Manon Baudouin : Enseigner les controverses en sciences
Faut-il imposer une sélection à l’entrée en université en France ? Faut-il autoriser la méthode de CrisprCas9 dans la médecine ? Les exemples de sujets de controverses choisis par les élèves du lycée Germaine Tillion du Bourget (93) ne manquent pas. Enseignante de SVT, Manon Baudouin s’implique aussi dans les travaux personnels encadrés. Ses lycéens doivent réaliser une cartographie des controverses attendue dans la production finale. « La cartographie va permettre aux élèves de représenter la complexité de la controverse sans pour autant l’écraser. » Le moteur de recherche Hyphe Browser développé par Sciences Po est aussi mis à contribution. « Les enjeux sont très enchevêtrés et les élèves doivent démêler ces nœuds ». souligne l’enseignante.
Comment définiriez vous cette « cartographie des controverses » menée en TPE dans votre lycée ?
Ce projet fait partie de notre projet d’établissement, il est généralisé à l’ensemble des équipes enseignantes et donc des élèves de 1ère. En effet, il s’agit de travailler les TPE sous la forme de controverses, associées à leurs cartographies. Le but étant de travailler de façon interdisciplinaire et de décloisonner les disciplines mais aussi les filières. Les S, ES et L travaillent tous ensemble sur des sujets divers et variés.
Les élèves travaillent sur des sujets controversés dans la société actuelle afin de mettre en avant le fait que chaque controverse mêle de nombreux acteurs impliqués pour des enjeux engageant sciences, techniques et société. Mais ces enjeux sont très enchevêtrés et les élèves doivent démêler ces nœuds.
Quels sont les sujets choisis par vos élèves ? Qu’est-ce qu’un bon sujet de controverse ?
Certains sujets reviennent beaucoup comme par exemple « faut-il légaliser l’euthanasie en France ? », « faut-il autoriser la méthode de CRISPRCAS9 dans la médecine ? », ou encore « faut il légaliser le cannabis à des fins thérapeutiques en France ? ». Cependant des sujets plus originaux apparaissent comme par exemple « faut il imposer une sélection à l’entrée en université en France ? », « faut il mettre en place une identité de sexe neutre ? », « faut il développer les salles de shoots en France ? »…
En quoi le moteur de recherche développé par Sciences Po vous aide t-il ?
Le moteur de recherche Hyphe Browser est extrêmement intéressant de part l’analyse fine de chaque site. Il permet de crawler l’ensemble d’un site, ce qui veut dire connaître la totalité des hyperliens cités sur un site. Hyphe Browser est aujourd’hui encore en cours de développement par Science po Paris et donc en cours de test avec des élèves durant cette année 2017 2018.
Quels points positifs voyez-vous à utiliser cette approche ?
Hyphe Browser permet d’identifier précisément un site : savoir s’il est crédible notamment en sachant à quels autres sites il est relié, identifier la neutralité ou pas du contenu d’un site… Il permet donc de traiter chacun des propos des acteurs en connaissant les enjeux qu’ils impliquent.
Comment s’organisent vos séances de TPE ? Quelle est la place réservée à la cartographie dans la production ?
Les séances durent 3h par semaine, nous sommes tous en barrette sur le même créneau ce qui nous permet de tous travailler ensemble et d’avoir des coopérations également intergroupes qui auraient des sujets similaires. La cartographie va permettre aux élèves de représenter la complexité de la controverse sans pour autant l’écraser. Elle rend visualisable l’ensemble des liens et interactions entre acteurs (associés à leurs fonctions dans la société) et leurs enjeux de positionnement dans la controverse (politiques, économiques, environnementaux, médicaux…).
La cartographie des controverses est attendue dans la production des élèves. Certains commencent à la réaliser dès le début de leur travailler car ils trouvent une utilité rapidement, mais le plus souvent son utilisation est faite à la mi-chemin du travail (environ au mois de décembre) lorsqu’ils commencent à avoir des difficultés à comprendre l’ensemble des interactions découvertes lors de leurs recherches personnelles.
Cette cartographie a donc une utilité pour l’élève mais également une forte importance pour l’enseignant. En effet, elle permet de se rendre compte rapidement de l’avancée du travail du groupe et notamment les axes qui resteraient à encore développer avant la fin des TPE.
Entretien par Julien Cabioch
En savoir plus :
Formation par la cartographie des controverses à l’analyse des sciences
Dans le Café
TPE : Les thèmes sont enfin connus !
Lucie Jallais : Des écolycéens mobilisés pour leur cadre de vie
Comment impliquer des lycéens dans un projet intégré autour du développement durable ? Comment une enseignante de SVT peut-elle impulser une dynamique d’équipe et transformer la réalité d’un établissement ? Lucie Jallais, enseignante de SVT au lycée Pierre Bourdan à Guéret (23) sollicite ses lycéens pour un atelier écocitoyen. Des plantes vertes dépolluantes dans les salles aux économies d’échelle au self en passant par la mise en place d’un verger, les pratiques et le cadre de vie changent au lycée Pierre Bourdan. Impliquant de nombreux partenaires extérieurs et une organisation interne collective, Lucie Jallais détaille les actions réalisées.
Qu’appelez-vous « écolycéens » dans votre établissement ? Quelles sont leurs missions ?
Nos éco-lycéens sont des élèves de tous les niveaux et de toutes les filières s’inscrivant de façon libre et volontaire dans l’ « Atelier développement durable » qui souhaitent s’investir volontairement dans les projets de développement durable (mise en place d’actions de sensibilisation/communication autour des gestes éco-responsables et aide à la réalisation de celles-ci). Ils veulent aussi contribuer activement au développement de pratiques éco-citoyennes dans notre établissement et à long terme dans les foyers (création d’une dynamique de groupe au sein de l’ensemble des familles). Enfin ils sont volontaires pour donner des idées d’actions réalisables (les élèves donnent les idées de départ et l’établissement fait son possible pour les mettre en œuvre).
Quel est le profil de ces élèves ? Comment les sollicitez-vous ?
Il n’y a pas de profil particulier, tous les profils sont représentés puisque chacun a le choix de l’importance de son investissement (certains ne donneront que les idées, d’autres ne souhaitent faire que les actions et d’autres-la plupart-feront les 2). Par contre sur les 2 années précédentes, davantage d’élèves de 1ère et de terminale dans le groupe car les élèves sont plus « à l’aise » dans l’établissement, quoique de plus en plus d’élèves de 2nde sont intéressés car davantage sensibilisés en amont, au collège.
Les élèves sont sollicités dès la 2nde par l’intermédiaire des professeurs principaux et du référent développement durable du lycée qui présentent l’atelier et la démarche globale du lycée. Les volontaires se préinscrivent alors par l’intermédiaire d’un coupon réponse (une 30aine d’élèves pré-inscrits à ce jour), ils sont ensuite convoqués à la réunion de présentation globale (qui aura lieu cette année le jeudi 5 octobre) et s’inscrivent définitivement à l’atelier à la fin de celle-ci. Les éco-lycéens des années précédentes (encore dans l’établissement) ont demandé spontanément quand débutait l’atelier, on peut donc dire qu’ils semblent satisfaits de leur(s) expérience(s) passée(s) …
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’organisation interne qui cadre le projet ?
Les éco-lycéens, une fois inscrits officiellement se réunissent par thème et décident des actions qu’ils souhaiteraient mettre en œuvre (entretien de celles déjà en place + nouveautés). Celles-ci sont ensuite présentées au 1er Comité de pilotage (COPIL n°1 en décembre) qui les valide ou les invalide et/ou précise les modalités de leur mise en œuvre. Le COPIL est composé du chef d’établissement, de l’intendant, du référent développement durable et de représentant(s) des parents d’élèves, de la vie scolaire, du corps enseignant, du Conseil régional et des éco-lycéens (1 éco-lycéen référent par thème) +intervenants spécifiques en fonction des besoins (par ex chef de cuisine, CPIE…).
Un 2ème COPIL se réunit en mars (avancement des actions) et un 3ème COPIL en mai/juin pour faire le bilan de l’année et proposer des nouvelles actions/modifications pour l’année suivante.
Le projet global E3D (établissement en démarche de développement durable) a été présenté en CA et validé en 2015, et depuis , le CA est informé environ 2 fois par an de l’avancement des actions et des différentes labellisations obtenues (label E3D niveau 2 et label Eco-école en juin 2017).
Concrètement, quelles sont les réalisations qui transforment votre établissement et les habitudes des uns et des autres au cours des années ?
Concernant le thème « Lutte contre le gaspillage alimentaire », voici les réalisations mises en place :
– Grande enquête pour les usagers du self (élèves + personnels) avec bilan pris en compte par les cuisiniers et la Commission menu qui élabore les menus
– Evaluation du gaspillage du pain au restaurant scolaire puis mise en place d’une distribution du pain différente avec nouvelle évaluation des pertes (- 60 %) + affiches de sensibilisation
– Enquêtes de satisfaction sur les nouveautés au restaurant scolaire pour savoir si on peut les proposer plus souvent dans les menus et pour connaître les habitudes alimentaires des usagers et leur permettre de découvrir de nouvelles saveurs
Concernant le thème « Tri/prévention/récupération des déchets » :
– Mise en place de boîtes de récupération du papier et des instruments d’écriture (le Lycée est collecteur officiel pour l’entreprise Terracycle) dans chaque salle de classe mais aussi à l’administration et à l’intendance
– Poubelles extérieures peintes de 2 couleurs différentes en fonction des déchets à y déposer (peinture réalisée par agents de la Région et éco-lycéens)
– Affiches de sensibilisation pour l’économie d’encre et de papier au niveau des salles équipées d’imprimantes
– Composteur à disposition des élèves pour leurs déchets de nourriture
– Récupération des piles
– Récupération des cartouches d’encre et des téléphones portables au profit de l’association Enfance et Partage
Concernant le thème « Amélioration de la biodiversité et des conditions de vie dans l’établissement » :
– Réfection des bancs par les agents de la Région et les éco-lycéens
– Verger partagé au sein du lycée (pommiers, cerisiers nains, poiriers nains, framboisiers, fraisiers, myrtilliers)
– Achat et fleurissement de jardinières dans les cours du lycée
– Plantes vertes dépolluantes dans les salles (Chlorophytum, Crassula)
Comment évaluez-vous votre démarche ?
Notre démarche ne comporte que quelques points évalués, surtout au niveau du gaspillage alimentaire. Nous avons réduit de 60% la part de pain gaspillée par jour. Une nouvelle enquête de satisfaction du restaurant scolaire va être proposée cette année afin de comparer avec les résultats obtenus l’an dernier et évaluer les progrès réalisés ainsi que les points à approfondir.
Tous les acteurs de l’établissement s’impliquent davantage au cours du temps, c’est peut-être l’essentiel. Nous réfléchissons à des méthodes plus concrètes d’évaluations de nos différentes actions, par exemple par l’intermédiaire de sondages.
Quels partenariats extérieurs sont mis en place ? Pour quels retours ?
Nous avons mis en place de nombreux partenariats extérieurs :
– Jardiland Guéret : prix sur les plantes/arbustes et jardinières + visite dans le lycée du pépiniériste pour expliquer la taille des arbustes et donner des conseils sur les plantations
– CPIE des Pays creusois : conseils sur notre démarche
– Evolis 23 : traitement des déchets avec don du petit composteur + gros composteurs à venir pour les déchets du restaurant scolaire
– Terracycle : récupération des instruments d’écriture avec versement financier en contre partie (40 euros environ pour 20 kg d’instruments d’écriture récupérés) pour le Foyer Socio-Educatif du lycée
– Association LVL : récupération des cartouches d’imprimante/photocopieur et des téléphones portables au profit de l’Association Enfance et Partage
– Conseil régional : participation aux différentes actions, futur aménagement d’un grand espace vert dans la cour intérieure, future modification de la chaîne de service du restaurant scolaire pour permettre le tri des déchets
Quels sont les projets à venir pour cette nouvelle année ?
Nous avons eu l’accord de notre proviseure de modifier les parterres devant le lycée où actuellement ne poussent que de la pelouse et quelques rosiers. Nous souhaiterions (si les élèves réitèrent leurs demandes de l’an dernier) y planter des arbres rustiques creusois (pommiers notamment) en développant un partenariat avec l’association creusoise « Les croqueurs de pommes » et en créant des carrés potagers avec des aromatiques qui pourraient y être associés (travail possible avec une association locale de réinsertion professionnelle).
Nous aurons bien sûr aussi à cœur de poursuivre toutes les actions engagées au niveau du gaspillage alimentaire et du tri des déchets, tout en développant notre sensibilisation à la récupération des instruments d’écriture en proposant une collecte dans tous les autres établissements publics de la ville de Guéret au moins (collèges, école, IUT…).
Nous aimerions aussi concrétiser un projet que nous avons mis en place depuis 2 ans, en partenariat avec le lycée des Métiers du Bâtiment de Felletin, consistant en l’installation, dans notre cour principale de bancs hexagonaux (autour des tilleuls déjà en place) en bois local, dont la fabrication et la pose seraient réalisées par les élèves de ce lycée professionnel. Le partenariat est en place, les plans sont prêts, nous n’attendons plus que le feu vert de la région.
Une liste plus exhaustive des projets d’actions sera réalisée après les différentes réunions tenues par les éco-lycéens des différents thèmes (puisque ce sont eux qui donnent les idées de départ, en prenant en compte les idées de l’année passée n’ayant pas pu aboutir, faute de temps et/ou de moyens), qui pourra être présentée ensuite au comité de pilotage de l’année 2017-2018.
Entretien par Julien Cabioch
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