« Qu’apprend-on exactement à l’école ? Comment apprend-on ? » Ce sont ces questions centrales pour l’éducation que la revue Administration & Education soulève à travers une mise en parallèle d’approches différentes qui rendent ce numéro (2016 n°4) particulièrement intéressant. A l’entrée par les sciences cognitives, privilégiée dans ce numéro, s’oppose presque une analyse toute en finesse des programmes de maternelle par Viviane Bouysse. André Tricot apporte un éclairage original et puissant en essayant d’expliquer pourquoi les élèves apprennent si peu avec le numérique à l’école. Un numéro qui fait date pour les enseignants qui sur le terrain essaient de faire apprendre.
Chercheurs et enseignants
« Une solide connaissance des processus , des obstacles épistémologiques et des conditions favorables à la construction des savoirs parait aujourd’hui indispensable à la professionnalité des enseignants… Apprendre est au coeur des débats sur l’école aujourd’hui ». Martine Caraglio et Philippe Claus , qui ont coordonné ce numéro d’Administration & Education, ont mis la barre haut en abordant un thème qui divise. Ils l’ont fait en multipliant les points de vue, constituant ainsi une base de réflexion remarquable.
C’est Olivier Houdé (Université Sorbonne Paris Cité) qui ouvre la première partie du numéro qui donne la parole aux sciences cognitives. « La pédagogie est un art qui doit s’appuyer sur des connaissances scientifiques actualisées. En apportant des indications sur les capacités et les contraintes du « cerveau qui apprend », la psychologie expérimentale du développement et les neurosciences cognitives peuvent aider à expliquer pourquoi certaines situations d’apprentissage sont plus efficaces que d’autres. En retour, le monde de l’éducation , informé qu’il est de la pratique quotidienne peut suggérer des idées originales d’expérimentation ».
Beaucoup est dit dans ces deux phrases sur les rapports entre chercheurs et enseignants. Plus loin dans le numéro, Viviane Bouysse semble y répondre en rappelant la réflexion de Poincaré : « la science parle à l’indicatif , pas à l’impératif ».
Apports des neurosciences
O Houdé se limite à résumer les deux formes d’apprentissage neurocognitif que la recherche, notamment les siennes et celles de S Dehaene, ont mis en évidence : l’automatisation par la pratique et le contrôle par l’inhibition. « Il ne suffit pas de connaitre les règles par la pratique, la répétition, il faut également dans certains cas inhiber nos automatismes ». D’autres auteurs, doctorants ou professeurs, développent ces théories. L’accent est mis sur une éducation à l’inhibition comme élément clé des apprentissages. Même si les auteurs s’appuient sur des cas d’erreurs fréquents, l’apport pour l’enseignant dans sa pratique de classe reste limité.
Viviane Bouysse entre dans le vif du sujet en montrant l’évolution des programmes de maternelle et les bases idéologiques de leur évolution. « Devenir élève c’est bien de devenir capable de se maitriser assez pour se concentrer, pour écouter aux fins d’apprendre », écrit-elle. « A coté des neurosciences cognitives, les neurosciences que l’on dit affectives et sociales nous instruisent sur les relations entre cognition et émotions – donnant sur ce point une assises aux théories de Wallon – mais aussi sur l’importance de la bienveillance. On sait aujourd’hui que la qualité et le climat des relations constituent le terreau qui conditionne le potentiel de croissance ». C’est ce qui lui permet de dire « qu’on en saurait tout attendre de la recherche, la documentation risquant d’être toujours imitée ou décalée par rapport aux besoins multiples et variés des acteurs de l’école »… Les interpellations des praticiens.. devraient être mieux entendues des « chercheurs » car il reste bien des angles morts »…
Apprendre avec le numérique ?
Troisième moment fort de ce numéro, le remarquable article d’André Tricot (Université Toulouse Jean Jaurès) sur l’apprentissage par le numérique à l’école. « Pourquoi les élèves apprennent-ils si peu avec le numérique à l’école ? Qu’est ce que les enfants apprennent au cours de leurs usages quotidiens , non scolaires, du numérique ? ».
L’article oppose les apprentissages adaptatifs, ceux que nous faisons dans la vie quotidienne, avec les apprentissages scolaires. A Tricot montre que ces derniers sont très différents. « Les apprentissages scolaires avec outils numériques sont peu développés parce que leurs plus values sont encore mal connues, conduisant les concepteurs à développer des supports d’une façon assez naïve, oubliant les fondements des situations d’apprentissage par enseignement ». Les processus d’apprentissage scolaires demandent des efforts d’attention importants même avec le numérique si ce n’est davantage encore avec lui.
Bien d’autres approches se retrouvent dans ce numéro. On lira avec intérêt celle d’un psychiatre et celle de plusieurs inspecteurs généraux qui réfléchissent à ce qu’est apprendre dans leur discipline. Apprendre en EPS par exemple est bien différent des lettres.
Au final les deux coordonateurs du numéro soulignent que la fascination pour les sciences cognitives a au moins l’avantage de sortir le débat scolaire de l’opposition stérile entre pédagogues et « républicains ». Mais ils montrent aussi leur ambition « vertigineuse ». « La recherche ne nous dit pas quoi faire », affirment-ils.
François Jarraud
Qu’est ce qu’apprendre ? , Administration & Education, n°4 2016.