aussi leur part dans ce climat morose. « Les propos d’E. Macron sur le nouveau contrat social ne résonnent pas positivement », explique S Crochet. « La formule sur les vacances est très mal vécue. Elle reflète une incompréhension du métier ». Pour V Sipahimalani, les propos d’E Macron n’ont pas forcément été entendus. « Par contre tout le monde se reconnait en C Renon ». « Le fait de dire qu’on va remettre sur la table les obligations de service et de revisiter le travail des enseignants n’attire aucune sympathie », estime JR Girard. « Que le jour des obsèques de C Renon, E Macron explique qu’ilne va pas revaloriser les enseignants est insupportable », estime MH Plard.
Où va se nicher l’espoir ?
Nous avons demandé à ces responsables syndicaux s’il reste de l’espoir dans cet océan pessimiste. « Il n’y a pas beaucoup d’espoir », estime JR Girard. « On n’a pas de message rassurant à véhiculer. On aimerait apporter du positif mais on ne peut pas le faire ». « L’espoir c’est que la question des conditions de travail soit prise au sérieux par le ministère », dit S Crochet. « La question de la revalorisation est un engagement du président. Il faut ouvrir une fenêtre sur ce point et c’est notre travail de syndicaliste ». V Sipahimalani ramène l’espoir dans la classe. « La chance que l’on a c’est qu’on travaille avec les jeunes et qu’on aime ce métier. Si on applique des réformes dans lesquelles on ne croit pas c’est seulement pour ne pas léser nos élèves. On fait un métier pour autrui ».
Propos recueillis par François Jarraud