Les jeunes semblent entretenir un rapport de plus en plus paradoxal avec l’activité physique et sportive. Si la sédentarité est souvent pointée du doigt, l’évolution des attentes des jeunes et de leurs pratiques est un élément à prendre en compte. Ainsi, quelles pistes pour la discipline EPS, pour les équipes, pour les collègues au service d’un meilleur accès à la culture physique, sportive et artistique. Guillaume Dietsch, enseignant agrégé d’EPS et formateur à l’UFR SESS/STAPS de Créteil a accepté de répondre à nos questions.
Dans le contexte de parution des nouveaux programmes de lycée en EPS (2019), diriez-vous que la discipline a pris en compte les motivations des jeunes vis-à-vis de l’activité physique et sportive ?
Actuellement, les nouveaux programmes de lycée en EPS (2019), poursuivent la finalité suivante : « former un citoyen épanoui, cultivé, capable de faire des choix éclairés pour s’engager de manière régulière et autonome dans un mode de vie actif et solidaire ». Dès lors, il semble que le législateur ait souhaité prendre en compte les évolutions des modes de vie des jeunes (sédentaires, autonomes et solitaires). Nous pouvons alors nous demander si l’objectif sanitaire ne (re)devient pas un enjeu de légitimation sociale pour la discipline. Dans cette perspective, l’élève en EPS devient responsable de son capital santé. Pour autant, face à cette injonction, il semble important de se questionner sur les effets indirects. En effet, le fait de ne pas réussir à atteindre son propre projet de performance ou d’entretien de soi par exemple, peut amener l’élève à se trouver en situation de forte vulnérabilité.
Or, l’adolescence, et particulièrement la période du lycée, apparaît comme une période clé de construction du (dé)goût pour l’activité physique et sportive. Selon le rapport « Activité physique et pratique sportive pour toutes et tous : comment mieux intégrer ces pratiques à nos modes de vie ? » (France Stratégie, 2018), les attitudes de rejet de toute forme d’activité physique et sportive se construisent dès l’enfance puis à l’adolescence, à partir d’expériences vécues comme négatives, notamment au cours des enseignements d’EPS dispensés à l’école. Cette aversion pour la pratique d’une activité physique et sportive doit donc nous préoccuper au plus haut point.
L’enjeu réside-t-il dans la nature de l’activité ou tout simplement dans ce qui est proposé aux élèves en EPS (les dispositifs pédagogiques) ?
Selon moi, il convient de s’interroger sur les effets cachés ou pervers de certains dispositifs pédagogiques. Nous pourrions citer le cas de la « montante-descendante » en sports de raquette, la constitution d’équipes de niveau en sports collectifs ou encore le fonctionnement en ateliers en gymnastique. Prenons comme exemple la montante-descendante en badminton. Ce format pédagogique est régulièrement investi par les enseignants d’EPS, car il présente de nombreux avantages. En effet, c’est un dispositif qui leur permet : de gérer le groupe classe en imposant un système de rotation simple ; de proposer un cadre de travail visible et structurant ; de susciter l’adhésion d’une part importante d’élèves tournés vers la compétition ; ou encore, de piloter la leçon « à distance » afin de cibler les régulations et les contenus apportés aux élèves.
Néanmoins, force est de constater que c’est aussi un format qui peut fragiliser le climat de classe. En effet, en construisant territorialement les différences de niveau et en rendant ces dernières visibles par tous les élèves de la classe, la « montante-descendante » peut être vécue par les élèves en difficulté comme un espace dédié à l’humiliation. Ce supposé empirique, renforcé par les apports de la psychologie sociale, admet que les comparaisons sociales exercent une influence néfaste sur l’estime de soi des élèves (Curry et Sarrazin, 2001). Selon cette logique, les comportements de fuite, d’abandon ou d’auto-handicap, que l’on peut observer chez nos élèves en EPS, sont la résultante de stratégies visant la protection de l’estime de soi. Ainsi, ce dispositif bien que fonctionnel au premier abord, contribue aussi à cultiver la stigmatisation et la marginalisation des élèves les moins compétents. Or, la construction du goût sportif doit être considéré comme un enjeu social fort en EPS.
Selon vous, la relation des jeunes à la pratique d’une activité physique et sportive a-t-elle évolué ?
La relation au sport et les motivations des jeunes ont considérablement évolué. En effet, on assiste aujourd’hui à une sorte de désaffection des clubs de sport. Une partie de la jeunesse tend à déserter les structures fédérales en raison de leur caractère plus ou moins coûteux, chronophage et contraignant. En comparaison, la pratique autonome offre plus de liberté et de flexibilité. L’exercice physique à domicile a notamment été favorisé par le développement de nouvelles pratiques corporelles, comme le gainage, le yoga ou encore le Pilates que l’on peut pratiquer seul chez soi, de manière autonome, voire guidée par des tutoriels sur Internet (Müller, 2017). Parmi les différents univers sportifs, les jeunes semblent massivement attirés par les activités de la forme et du fitness (« Baromètre national des pratiques sportives », 2019). A la recherche du bien-être individuel et des bienfaits pour la santé, ils se tournent de plus en plus vers une pratique peu encadrée et autonome.
Aussi, le cadre dans lequel se déroule la pratique sportive des jeunes semble échapper (en partie) à l’école et donc aux enseignants d’EPS. En effet, de nombreux jeunes internautes visionnent quotidiennement des tutoriels, notamment des exercices de renforcement musculaire qu’ils tentent de reproduire ensuite chez eux. Dès lors, la révolution numérique, dans un contexte de profonde mutation sociétale, et le rapport actuel des jeunes à la pratique sportive, engendrent une transformation du métier d’enseignant.
A l’instar d’Alain Loret (2018), nous pourrions nous questionner sur les incidences en EPS du développement du E-sport depuis quelques années. L’engouement des jeunes pour ces nouvelles pratiques ne cessent de croître. Dès lors, les pratiques sportives semblent de plus en plus difficiles à définir. Pour autant, ces pratiques du E-sport méritent-elles d’être enseignées en EPS ? Des débats et des controverses autour des pratiques culturelles des jeunes, comme le E-sport, jugées légitimes ou non par le législateur, vont certainement se jouer au sein de la discipline.
Et l’EPS ? Notre discipline a-t-elle pris en compte cette évolution au niveau des activités enseignées à l’école ?
L’ouverture de l’EPS à des pratiques artistiques ou d’entretien, éloignée de la modalité compétitive, atteste d’une volonté de la discipline de s’inscrire dans les évolutions sociales actuelles. Plus précisément, en analysant le dernier « Rapport de l’Inspection Générale sur l’évaluation de l’EPS » (2018), si la période contemporaine marque la fin du « ménage à trois » (athlétisme, gymnastique, sport collectif) observé par Olivier Bessy (1991) à la fin des années 1980, un nouveau « quatuor » semble se dessiner (demi-fond, musculation, badminton et acrosport). La musculation arrive maintenant dans le « quatuor » de tête, toute série du baccalauréat confondue. A noter aussi, la présence du step en 5ème position des activités les plus évaluées, mais uniquement pour les filles. A ce sujet, n’est-ce-pas là une conception « régressive » de la pratique sportive, au sens d’Annick Davisse (2010) ? Dès lors, sous couvert d’objectifs louables de réussite des filles en EPS, les enseignants ne risquent-ils pas au contraire de renforcer les stéréotypes de genre ?
Il nous semble légitime de nous demander si l’introduction massive des activités d’entretien en EPS (musculation, step ou yoga) est liée à la volonté de prendre en compte de nouvelles pratiques, conforment aux appétences des élèves, ou plutôt de lutter contre l’échec relatif des filles en EPS. Dans cette optique, il apparaît essentiel d’opérer une réflexion professionnelle, tout autant sur la programmation des activités, que sur les formes de pratique, les critères d’évaluation, ou encore les modes de groupement dans la classe.
Dans cette perspective, comme (re)donner le goût sportif à nos jeunes en EPS ?
Selon Vincent Gaubert (2012), on s’oriente progressivement vers une « ludisation » des pratiques sportives. Cela signifie que, les jeunes notamment, ont des motifs d’engagement et d’adhésion à l’activité physique qui répondent prioritairement à des besoins d’affiliation, de défoulement et d’amusement. A titre d’exemple, nous observons une évolution des espaces et des formes de pratiques de certains sports collectifs comme le football. En effet, en l’espace de quelques années, le « foot à 5 » est devenu l’une des pratiques les plus répandues chez les amateurs du ballon rond. Le « football indoor » apparaît dès lors comme le lien idéal entre le « sérieux compétitif et le loisir ludique » (Gaubert, 2012), parvenant à trouver un équilibre entre les cultures sportives existantes. A travers ces activités urbaines, ludiques et conviviales, nous assistons à une forme d’hybridation de sports comme le football.
Et si la « ludisation » de la pratique sportive était l’avenir de l’EPS ? Le plaisir de pratiquer plutôt que de gagner pour les élèves ? Cette modalité de pratique peut-elle réconcilier les filles avec l’EPS et plus précisément avec les activités d’opposition collective ?
Propos recueillis par Antoine Maurice