A Saint-André-de-Cubzac, des élèves du lycée professionnel Philippe Cousteau se prennent pour Emile Zola ! Maud Madec-Loeuil, professeure-documentaliste, et Laurence Lefebvre-Druelle, professeure de lettres-histoire, collaborent activement pour mener avec eux un étonnant projet d’écriture longue. Une famille a été inventée sur le modèle des Rougon-Macquart. Chaque élève prend en charge un personnage qui est rattaché à une période précise et à un thème du programme. Les productions sont rassemblées dans un roman, édité. Au final, les élèves ont découvert le plaisir d’écrire, certains sont devenus des lecteurs assidus, les enseignantes ont repensé les modalités d’apprentissage, en particulier à travers des ateliers de fabrication de cartes mentales : « pour rien au monde, nous ne reviendrons en arrière à travailler chacune dans notre coin ! » Ce projet est présenté au 9ème Forum des enseignants innovants.
Dans quel contexte votre projet a-t-il été conçu ?
Ce projet est l’aboutissement de plusieurs années. Depuis notre rencontre, en 2010, nous faisons des ateliers d’écriture. Des concours de nouvelles. Mais tout cela devenait routinier : nous nous sommes donc lancées dans l’écriture d’un roman. Ce roman était en lien avec le projet annuel de maintenance. Les élèves, qui étaient en seconde bac professionnel Maintenance des équipements industriels, ont adoré écrire. Déjà nous y avions associé une classe de primaire, des cm1. Les rencontres entre ces deux publics avaient été très riches. Bref ce premier essai était un succès …enfin plutôt un demi-succès. En effet, les élèves de retour en cours de lettres-histoire ne s’investissaient plus, écrire une synthèse était insurmontable pour eux alors qu’ils avaient écrit des pages entières pour le roman ! D’où l’idée du projet Zola : il nous fallait absolument les faire écrire et leur faire étudier les thèmes au programme en même temps !
L’année de première était idéale pour deux raisons : réinvestir l’exercice d’écriture entamé l’année précédente et mener à terme un projet innovant lors d’une année d’examen. Aucun partenaire extérieur n’a été nécessaire. Seulement un soutien indéfectible de notre direction qui a accepté d’aménager l’emploi du temps des élèves et le nôtre comme on le souhaitait et qui nous a soutenu financièrement pour l’impression du roman.
Le projet s’inspire des Rougon-Macquart de Zola : pouvez expliquer le dispositif général ?
L’idée de créer une famille sur le modèle des Rougon–Macquart, traversant les siècles depuis les philosophes jusqu’à aujourd’hui, est apparue la meilleure solution. Nous nous sommes bien amusées à créer de toutes pièces les familles Buttinier et D’Arnaudin ! Au final que chaque élève choisisse un personnage de fiction et l’inscrive dans un contexte historique précis et véritable et rattaché à un des thèmes des programmes de lettres histoire-géographie a nécessité une nouvelle façon d’organiser l’année scolaire ainsi que la semaine de cours
Avant de commencer l’écriture, les élèves ont étudié tous les thèmes des programmes. De plus, pour s’imprégner du personnage, de l’époque, chaque élève a lu un livre et vu un film en lien avec son personnage. Tous ont lu des nouvelles d’Émile Zola.
Nous avons créé un arbre généalogique plus vrai que nature (!) et des fiches personnages avec des pistes de contenus notamment les liens de parenté avec les autres personnages, et l’événement historique ou littéraire à traiter. Chaque élève a choisi le personnage qui lui convenait le mieux et nous les avons laissés libres de choisir la forme d’écrit : certains ont écrit des nouvelles, d’autres des lettres, ou des entretiens téléphoniques. Pour que le contexte historique soit bien respecté, les élèves ont fait des recherches documentaires sur les événements et les personnages historiques bien réels ! Évidemment ce projet est aussi un projet de culture général dont manquent cruellement nos élèves.
Les élèves ont écrit pendant quinze heures. Pour rajouter du piment, nous avons associé une classe de CM1 qui a écrit des lettres de personnages écrivant aux personnages de nos élèves. Toutes ces contraintes d’écriture n’ont pas été vu comme telles par les élèves ! Ce projet est un mélange de contraintes et de libertés.
Pouvez-vous donner des exemples précis de personnages inventés et de leur ancrage dans les savoirs ?
Prenons comme exemple le personnage d’Etienne Buttinier : il est ouvrier dans les mines à Carmaux en 1892. L’élève devait écrire sur la révolte à des ouvriers et évoquer Jean Jaurès. Il a inventé le personnage d’un journaliste – qui porte son nom d’ailleurs ! – interviewant Etienne Buttinier des années après la révolte : Etienne raconte son expérience et sa rencontre avec Jean Jaurés…
Le personnage le plus réussi est celui de Charles–Louis d’Arnaudin. La contrainte difficile était d’écrire un discours politique sur les valeurs de la République (Programme EMC) en citant Victor Hugo et en faisant référence à un personnage d’un roman que les cm1 étudiaient ! Notre élève a réussi ce tour de force !
Chaque élève a fait à la hauteur de ses capacités : leurs écrits sont plus ou moins longs et plus ou moins complexes.
Il peut paraitre difficile de mener un projet d’écriture longue au lycée, peut-être encore plus en lycée professionnel : comment avez-vous maintenu l’attention et l’investissement ?
L’écriture du roman n’a commencé qu’au second semestre. Le premier étant consacré à l’étude des thèmes de français, histoire, géographie. Ils avaient besoin de connaissances bien assises pour pouvoir en suite se lancer dans l’écriture. De toute façon les élèves étaient déjà rompus à l’exercice par leur expérience de l’année précédente.
Le projet cherche aussi « à mettre en place de nouvelles pratiques d’enseignement pour permettre une meilleure réussite des élèves » : pouvez-vous nous éclairer sur ces démarches ?
Ce projet d’écriture longue nous a amené à repenser le lieu d’apprentissage (au CDI évidemment !) et l’organisation de notre enseignement et ainsi même l’organisation de la semaine et de l’année : il nous fallait étudier tous les thèmes du programme de lettres, histoires, géographie en un temps record : gagner du temps pour réinvestir leurs connaissances dans l’écriture de leur personnage.
Il nous a paru nécessaire que nos élèves ne soient plus passifs pendant le cours mais actifs, c’est-à-dire qu’ils bâtissent eux-mêmes leur cours. Le modèle de la carte mentale est idéal puisqu’il permet une exhaustivité du sujet et une structure stricte : chaque vendredi pendant 3 heures au CDI ils doivent compléter une carte – dont nous avons fait la structure en 3 parties – à l’aide de documents, notamment leur manuel scolaire. Chacun va à son rythme, nous sommes à leur entière disposition, ils gèrent leurs 3 heures comme ils le souhaitent, ils peuvent travailler seul ou en groupe. Nous leur donnons une correction de cette carte à la fin des 3 heures et ils doivent en faire une synthèse pour la semaine suivante. Le rythme est très soutenu. Au début il y a eu des résistances, mais au vu des leurs progrès ils se sont pliés à cette nouvelle façon de travailler ! Le CDI est devenu leur lieu, incontournable.
Au final encore, quel bilan tirez-vous du projet d’écriture ?
Concernant l’écriture du roman, le bilan est au-delà de nos espérances ! Tous les élèves ont écrit. Chacun à son niveau. Il s’est créé dans la classe une complicité, chacun sachant l’importance de son personnage dans la cohérence de l’histoire.
Pour certains, la découverte de l’écriture romanesque a été une révélation, ainsi que la littérature. Pour illustrer le projet, nous leur avions fait lire des nouvelles de Zola. Un matin est arrivé au CDI un élève qui me demande si Zola a écrit d’autres livres ! Ce fut un grand moment de ma carrière de prof-doc ! Certains élèves sont devenus des lecteurs assidus !
Il y a eu aussi l’accueil du roman par notre direction et nos collègues : ils étaient très surpris de la qualité du travail réalisé.
Au final aussi, quel bilan tirez-vous des nouvelles pratiques d’apprentissage mises en place ?
Concernant notre nouvelle façon d’enseigner (co-enseignement, carte mentale, recherches documentaires), le vrai test – qui allait déterminer si nous faisions fausse route ou pas – a été lors de la certification (ex-BEP) que les élèves passent en première bac pro. 23 élèves sur 24 ont eu leur examen avec de très bonnes notes en lettres-histoire. Nous poursuivons cette année avec ces mêmes élèves et nous constatons qu’écrire 20 lignes pour une synthèse ne les effraient plus, que toutes leurs synthèses grâce au travail en carte mentale sont correctement structurées, bref nous sommes ravies : objectifs atteints !
Le projet se prolonge-t-il ?
Cette année l’aventure continue, nous avons inscrit cette classe au prix Renaudot des lycéens, 2 élèves ont été jurés. Nous allons commencer un autre projet d’écriture : un docu-fiction pour travailler notamment les documents de références.
Quant à nous, enseignantes, professeur-documentaliste et lettres-histoire, nous sommes intimement convaincues par cette méthode de travail que nous avons appliquée à toutes nos classes et pour rien au monde nous ne reviendrons en arrière à travailler chacune dans notre coin !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut