Nos téléphones produisent une quantité non négligeable de données, que l’on nomme data. Pourquoi dès lors ne pas utiliser les datas de nos élèves au service des apprentissages ? Dans le cadre du 9ème Forum des Enseignants Innovants qui s’est déroulé les 25 et 26 novembre 2016 à Paris, nous avons rencontré Gaëtan Guironnet, professeur d’EPS au collège Gounod à Saint Cloud, qui nous présente son projet en demi-fond et en course d’orientation via l’usage de ces capteurs.
Vous avez développé deux projets, l’un à partir du demi-fond et l’autre à travers la course d’orientation. De quoi s’agit-il ?
L’idée est de faire progresser mes élèves en demi-fond et en Course d’orientation via l’utilisation des potentialités du numérique, et notamment des capteurs qu’ils ont dans leurs smartphones ou montres connectées. Ces capteurs permettent d’obtenir différentes données brutes, précises et individualisées. De plus certaines données peuvent être interprétées graphiquement et ainsi rendre visible le mouvement. C’est le cas du GPS qui selon la vitesse de l’élève peut construire un tracé en différentes couleurs. Dès lors, j’ai pu demander à mes élèves d’utiliser leur corps comme un crayon et de réaliser un dessin à partir de leurs courses. Par groupe, les élèves ont fait émerger des projets de dessins pour ensuite essayer de les réaliser. Evidemment, pour cela, il était nécessaire de maîtriser différentes allures, le repérage dans l’espace mais aussi mettre en relation son parcours avec les distances nécessaires pour conserver les proportions du dessin théorique.
Ce même capteur GPS a été l’élément central en course d’orientation où la démarche, pour des 6èmes, a été de visualiser l’écart entre le parcours théorique le plus court entre deux balises et le parcours réellement réalisé sur le terrain. Une verbalisation permet à l’élève d’expliquer son trajet par des choix liés aux reliefs des lieux ou à sa condition physique, voir à son sentiment d’assurance de ne pas être perdu.
Pourquoi mettre l’accent sur les données individuelles des élèves ?
La majorité des collégiens ont dans leur poche ou même à leur poignet une multitude d’outils connectés, mais ils ignorent les possibilités d’usages.
Dans le même temps, la piste d’athlétisme ,et plus encore, l’environnement de la course d’orientation est un milieu professionnel hostile pour le recueil d’informations papier (pas de support, stylo qui ne marche pas, condition climatique), voire pire pour les outils informatiques. Le questionnement convergeait vers une dématérialisation du support de prise de performances tout en conservant des traces des données variées témoignant de l’évolution de l’activité des élèves.
Il semble y avoir un enjeu pour vous ?
Les données individuelles ont deux utilités à mes yeux : elles permettent un premier contact neutre avec la performance de l’élève, souvent porteuse d’émotions et d’engagement. Sans vouloir les minorer, l’objectivation de l’action permet un discours plus précis et détaché de la personne. Le retour sur une partie technique appuyée d’une donnée chiffrée permet une remédiation individualisée et ainsi la mise en œuvre d’une pédagogie différenciée.
A contrario, dans un temps plus long, les données permettent de mettre en perspective et relativiser la quantification de son quotidien et la mise en performance permanente. Ici, l’enjeu est de relativiser la contre-performance ou le palier voir la régression dans la progression des résultats. La mise en relation avec la phase d’apprentissage d’une nouvelle technique ou la recherche des sensations peut permettre de démontrer par les chiffres antérieurs que l’élève n’est pas « nul » ou n’a pas tout oublié, suite à une contre performance. L’historique des performances ou leur mise en perspective au sein d’un groupe peut redonner confiance en soi dans un climat de bienveillance.
Comment le cycle s’est-il organisé ?
Le dispositif en demi fond était par groupe de 2 pour une classe de 3° sur un cycle de 12 séances. Un coureur avec le capteur, un coach qui gardait un regard extérieur sur son coureur. Par la suite un échange entre les données brutes (temps, distance réellement parcourue, vitesse moyenne, max, min) et les sensations vécues par le coureur et celles vues par le coach sont mis en relation avec les datas.
Une fois l’outil maitrisé, les élèves sont placés par groupe de niveau (au minimum 2 pour des raisons de sécurité de déplacement avec le capteur). L’idée est d’utiliser son corps comme un crayon, le stade comme une feuille blanche et la variation de vitesse permet de faire changer la couleur de son crayon!
Après une phase de concertation en groupe sur le dessin et les points de passage approximatif sur le terrain, l’enjeu est de distribuer des rôles à chacun du groupe pour activer ou pas le traceur GPS, faire varier ou pas sa vitesse pour la colorisation de l’œuvre, et suivre son parcours en prévenant des obstacles éventuels.
L’attention du groupe n’est pas focalisée sur l’activité physique qui est support du dessin, ni sur l’outil qui est un moyen, mais bien sur l’atteinte de l’objectif : réaliser le projet que l’on s’était fixé, comment l’améliorer et pourquoi cela ne marche pas. Le résultat étant immédiat et souvent imparfait au début les répétitions sont automatiques et font prendre conscience de l’attention que chacun doit avoir pour ne pas recommencer pour des raisons futiles… A la fin de la séance, chaque groupe montre son œuvre et l’envoie par mail à l’enseignant.
L’avenir de l’enseignement de l’EPS peut-il passer par l’usage des datas ?
Le recueil et l’analyse des datas disponibles pour chaque élève me semble porteur comme aide à l’éducation aux mouvements. Des institutions comme le C.R.I. (Centre de Recherches Interdisciplinaires) ont créé des programmes de recherche sur cette thématique d’éducation aux mouvements à l’heure du numérique. Des outils tels le capteur libre Movuino développé par Kévin Lhoste et prochainement disponible peuvent être des réponses aux choix de matériels adaptés à un environnement éducatif.
Cette démarche permet à des élèves dont l’activité physique est trop abstraite ou loin de leur quotidien connecté de revenir à une activité physique. Non plus centrée sur la douleur et les réactions physiologiques de leur corps peu habitué à bouger, leur attention est centrée sur la réussite de leur projet collectif et de leur tracé matérialisé à l’écran. Le sens donné à ses dessins, ses chiffres est une base pour aller vers une meilleure connaissance de soi et construire une confiance en soi par des actions objectivables. Il en est de même pour la construction de nos cycles. L’expérimentation de solutions en prise avec notre époque, les collègues et les programmes visent une efficience dans la progression et la réussite de tous nos élèves. C’est complexe, mais passionnant. La créativité de nos propositions doit permettre un traitement humaniste de la data qui nous entoure. C’est ma conviction. J’ai hâte de pouvoir partager, lors du forum, vos réflexions d’enseignants engagés.
Par Antoine Maurice et Benoît Montégut