« Je souhaite progresser avec vous vers ce qui sera le concept clé de l’éducation au cours des cinq années à venir : celui d’ « école de la confiance ». J’inscrirai cette action dans un temps long qui est celui de l’éducation. Nous y parviendrons par une confiance réciproque de l’institution et de ses personnels et par une confiance de tous les acteurs les uns vis-à-vis des autres. » (Jean-Michel Blanquer, Lettre aux enseignants, 6 juillet 2017) La confiance, vraiment ? Dans l’Express du 13 septembre 2017, le même Jean-Michel Blanquer fait de nouvelles annonces : nouveaux programmes de français fondés sur la chronologie des courants et des œuvres, suppression de la notion de prédicat, interdiction du téléphone portable au collège… Les réactions de beaucoup de collègues interrogés oscillent entre consternation et colère. Rapide synthèse de propos qu’on peut résumer à une question : pourquoi tant de haine ?
Pourquoi tant de haine envers le français ? Cette matière, depuis des décennies, tente de se réinventer peu à peu, ce que saluent beaucoup d’enseignant.e.s. Pour que l’enseignement de la langue cesse d’être un apprentissage formaliste de la grammaire et devienne une pratique de classe, réelle et formatrice, à l’oral comme à l’écrit. Pour que l’enseignement de la littérature cesse de faire de celle-ci un simple objet scolaire, sous forme d’un parcours chronologique dans une histoire littéraire officielle (qui participe à sa façon, rappellent certains, du « roman national »). Pour que la littérature, qu’elle soit d’hier ou d’aujourd’hui, patrimoniale ou contemporaine, retrouve ainsi du sens à l’Ecole en devenant une expérience, authentique, diversifiée, réflexive, du monde, de soi, des autres.
Pourquoi tant de haine envers « les acteurs » de l’Ecole ? Envers tous ceux et toutes celles qui, quelles que soient leurs tâches (enseignement, formation, recherche, inspection …), participent depuis des années à la vitalité de la discipline. « Notre expertise de professeurs de lettres est-elle moindre que celle d’un ancien directeur d’école commerciale ? », interroge un collègue, outré. N’est-ce pas en particulier mépriser les enseignant.e.s, fait remarquer un autre, que de leur demander de changer les contenus un an seulement après la mise en place de nouveaux programmes, dont la plupart ont adhéré à l’esprit, même s’ils en ont parfois contesté tel ou tel détail ou les modalités de mise en œuvre ? Qu’en est-il de ce « temps long » que le Ministre évoquait dans sa lettre de juillet ? Des professeur.e.s de lycée renchérissent : ils espéraient que notre discipline continue à être « en marche » et que cette marche, collectivement travaillée, débouche sur une rénovation des programmes de français en seconde et en première. Patatras ?
Pourquoi tant de haine envers la modernité ? Au sujet des smartphones, certains collègues rappellent la loi au Ministre de l’éducation, en l’occurrence un article du Code de l’éducation en vigueur depuis juillet 2010 qui en proscrit déjà l’usage : « Dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ». Selon Jean-Michel Blanquer, « en Conseil des ministres, nous déposons nos portables dans les casiers avant de nous réunir. » Certes, mais « comparaison n’est pas raison », objecte une professeure : l’Ecole n’est pas l’Elysée, la classe n’est pas la chambre d’enregistrement de projets élaborés à l’avance, mais un espace d’apprentissage, de construction et d’échange. Dans cette perspective, est-il souligné par plusieurs, le « téléphone intelligent », ou « ordiphone », peut être un outil de travail très précieux (recherche internet, écriture partagée, travail sur l’image ou sur l’oral …). Le démontrent de nombreuses expériences AVEC (« Apportez Votre Equipement personnel de Communication ») actuellement en cours en France et ailleurs, y compris avec le soutien de l’administration. C’est qu’en la matière aussi, éduquer, ce n’est pas forcément interdire, c’est surtout apprendre : apprendre des usages nouveaux et créatifs de l’outil, en développer l’utilisation la plus adaptée et réfléchie possible, faire alors de la classe une véritable Ecole de l’attention et du discernement.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Les déclarations de Jean-Michel Blanquer
La lettre de juillet 2017 de Jean-Michel Blanquer
Le Code de l’éducation sur les téléphones portables