Par Barbara le Douarin et Julien Cabioch
Vincent Faillet, professeur de classe mutuelle
Vincent Faillet, enseignant de SVT au lycée Dorian (Paris 11ème) a totalement réorganisé sa salle de classe. Les murs sont couverts de tableaux et les tables disposées en ilots pour un travail de groupe. Ses séances se déroulent désormais en 3 actes. Quel lien entre cette salle de classe reconfigurée et l’idée de « classe mutuelle » ? Quelle place pour l’enseignant ? Entretien avec Vincent Faillet
Quel est le principe de la classe dite mutuelle ? Comment se déroulent vos cours désormais ?
Le principe fondateur est de créer les conditions favorables à l’enseignement par les pairs. Il s’agit de faire potentiellement de chaque élève, un « moniteur » susceptible d’expliquer à un autre. Il fallait pour cela repenser la salle de classe qui est conçue pour une utilisation magistro-centrée : le tableau du maître, les tables alignées pour que les élèves ne ratent rien de la « magistrale » parole… Pour ce faire nous avons couvert les murs de tableaux, et réorganisé le mobilier pour favoriser le travail de groupe.
Le terme « mutuel » est un petit hommage à la méthode d’enseignement mutuel qui a connu son apogée en France au début du 19ème siècle avant de disparaitre au profit de la méthode simultanée, toujours en vigueur actuellement. La méthode mutuelle s’organisait autour de moniteurs qui étaient des élèves plus avancés dans les apprentissages et qui enseignaient aux autres. C’est finalement quelque chose de naturel pour les élèves mais pour cela l’enseignant doit savoir s’effacer…
Les cours se décomposent généralement en trois séquences distinctes. Premièrement une séquence conceptuelle, c’est le cours ou plus précisément les concepts essentiels du cours – un cours version enseignement simultané classique. Sur un cours d’une heure trente, cette séquence dure environ 20 minutes. Deuxièmement, une séquence mutuelle, et là, les élèves prennent possession de l’espace. Ils réorganisent les tables pour travailler en groupes, vont sur les tableaux pour résoudre des exercices, dessiner des schémas-bilan ou des cartes mentales… Pendant cette séquence qui dure environ 50 minutes, je me concentre sur les élèves en difficulté ou sur ceux qui ont besoin d’approfondir le cours. Enfin, troisièmement, une séquence bilan. Pendant 10 minutes, je commente – avec l’aide des élèves – les différents tableaux qui ont été produits. Des corrections sont apportées si nécessaire. A la fin de la séance, les tableaux sont photographiés par les élèves et archivés.
Quels avantages voyez-vous à travailler de cette façon ? Est-ce possible en TP ?
Je trouve de nombreux avantages à travailler ainsi. Déjà, chaque élève travaille à son rythme, ce qui est difficile dans un enseignement simultané. Il m’est arrivé de passer 25 minutes en cours avec deux élèves en difficulté, alors que pendant ce temps le reste de la classe était en activité – un cas de figure impensable dans le cadre d’un enseignement simultané. Je trouve aussi que cette façon de travailler donne de la valeur ajoutée à mon enseignement. Lorsqu’une difficulté apparait dans un exercice par exemple, je m’appuie sur les élèves qui ont passé cette difficulté pour qu’ils expliquent à leurs camarades. Cela me permet de me concentrer sur les élèves qui en ont le plus besoin. Je reste disponible bien évidemment en cas de nécessité. De plus, les activités sur tableau sont très pratiques, j’ai une vision synoptique du travail. Les erreurs sont très vite repérées, de même que les élèves passifs. Je constate aussi une saine émulation dans la classe car les élèves en difficulté du jour pourront être les moniteurs de demain. Les élèves sont beaucoup impliqués, attentifs et valorisés.
Pour ce qui est des TP, je trouve que l’on travaille déjà un peu sous cette forme. Les effectifs réduits facilitent les échanges, les élèves sont en activité et peuvent passer de poste en poste pour recueillir des informations ou des aides auprès de leurs camarades.
Plusieurs collègues se joignent à votre expérience… Une contagion ou une évidence ?
Une évidente contagion… En fait, je suis honnêtement très surpris d’une telle adhésion. Pour avoir conduit quelques expérimentations dans mon lycée, je sais toute la difficulté de « recruter » des enseignants volontaires. Cela étant, ce n’est pas mon objectif sur la « classe mutuelle » car je n’inscris pas cette démarche dans un protocole expérimental – il m’est impossible d’être juge et partie ! Très rapidement une collègue de sciences physiques et chimiques s’est associée au projet puis d’autres sont venus, intrigués par cette salle reconfigurée avec ses tableaux muraux. Il a été très rapidement possible de mutualiser cette classe pour la faire fonctionner presque exclusivement sur le modèle de la « classe mutuelle ».
Quelques enseignants ont rejoint le projet car ils étaient lassés des méthodes traditionnelles et avaient envie « d’expérimenter autre chose ». Et cela a été d’autant plus facile que ce projet n’est pas dépendant du numérique. En réalité, on peut faire la « classe mutuelle » sans y inclure le numérique ce qui a rassuré, je pense, de nombreux collègues. Le numérique vient, dans un second temps, de façon naturelle et ce sont souvent les élèves qui l’apportent : smartphones et enceinte pour écouter des vidéos sortent très vite des sacs, smartphones pour photographier les tableaux ou rechercher des informations, Facebook ou Twitter pour archiver les photographies ou pour échanger sur le cours en dehors des heures de classe.
Un changement de mobilier est envisagé …
Oui, nous venons de changer de tables et de chaises et pour poursuivre mon propos, il y a quelques mois encore, j’aurais plus pensé demander une dotation en matériel numérique qu’en mobilier ! Je suis un partisan convaincu du numérique éducatif mais je me rends compte à présent que doter en numérique une classe prévue pour fonctionner en mode d’enseignement simultané n’est guère plus efficace que « cautère sur jambe de bois ». Aujourd’hui – et c’est paradoxal – pour faire l’« école numérique », j’ai avant tout besoin de mobilier modulaire, de tableaux effaçables, d’un Wi-Fi performant et de prises pour recharger les appareils des élèves.
Outre les tableaux, nous avons besoin de place pour faciliter les déplacements des élèves et la réorganisation des tables pour le travail de groupe est un impératif. Le mobilier ne permettant pas cette modularité – ou très mal, nous avons décidé de tester autre chose. Et notre choix s’est arrêté sur une entreprise française, qui a fait travailler un designer pour concevoir du mobilier scolaire innovant.
Avez-vous des retours des lycéens ? De l’institution ?
Les retours des lycéens sont très positifs, ils apprécient forcément le changement et faire de la classe un espace de liberté et d’échanges ne peut pas leur déplaire. L’institution est bienveillante tant au niveau local que central. Mon chef d’établissement soutient le projet depuis son commencement, quant au Ministère, je crois savoir qu’il suit avec intérêt le travail que nous menons.
Quels sont vos usages du site classemutuelle.fr ? A qui s’adresse-t-il ?
Le site été conçu dans un premier temps pour être un espace numérique de travail dans lequel les enseignants peuvent déposer des ressources pour les élèves. Le site héberge également une « Agora » qui renvoie vers un logiciel de chat sécurisé « Mattermost ». Cette « Agora » est un espace dédié aux élèves sur lequel ces derniers peuvent déposer, indexer et commenter les photographies des tableaux. L’an dernier, il n’y avait pas le site classemutuelle.fr, et j’utilisais Twitter avec mes élèves. Il s’avère que cette année, nous avons beaucoup de mal à fédérer les élèves autour de l’« Agora ». Comme souvent, les élèves lui préfèrent l’utilisation de Facebook. Nous nous sommes donc adaptés aux élèves et nous utilisons une page Facebook, privée et dédiée au travail scolaire ! Le projet évolue aussi avec les retours des élèves.
Dans un second temps, il nous a semblé important de partager cette expérience avec d’autres collègues, c’est pour cela que nous expliquons sommairement la philosophie de la classe mutuelle sur le site. D’autres projets de ce type existent très certainement et nous serions heureux d’échanger à ce sujet. Ce site est aussi une bouteille à la mer…
Entretien par Julien Cabioch
Pédagogie inversée et plaisir d’apprendre
Placer l’élève au cœur de l’action est une réalité pour Valérie Rambaud, professeure de SVT au lycée Claude de France de Romorantin (41). Elle souhaite donner le plaisir d’apprendre, de chasser l’ennui et de remotiver certains élèves de terminale S. Sa technique : utiliser la mémoire sous toutes ses formes pour apprendre à apprendre. Les lycéens créent entre-autres une bande-dessinée collaborative en immunologie, un scénario d’un film sur la méiose et des exercices. Pour quelle réussite ? Qu’en retirent les élèves ? Rencontre avec Valérie Rambaud présente au forum des enseignants innovants 2016
Pouvez-vous expliquer en quelques lignes votre projet ?
Mon projet est une pédagogie inversée menée en terminale S en SVT. En travaillant sur toutes les formes de mémoire : visuelle, auditive, kinesthésique avec des supports et des activités variées et en développant la collaboration entre les élèves de manière à leur redonner la confiance et l’envie d’apprendre : la mémorisation des notions est facilitée.
Dans quel contexte avez-vous élaboré votre projet ?
J’ai commencé il y a 5 ans avec une classe particulièrement bavarde : 2h de cours de 16h à 18h le vendredi soir. Il faut trouver une solution pour ne pas crier et être aphone tous les week-ends. Après 3 semaines mouvementées, une séance consacrée à écouter leur point de vue, qui se résumait à « on veut être actif ». J’ai commencé par leur distribuer le cours en amont et en classe j’expliquais les notions et on prenait plus de temps pour les exercices.
Puis d’année en année, j’ai augmenté la part d’autonomie des élèves dans leur apprentissage. Jusqu’à ne faire qu’un cours d’une dizaine de minutes face à des élèves qui ont les yeux fermés afin de réactiver leur mémoire. Le reste du temps de cours est occupé par des travaux collaboratifs entre les élèves. Depuis l’année dernière, je demande à mes élèves d’être prescripteurs des ressources qui manquent à leur compréhension, ainsi cela me permet de voir sur quel point ils peuvent bloquer et essayer de faciliter leur compréhension.
Que font les élèves au cours des séances ?
Mes lycéens font des exercices collaboratifs, toujours différents dans la méthode, pour ne pas lasser les élèves : à l’écrit, à l’oral, en groupe de 2, de 4, avec des élèves qui jouent le rôle d’évaluateur, des élèves qui créent des questions ou des exercices pour les autres. La plateforme Genially est utilisée pour les corrections collaboratives des TP et exercices.
Une fois par thème soit 5 dans l’année un grand film dans la salle de conférence afin de fixer la mémorisation des notions. La création d’une BD collaborative sur le thème immunologie, la création du scénario d’un film qu’ils réalisent ensuite sur la méiose Mon seul objectif est de susciter de la curiosité et de permettre aux élèves d’acquérir les notions et les méthodes qui leurs seront nécessaires lors de leurs études post Bac.
Que font les élèves à la maison ?
Les lycéens consultent le cours en ligne, sur la plateforme Moodle sur l’ENT, avec des ressources variées (vidéos personnelles créées en ligne sur powtoon notamment ou créées par d’autres professeurs et partagées en licence commons education, sons, images, texte), afin de permettre à chacun selon ses facilités de mémorisation de s’approprier les notions.
Une fois dans l’année chaque binôme est responsable de la correction d’un TP ou d’un exercice de manière à ce que tous en profitent sans avoir un énorme investissement personnel à fournir. L’objectif du travail à la maison est de leur permettre de prendre le temps nécessaire à la compréhension et à la mémorisation.
Observez-vous plus de réussite chez vos élèves ? En quoi votre projet créé-t-il un « plaisir d’apprendre » pour vos élèves ?
Depuis deux ans, mes deux classes de Terminale S (sur 4 classes au lycée) étaient constituées d’élèves qui au départ avaient des résultats très moyens et surtout des élèves démotivés qui pensaient « ne pas y arriver ». A la fin de l’année, non seulement les résultats avaient augmenté mais leur confiance en eux s’était améliorée, certains ont osé choisir des vœux post bac qu’ils n’avaient pas envisagé en début d’année.
C’est le bannissement de l’ennui et l’instauration de la confiance entre les élèves et moi qui crée le plaisir d’apprendre. Les élèves sont contents et curieux de venir en classe, et certains anciens reviennent parfois les années suivantes (lors de leurs vacances universitaires) expliquer aux élèves les points positifs qui leurs servent dans les études post bac.
Quel bilan tirez-vous de la pédagogie que vous mettez ainsi en œuvre ?
Un investissement assez lourd en terme de temps de travail, préparation des vidéos, recherche d’exercices différenciés …mais gratifiant quand les élèves sont heureux de venir en classe. Mon bilan personnel est très positif, je m’amuse en classe avec mes élèves et cela fait beaucoup de bien.
Pouvez-vous donner deux points forts de cette pratique d’enseignement ?
Deux points forts ce sont deux situations de classe. Lors d’un DS, un de mes élèves me demande de l’aider sur une notion qu’il ne savait plus expliquer, je lui dis de fermer les yeux et de repenser au film qu’on avait vu deux semaines auparavant en lui décrivant la scène du film. Au bout de 30 secondes, il rouvre les yeux et me dit « ça y est je me souviens ». Il a eu la meilleure note qu’il n’avait jamais eu en SVT !
Il y a aussi les élèves qui s’envoient une question sur le forum de la classe pour réactiver la mémoire. J’ai initié la première question, depuis ils se débrouillent seuls et ont instauré de continuer de le faire toute l’année (alors qu’au départ je ne l’avais prévu que sur un seul thème ..).
Et deux points faibles ?
Le temps de préparation afin de fournir des ressources variées et de qualité aux élèves. Certains élèves ne veulent pas adhérer à cette pédagogie et souhaitent « gratter » pendant 2h en cours. J’essaie de leur expliquer qu’être actif du bout des doigts ne signifie pas mémoriser et comprendre.
Propos recueillis par Barbara Le Douarin
Classe inversée en maths et sciences-physiques
Classes inversées en langues et SVT
Deux profs de SVT au JT de France 2
Pour illustrer les nouvelles méthodes d’apprentissage au collège et au lycée, les caméras de France Télévisions se sont invitées en cours de SVT. Ces enseignants, déjà repérés par le Café Pédagogique il y a quelques mois, détaillent leur projet. D’un côté, Caroline Brottet-Aiello travaille dans un nouvel espace modulable dans son collège. «L’environnement a été repensé pour accueillir toutes les séquences pédagogiques atypiques, devenir un lieu d’étonnement et de création ». De l’autre côté, Grégory Michnik, primé au Forum des enseignants innovants de Paris, missionne ses élèves à travers un jeu sérieux pour découvrir la planète Mars.
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2017/01/17012017Article636202341795487033.aspx
Formation : Immersion au CEA de Saclay
Comment un enseignant peut-il se former scientifiquement ? Destinée aux enseignants de sciences des collèges et lycées, cette formation « inspirée par les Science Learning Centres britanniques » a pour objectif de fournir des ressources utilisables en classe dans les domaines de la physique et de la chimie. Durant les 3 journées prises en charge financièrement par le CEA, les enseignants échangeront par exemple autour de l’IRM, des nanostructures ou encore de la tectonique des plaques. Entre visites de laboratoire et démonstrations scientifiques, le programme proposé s’articule autour de la santé, des matières, des séismes et de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Des places sont encore disponibles pour cette 5ème session.
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2017/01/17012017Article636202341792362053.aspx