On a eu peur pour cette professeure. Cet incident nous a tous choqué. La violence subie par l’enseignante de Créteil suscite une grande émotion. Parfaitement légitime, elle dépasse maintenant cet incident. Ce qui remonte avec une très grande force à travers la multiplication des témoignages d’enseignants sur les réseaux sociaux et dans la presse c’est le ras le bol des professeurs envers leur institution. Ils ne se sentent ni soutenus ni traités correctement. S’ils s’identifient si fort à l’enseignante de Créteil c’est qu’ils sont brutalisés par l’institution depuis des années. Il est temps d’écouter les profs.
La phrase de trop
Rappelons les faits : en première pro, au lycée Branly de Créteil, une enseignante est menacée par un élève qui brandit une arme factice. Elle reste parfaitement calme, fait son appel en ne tenant aucun compte de cet énergumène et donne à l’incident la suite qu’il mérite : un signalement et une plainte. Pour une fois l’institution n’enterre pas l’affaire qui fait très rapidement le tour des réseaux sociaux.
Le président de la République exprime son indignation. Puis, le 21 octobre, c’est au tour de JM Blanquer. « Ma réaction est une réaction de fermeté », dit-il. »Ces actes sont complètement inacceptables et des mesures ont été prises immédiatement. Mon message premier est le soutien à la personne concernée, un professeur qui doit être soutenu par l’institution… Aucun professeur n’est seul dans ce pays. Tout professeur est soutenu par l’institution ». Tout en reconnaissant que les chiffres de la violence scolaire ne montrent aucune hausse, le ministre rejette la faute sur ses prédécesseurs évoquant « le laxisme » qu’il y aurait eu avant lui. Le 22 octobre, JM Blanquer trouve une autre cible en accusant le téléphone portable d’être responsable de l’incident, ce qui a l’avantage de trouver un nouvel appui pour démontrer son action.
Mais c’est la phrase de trop. Les réseaux sociaux sont envahis de témoignages d’enseignants qui réagissent aux propos ministériels et citent mille exemples où la hiérarchie représentant l’institution conseille « pas de vagues » et enterre les affaires. Les professeurs savent qu’ils ne sont pas soutenus par l’institution. Ce qui remonte c’est le sentiment de ne pas être considérés par leur institution et le ressentiment qui en découle.
Une violence scolaire en baisse
Le beau discours sur « l’école de la confiance » a explosé au premier choc. Cette explosion vient de loin. Créteil a ouvert la voie à l’expression d’un ressentiment très fort, qui monte depuis des années et que JM Blanquer n’a pas su juguler. Il dépasse largement la question de la violence. Mais ce qui est arrivé à Créteil puis la réaction maladroite du ministre, affirmant un soutien institutionnel que les enseignants savent bien être absent, ont libéré l’expression que les médias maintenant encouragent.
Concernant la violence scolaire, ce que montrent les enquêtes, et que cache l’incident grave de Créteil, c’est que la politique menée depuis 2010, malgré les alternances politiques, marque des points. Il n’y a pas lieu de la remettre en question sous l’émotion. JM BLanquer a reconnu lui même que la violence scolaire n’augmente pas. C’est confirmé par les chiffres des enquêtes ministérielles. Mais ça l’est aussi par l’enquête internationale HBSC et par Pisa 2015.
Menée de façon opiniatre depuis 2010, la lutte contre le harcèlement a engrangé des résultats intéressants. On sait que le taux de victimation a baissé. Selon les enquêtes d’E Debarbieux, le harcèlement scolaire ne concerne plus qu’un élève sur dix, ce qui reste évidemment beaucoup trop. Selon l’enquête internationale HBSC (Health Behaviour in School-aged Children), menée tous les quatre ans dans 42 pays auprès de collégiens, le harcèlement aurait diminué en France de 15 % au collège entre 2010 et 2014. La baisse atteindrait 33% en sixième. Et c’est confirmé par Pisa 2015 qui montre que la France est plutôt bien placée dans la lutte contre le harcèlement.
Une enquête Depp, lancée à l’origine par E Debarbieux, publiée en décembre 2017 montre que le sentiment d’être bien dans son collège est passé de 90 à 94% depuis 2010. 88% des élèves déclarent de bonnes relations avec les enseignants, soit 1% de plus qu’en 2013. 86% des élèves jugent les notes justes, en hausse de 2% depuis 2013. Dans un entretien qu’il accorde au Café pédagogique, Eric Debarbieux revient sur ce qui a été fait bien avant que JM Blanquer soit ministre, à une époque où il était directeur de l’enseignement scolaire. Il n’y a donc rien à détricoter dans cette politique qui a survécu à deux changements de majorité.
Ce que montre aussi Debarbieux c’est que l’Education nationale n’est pas laxiste. Le volume des expulsion temporaires est important. B Moignard a pu parler du « collège fantôme » pour ces expulsions dans un département : l’équivalent d’un collège fermé chaque jour dans un département.
Les professeurs français ont le plus de problèmes de discipline
Dans « Ne tirez pas sur l’école » (Armand Colin, 2017), E Debarbieux avait alerté sur le ras le bol des profs en utilisant les données de deux enquêtes menées auprès de 18 000 profs de collège et 12 000 PE. En 2012, 38% de ces personnels des collèges étaient insatisfaits du climat dans leur établissement . C’était 48% en 2016, un prof sur deux. Dans le premier degré on est passé de 25 à 34%. 23% des professeurs des écoles déclaraient s’être fait insulter par des parents en 2011, 34% en 2016. « Une institution se doit de protéger et l’Education nationale ne le fait pas suffisamment », écrivait E Debarbieux.
Mais pour lui le ras le bol est plus profond encore. Il pointait les effets négatifs de la façon dont est appliquée la loi de 2005. 41% des professeurs des écoles se déclaraient en difficulté avec des élèves très perturbés en cours. Un taux montant à 52% en éducation prioritaire. Mais pour autant les problèmes de discipline sont bien réels : selon Talis (enquête OCDE) les professeurs français sont ceux qui consacrent le plus de temps à rétablir le calme dans la classe : 16% du temps de classe contre 13% dans l’Ocde.
Un ras le bol qui vient de loin
Toujours selon Talis, si les élèves se plaignent majoritairement en collège Rep de l’injustice face aux punitions, ils partagent ce sentiment avec leurs profs : les enseignants français sont ceux qui croient le moins que leur évaluation récompense les meilleurs. Ce sont aussi ceux qui pensent le moins dans toute l’OCDE que leur métier est valorisé dans la société (5% en France contre 31% dans l’Ocde).
Ce sentiment est confirmé par d’autres études. Une des plus parlantes est le baromètre Unsa. Il n’a pas varié depuis 4 ans. Si les professeurs aiment à 92% leur métier, seulement 35% se sentent respectés. Les conditions de travail sont jugées satisfaisantes que par 29% des PE, 35% des autres enseignants. Seulement 15% ont l’impression que ça s’arrange.
Le ras le bol des enseignants pointe aussi les politiques menées. Seulement 21% des professeurs sont en accord avec la politique menée depuis l’arrivée de JM BLanquer. Mais c’était 24% sous le gouvernement précédent. En fait les professeurs en ont probablement assez d’être ballottés de réforme en contre réforme et du yoyo du détricotage sans que jamais leur avis soit écouté.
Fracture avec l’institution
On peut penser que l’annonce des suppressions de postes dans le second degré, la réforme déstabilisante du lycée professionnel (avec la réduction des horaires mais aussi la déprofessionnalisation en seconde), la façon dont le ministère réforme le primaire et détruit les collectifs autour des maitres +, l’ampleur des réformes menées à bride abattue sans écouter personne, les pressions exercées sur les enseignants d’abord au collège pour sa réforme et maintenant dans le premier degré jusque dans le choix des manuels, tout cela joue sur l’opinion enseignante. Somme toute, le ministre change les programmes très récents du primaire et du collège, ceux moins récents du lycée en une seule année et il annonce maintenant vouloir changer ceux de maternelle. Il ne s’embarrasse ni de justifications, ni des préparations des enseignants, ni de savoir s’il y aura des manuels en 2019…
Derrière l’événement exceptionnel de Créteil ce sont ces réalités qui remontent. Face aux difficultés de gestion des élèves difficiles, les enseignants français , selon Talis, se disent les moins bien formés de toute l’OCDE. Leurs demandes de formation en ce domaine pontent au hit parade depuis des années. Mais ne sont jamais écoutées, le ministre décidant seul des formations imposées aux enseignants. Les enseignants français n’ont pas le droit à des professeurs soutiens pour faire face aux élèves très perturbés. Ils sont aussi , selon Talis, ceux qui sont le moins suivis dans leur entrée dans le métier. On n’a d’ailleurs toujours pas entendu le ministère proposer un soutien psychologique à long terme pour l’enseignante de Créteil.
La réponse gouvernementale semble aller vers la surenchère sécuritaire ce qui ne réglera ni la question de la violence scolaire, ni n’apportera de réponses aux besoins des enseignants. Il importe de regarder les faits tels qu’ils sont. Si l’incident de Créteil reste exceptionnel, la vague de témoignages d’enseignants qui monte ces jours ci révèle le fossé entre l’institution et ses fonctionnaires. Il est (encore) temps d’écouter les profs.
François Jarraud