Julie Noel est professeure des écoles, depuis 2003. Elle enseigne à l’école Pouchet dans le 17ème arrondissement de Paris. Il y a quelques années, Julie travaille sur les identités avec l’artiste Estelle Fenech, dans le cadre des ateliers « la classe à Paris » proposés par la ville. Lors de l’exposition de ce projet, l’artiste rencontre une journaliste, par ailleurs maman d’un des élèves de Julie. C’est la Rencontre entre les trois femmes. De cette rencontre naît le projet « Photo de classe ».
Créer du lien entre l’élève, sa famille et l’école a toujours été au centre des préoccupations de Julie. « Il ne faut jamais perdre de vue que l’élève qui est face à nous est un enfant par ailleurs », Julie a toujours su, intuitivement, que nouer un réel partenariat avec les parents ne pourrait qu’avoir un impact positif sur le climat de classe et les résultats des élèves : « Nous devons prendre l’élève dans sa globalité, tenir compte de ses problématiques personnelles. Tout cela n’est pas toujours évident, il faut trouver le juste équilibre afin de ne pas non plus ramener sans arrêt l’élève à sa réalité familiale. Mais prendre en considération l’individualité de chacun permet qu’il se sente reconnu comme individu faisant partie du groupe. On crée ainsi des conditions de travail favorables aux apprentissages. Je ne vois pas comment faire l’impasse sur la famille, ce serait complétement contreproductif. Les parents et les enseignants doivent se rencontrer, œuvrer ensemble dans l’intérêt de l’élève-enfant. L’école doit prendre sa part, on ne peut pas tout laisser peser sur les familles… ».
Et puis au hasard d’une lecture, Julie découvre Marie Rose Moro, pédopsychiatre et professeure des universités, dont les axes de travail privilégiés sont le métissage et le bilinguisme. « Marie Rose Moro a mis des mots sur ce que je pressentais. J’ai trouvé un écho scientifique aux idées auxquelles je croyais : les identités sont multiples, et pour et pour pouvoir s’inclure dans une identité collective, celle de la classe, de l’école, du pays, chacun doit savoir d’où il vient ». « Photo de classe » est le type de projet qui permet de fédérer, de construire une histoire en commun.
En 2012, votre classe a participé à un projet largement diffusé sur TV5 monde « Photo de classe ». De quoi s’agit-il ?
« Photo de classe » est un projet imaginé par Estelle Fenech – artiste photographe et vidéaste avec laquelle Julie avait déjà travaillé sur le thème de l’identité – et Catherine Poraluppi – journaliste mais aussi parent d’un élève de la classe. « Elles m’ont demandé si je voulais bien mener un projet de web-documentaire avec elles dans la classe. L’idée était de répondre à la problématique : Et si la diversité était une chance pour l’école ? ». C’est le début de l’aventure qui durera une année scolaire.
Partant de cette problématique, les trois jeunes femmes ont conçu le projet d’un point de vue pédagogique. Ensuite, elles ont élaboré le plan du web-documentaire et envisagé la façon d’aborder les différents sujets en fonction des programmes scolaires, des objectifs en termes de compétences et des différentes contraintes liées à la vie de la classe et de l’école.
Puis, la journaliste, Catherine Poraluppi, et l’artiste, Estelle Fenech se sont chargées d’obtenir l’accord du rectorat de Paris, de trouver une maison de production – Narrative – mais aussi tous les partenaires dont TV5 Monde, Astrapi, l’Alliance Française, la Fondation Lilian Thuram de lutte contre le racisme et d’autres encore. La Fondation Seligman, œuvrant pour des projets en faveur du vivre ensemble a, quant à elle, financé la réalisation d’une fresque sur la fraternité dans la cour de l’école.
Concrètement, Comment vous êtes-vous organisées ?
Julie Noel présente le projet aux élèves comme une enquête dont il faut résoudre l’énigme : « Comment est-il possible que nous nous retrouvions tous dans cette classe, à Paris, en 2012 alors que nos parcours de vie semblent tous si différents ? ». La question est lancée, les élèves ont tout de suite été emballés, « pour résoudre cette enquête, les enfants devaient interroger leurs parents et leurs grands-parents qui devenaient, pour le coup, des acteurs indispensables au projet ». Julie aussi a joué le jeu.
« La phase de tournage arrivait toujours après différentes phases de réflexion, de recherches, de mise en commun et de productions – orales et/ou écrites ». Plusieurs ateliers ont ainsi ponctué la réflexion :
– La géographie de la classe (d’où vient-on ? où sont nés nos parents et grands-parents ?) afin de découvrir la généalogie et les origines des élèves.
– Les langues de la classe (à l’école, on parle le français et à la maison ?)
– Les ateliers philosophiques (les grands mots ce n’est pas que pour les adultes)
– L’autoportrait (comment chaque élève se voit-il ?)
– Les drapeaux (à quoi sert un drapeau ? Comment choisit-on ses couleurs, ses symboles ?)
– Les objets de la famille (dans la maison, il y a souvent des objets auxquels tout le monde tient, ils racontent des souvenirs)
– Les photos de la famille (qui est-il/elle ? où la photo a été prise ?)
– Interviewer ses parents (souvent, l’histoire familiale n’est pas racontée, si on prenait le temps de le faire ?).
« Ce projet participait clairement à la formation du citoyen en devenir qu’est l’élève en travaillant les notions clés que sont la sensibilité (soi et les autres), l’estime de soi qui passe par la connaissance de soi-même et de ses émotions. Il a aussi permis un « réel vivre ensemble » en permettant aux élèves de débattre, de confronter leurs opinions à celles des autres, tout en les respectant, dans le cadre des débats philosophiques ». Un autre axe important de sensibilisation et d’appropriation des valeurs des symboles de la république, tels que le drapeau ou Marianne, est sous-jacent à tout ce projet. Axe qui permet d’instaurer un sentiment d’appartenance pour des élèves dont la diversité culturelle est parfois déroutante.
Les élèves partent à la recherche de leur histoire en construisant des compétences dans tous les domaines d’apprentissage, mais aussi des compétences psychosociales d’une grande richesse.
Le projet « photo de classe » a ensuite été diffusé dans un documentaire « Photo de classe, à l’école de la diversité » de 52 minutes diffusé sur les différents canaux de TV5 Monde. Il a été aussi primé aux Lauriers de la Radio et de la télévision 2014 et a reçu le grand prix du jury 2014 lors du Swiss Web Programm Festival.
Le projet « Photo de classe », dans toute sa dimension du vivre ensemble a-t-il eu des effets sur le climat scolaire dans la classe et dans l’école ?
Julie nous explique que dans la classe, les notions telles que le respect, l’écoute et la tolérance ont pris sens pour les élèves. Au niveau de l’école, le projet a permis « de donner tout son sens au terme « communauté éducative » » où les parents et les enseignants sont dans un partenariat effectif, dans une dynamique de confiance respective et partagée.
Cette aventure a-t-elle changé votre pratique ?
« Cette expérience et cette réflexion sur l’identité continuent d’influencer ma pratique. Je garde à l’esprit que la réussite des élèves et la formation de la personne et du citoyen ne se font que dans le respect de l’identité multiple de chacun et dans le travail en étroite collaboration avec la famille. Les élèves doivent se connaître, se respecter et être respectés afin de se construire sereinement et de pouvoir être élève, apprendre et faire partie du groupe. Je continue à mettre en place dans ma classe des dispositifs de travail qui permettent aux élèves de se connaître, se construire et respecter l’autre. Je pratique des débats philo, un travail sur les textes et mythes fondateurs vecteurs de références communes et permettant d’exprimer ses sentiments, ses émotions en les mettant ensuite à distance. Je travaille aussi sur » les langues de la classe » montrant ainsi la richesse et l’égale valeur de toutes les langues, donnant ainsi un statut aux langues de la famille si ce n’est pas le français ». Julie défend des valeurs d’humanisme, valeurs fondatrices de notre pays : « Je tente de transmettre que les différences sont des richesses pour le groupe et que chacun a des identités multiples ».
Lilia Ben Hamouda
« Photo de classe » est visible à cette adresse. Sur ce site, Julie a partagé sa progression ainsi que les fiches de préparations et d’exercices qu’elle a construit pour les élèves dont le français est la langue maternelle. Une autre enseignante a construit les mêmes outils pour les élèves dont le français est une langue étrangère. Ainsi ce projet est à la disposition de tous Julie fait partie de ces enseignants qui ne s’arrêtent pas à une méthode, elle tâtonne constamment, persuadée qu’il n’y a pas une « bonne façon » d’apprendre mais que chacun doit trouver celle qui lui convient, alors elle cherche toujours, explore, expérimente, « il faut parfois ratisser large pour trouver ce qui peut les aider. Parfois c’est l’effet maître ».