La polémique est devenue un allant de soi, presque une habitude. Dès que quelqu’un fait quelque chose, on trouve rapidement un opposant, plus ou moins radical. Ainsi en est-il de la classe inversée tout comme bien d’autres idées ou réalisations passées et à venir dans le domaine du numérique en éducation.
Quand cette série de vidéos réalisées et mises en ligne par Frédéric Baurand vient expliquer la classe inversée (son site), cet article, publié sur un blog lié à Mediapart par Paul Devin Inspecteur de l’Education nationale, secrétaire général du SNPI-FSU, vient quant à lui émettre des doutes , des réserves sur un certain nombre d’arguments mais aussi de pratiques de ce qui s’appelle la « classe inversée ».
Au moment où se tient à Ax les Thermes l’édition 2016 de l’université d’été de Ludovia, la célébration du numérique en éducation prend une nouvelle ampleur. Mais les questionnements, inévitables, les accompagnent. L’enthousiasme techno-pédagogique va-t-il faire face à la méfiance pédago-technique ? Pourquoi ces questions sont-elles en train de devenir de plus en plus vives ? Parce que le système scolaire n’est pas en mesure d’envoyer à la société un message rassurant et surtout un message d’avenir. Certains évoquent l’idée que dans le domaine de l’éducation l’économique (au sens large) a pris le pas sur le politique. Cela veut dire que les acteurs eux-mêmes du système éducatif français, fort de traditions à peu près bicentenaires, mais guère davantage doit repenser fondamentalement son positionnement dans la société et plus précisément auprès des jeunes.
Un exemple peut illustrer de manière complémentaire ces polémiques : celui des ENT. Mis sur les rails à partir de 2003, ces objets protéiformes (selon les lieux, les personnes, les entreprises…) sont aujourd’hui devenus incontournables dans les établissements scolaires. Et pourtant les critiques fusent de plusieurs lieux : d’une part du côté des usagers (enseignants, élèves, familles) qui, habitués qu’ils sont à leurs pratiques ordinaires du numérique, découvrent le côté contraignant, certains diront même ringard (cf. les interfaces utilisateurs et surtout l’encadrement limitant qu’elles symbolisent). D’autre part du côté des passionnés qui voyant d’autres produits sur le marché déplorent les limites de ces produits. D’autre part encore venant d’enseignants, d’élèves ou de parents, l’idée d’une nouvelle forme de porosité entre les sphères privées, publiques, personnelles et professionnelles que l’on se voit imposer.
Les enseignants imposent à leurs élèves l’usage de ces ENT, en même temps qu’ils tentent de le contrôler (heure, quantité, qualité du travail – boite noire – hors classe des élèves par exemple). Les familles qui observent, sous un nouvel angle la boite noire de l’espace de la classe, et qui à l’occasion vont intervenir à propos de ce qu’ils y découvrent, bien au-delà des seuls bulletins scolaires et autres réunions « confessions » parents-profs.
Mais les questions viennent aussi de ceux qui refusant la mainmise de la technologie numérique sur l’école n’acceptent pas ce que les circulaires de rentrées en 2009 et 2010 tentaient d’imposer au travers des directives sur les ENT alors que l’année précédente le numérique n’y apparaissait même pas. Enfin les critiques viennent aussi des sociétés informatiques elles-mêmes qui ont du mal à comprendre ce qui, au-delà des directives et des appel d’offres, est finalement durable et stable dans un univers concurrentiel dans lequel des acteurs d’ampleur mondiale tentent de s’imposer (cf. l’accord, contesté, entre Microsoft et le MEN).
Les autres pays font-ils mieux demandera-t-on ? Pas vraiment, et les hésitations restent très fréquentes. Car ce qui trouble le système scolaire c’est justement ce sentiment d’hésitation traduit par un aphorisme comme « le numérique c’est comme les directives de l’éducation nationale, ça change tout le temps ! » La conclusion logique est l’attentisme qui fait légitimement face à ces incertitudes non pas inattendues mais provoquées par des décideurs, politiques pour la plupart d’entre eux.
Mais ces hésitations sont aussi le fruit de ce que l’on nomme « objets valises », c’est à dire des objets techniques dont la place dans l’espace de vie est en cours de stabilisation (de l’adhésion à la disparition…) du fait des changements techniques mais aussi de l’adoption ou non par les usagers.
On ne voit pas émerger les « objets frontières », ceux qui permettent de poser des repères stables et durables et surtout qui permettent d’orienter l’action. Hormis les logiques libérales et économiques qui sous-tendent, en partie, ces industries (il y a aussi un projet politique, mais rarement explicité et surtout pas en amont), les usagers et les spécialistes ont du mal à définir des axes forts, des points nodaux.
Pour terminer cette interrogation, il faut bien sûr parler des controverses et des postures paradoxales. L’art de la polémique s’appuie sur la dichotomisation des thématiques (le bien ou le mal, le bon ou le mauvais etc.). L’art de la controverse sur la suspicion systématique (pas le doute philosophique), allant parfois jusqu’à la théorie du complot. La mise en cause de toute parole par des propos qui portent une opinion autre que la mienne tendrait à devenir insupportable.
Il suffit de suivre quelques échanges sur les espaces en lignes (réseaux sociaux et autres) pour s’en rendre compte. Un humoriste Québécois déclarait jadis que la seule chose qu’il ne pouvait tolérer c’était l’intolérance ! Paradoxe du paradoxe et donc indépassable ce propos doit renvoyer chacun de nous au devoir d’analyse et d’étude. Dépassant le superficiel d’une rapide recherche sur Internet ou encore la seule lecture d’un ou deux livres ou articles sur un sujet, ce travail est difficile et peu passionnant, au départ, car il demande un « effort intellectuel ». Avant d’accuser les jeunes de ne pas faire d’efforts à l’école, regardons nous, adultes et éducateurs, face à ces questionnements : sommes-nous encore capable de rigueur ? En avons nous, en prenons nous encore le temps ?
Bruno Devauchelle