Le rapport du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’organisation de la fonction d’évaluation du système éducatif, rédigé par Régis Juanico et Marie Tamarelle-Verhaeghe, rendu le 27 septembre, pourrait bien reprendre la main sur l’évaluation du système éducatif. Le rapport revient sur l’évaluation des enseignants en proposant un avancement au mérite. Il souhaite diminuer le nombre des évaluations nationales des élèves et limiter la diffusion de leurs résultats. Dans ce texte les deux députés militent pour renforcer l’action du Cnesco et en faire un organisme indépendant de l’éducation nationale mais capable de travailler avec elle.
Une refonte de l’évaluation du système éducatif
Le rapport Juanico – Tamarelle se montre très critique sur le jugement rendu par la Cour des comptes sur l’évaluation de l’Ecole. Par exemple le rapport explique que » les recommandations qui consistent à mettre en relation les résultats des élèves à des tests de compétences et les dispositifs d’évaluation des enseignants et des établissements leur paraissent contestables, car elles reviennent à confondre, dans une même évaluation, plusieurs fonctions ». Mais il l’est aussi sur la façon dont l’Education nationale évalue ses performances.
Le rapport , qui se réfère aux travaux contestés de Hattie, estime que « l’éducation nationale doit rendre compte de ce qu’elle apporte aux élèves ». Elle relève que près d’une centaine de millions sont dépensés annuellement à l’évaluation par l’Education nationale mais que seulement 5 sont consacrés in fine aux opérations d’évaluation.
Il insiste aussi sur le fait que ces évaluations ne doivent pas être « liés à l’évaluation des enseignants et à l’allocation des moyens ». » Les résultats obtenus aux évaluations standardisées n’expriment pas une forme de « valeur absolue » des performances des élèves qui passent les épreuves. Celles-ci sont en effet non seulement influencées par le contexte évaluatif, comme cela a déjà été indiqué, mais aussi par l’origine sociale, le milieu culturel et le parcours scolaire antérieur des enfants… Les résultats aux évaluations ne doivent pas conduire à émettre un jugement sur la qualité des enseignants et des établissements ou servir au pilotage de l’allocation des moyens ». Sinon il met en garde contre les déviances que cela entrainerait pour l’Ecole , en rappelant quelques exemples américains.
Un calendrier modifié
Le rapport relève « l’incohérence » et « l’irrégularité » des évaluations mises en place et al confusion faite entre évaluation bilan et évaluation diagnostic. Il relève aussi que les choix des évaluations nationales ignorent les cycles. Il recommande que ces évaluations aient lieu en début de cycle : CP, Cm1 et 5ème seulement. » Les enseignants devraient être associés en amont et en aval de ces évaluations. Celles-ci devraient être élaborées avec leur concours et être suivies, après chaque test, de retours d’expérience et de démarches de co-production de ressources pédagogiques entre l’administration centrale du ministère de l’éducation nationale et les acteurs de terrain ».
Des enseignants récompensés au mérite
En ce qui concerne l’évaluation des enseignants, le rapport est critique sur le protocole existant depuis les accord PPCR. Il souligne l’intérêt de l’évaluation croisée entre inspecteur et chef d’établissement et demande que les directeurs d’école évaluent les professeurs des écoles avec les IEN. Il demande des évaluations intermédiaires supplémentaires entre les rendez vous de carrière pour faire avancer la carrière des « enseignants particulièrement investis ». Sur ce point c’est un vrai retour en arrière. Evidemment tout est dans la détection du mérite. Le rapport reconnait qu’on ne peut le calculer par des tests. Mais il estime que les chefs d’établissement et les inspecteurs sont de bons juges et qu’ils doivent pouvoir augmenter la paye.
Le Cnesco renforcé
Condamné par un rapport du comité de suivi de la loi de 2013, puis par un autre de la Cour des comptes, le Cnesco semblait destiné à disparaitre à court terme. D’autant que fin juillet, le premier ministre annonçait la création « d’une instance d’évaluation par voie législative au 1er trimestre 2019 ». Le rapport Juanico-Tamarelle pourrait bien inverser le destin.
» Le CNESCO, en dépit de moyens limités, est une instance prometteuse qui, en quatre ans, a réussi à mettre en place une méthode d’évaluation du système scolaire à la fois originale, scientifique et participative », explique le rapport. Il rappelle les conférences de consensus organisées par le Cnesco. » Les recommandations du CNESCO sont construites avec des acteurs de terrain (enseignants, inspecteurs, chefs d’établissement, etc., soit plus de 1 200 personnes) et des experts (250 chercheurs)… Ce modèle collaboratif, qui parvient à réunir des praticiens, des universitaires et des représentants de l’administration centrale (soit 2 800 participants aux événements en présentiel), constitue une nouveauté dans le paysage éducatif, qui favorise la diffusion des résultats des évaluations et des préconisations – les vidéos des conférences du CNESCO ont été visionnées 160 000 fois depuis 2014 – et permet ainsi de répondre à la demande d’information exprimée par les acteurs du système éducatif ».
Le rapport préconise un « repositionnement » du Cnesco qui devrai superviser toute l’évaluation du système éducatif, les autres organismes (comme la Depp) étant dotés avec l’accord du Cnesco. Son président devrait être nommé par le premier ministre pour échapper à l’éducation nationale. Et ses effectifs et moyens devraient être renforcés. Le Cnesco a d’ailleurs réagi immédiatement au rapport en en soulignant dans un communiqué tous les aspects positifs.
Un rapport contrasté
Finalement ce rapport marque une indépendance de pensée par rapport à la pensée dominante rue de Grenelle et à la Cour des Comptes. Il tente de créer un système d’évaluation de l’Ecole qui soit le plus indépendant possible de l’Education nationale et qui permette au législateur d’avoir des données fiables sur l’Ecole jusqu’à l’échelle de l’établissement.
En même temps il ne s’affranchit pas du mythe des évaluations nationales qui mélangent diagnostic et bilan. Il ne s’affranchit pas non plus de la croyance dans les « bonnes pratiques », les « enseignants méritants » et la rémunération au mérite.
François Jarraud