Le nouvel enseignement ICN va-t-il marginaliser l’informatique au lycée ? Rentrée 2016, l’enseignement « d’Informatique et Création Numérique » (ICN) est mis en place en classe de première pour les séries de l’enseignement général, puis à la rentrée 2017 en terminale L et ES. Cette création vient après l’option « Informatique et Sciences du Numérique », (ISN) pour les classes terminales S créée en 2012 et l’enseignement d’exploration ICN en classe de seconde créé en 2015. A ces nouveautés dans l’enseignement figure aussi une nouveauté dans le recrutement des enseignants à compter de la session 2017 (JORF n°0284 du 8 décembre 2015) : la création d’une option informatique au CAPES externe de Mathématique. Quelles différences entre ISN et ICN ? Quelle place globale pour l’informatique au lycée ?
Dépasser l’informatique ?
Dans un texte publié il y a un an nous avions déjà tenté d’analyser l’apparition de cet enseignement « nouveau ». La publication des contenus de l’option pour les classes de première et de terminale permet de mieux comprendre la logique interne propre à l’introduction de l’informatique dans l’enseignement, de la maternelle à la terminale.
Il faut dire que le sujet a toujours été source d’embarras pour les politiques et plus généralement pour l’éducation nationale. De 1970 à aujourd’hui, porté par des personnalités qui vont de Jacques Arsac à Gérard Berry, de Bruno Lussato à Gilles Doweck, le débat reste en permanence le même, en France mais aussi dans d’autres pays comme le montre ce document du Québec qui date de 1984.
Le constat de base est la présence de l’informatique et de ses dérivés dans l’ensemble des champs disciplinaires et de recherche (cf. ce qu’en disait Jean Didier Vincent en 1984 : « faire appréhender l’importance de l’informatique aussi bien dans les sciences que dans les lettres, les langues, les arts, les sciences humaines et sociales. » En d’autres termes l’enseignement proposé doit donc dépasser la seule informatique comme science pour aller vers l’informatique comme au coeur de l’activité de connaissance et de création de connaissance (d’où la différence dans l’intitulé entre ISN et ICN).
Une approche systémique
Trois objectifs sont assignés ici : « adopter un point de vue de concepteurs et de créateurs », « développer en situation une réflexion épistémologique et éthique », « développer leur autonomie et leurs capacités à mettre en œuvre une méthode de travail incluant la démarche de projet, le travail collaboratif et l’approche par essai-erreur. ». Si les deux premiers objectifs sont cognitifs, le troisième est davantage pédagogique, dans la mesure où il invite les enseignants à développer des méthodes de travail spécifiques, principalement au vu des deux premiers objectifs. Plus précis est encore le texte quand il décline le cadre de mise en œuvre : « Le ou les professeurs en charge de cet enseignement en association avec un ou plusieurs professeurs d’autres disciplines accompagnent les élèves de diverses manières : apport de connaissances en informatique et notamment en programmation, aide à la construction méthodique du projet, étayage pour une analyse ».
Ce qui caractérise cet enseignement d’ICN, un peu différemment de l’ISN, c’est l’importance accordée à l’approche systémique, pourtant à peine nommée dans le préambule à propos de systèmes complexes.
Si dans l’ISN l’accent était mis sur les sciences du numérique (réservée aux élèves de Terminale S) l’ICN met d’avantage l’accent sur l’art de « soulever le tapis pour voir la poussière qui est dessous » ! Si sur un plan didactique on voit bien que l’ambition est plus réduite en ICN qu’en ISN, la méthode pédagogique reste proche : projet, activités, réalisations concrètes. Les quelques exemples proposés dans le texte illustrent bien cela : « Visualisation graphique de données : exemple avec des données géolocalisées, Création artistique multimédia et écriture interactive, Étude lexicométrique et analyse de texte ou de corpus, Réalisation d’une enquête et analyse statistique, Simulation de phénomène, Transformations et manipulations d’images ».
Ces exemples renvoient bien au cadre posé et s’appuie, au final sur des contenus informatiques explicités : Machine, logiciel et réseau, Représentation de l’information, Programmation et algorithmique, Diffusion, stockage et données structurées.
Marginaliser l’informatique ?
On peut espérer que le souhait de voir l’enseignement d’ICN ne pas être réservé uniquement à quelques spécialistes devienne réalité. En effet depuis bien longtemps l’informatique dans le monde scolaire a été délicatement marginalisée en s’appuyant sur ces enseignants investis dans ce champ au détriment d’une véritable prise en compte du « fait social total » que constitue la généralisation du numérique.
La manière dont la plupart des ESPE a envisagé les choses, après l’abandon du C2i2e, laisse penser que l’on est encore loin du compte. L’enrichissement de certains concours de recrutement des enseignants par le recours à des épreuves intégrant l’informatique semble être une piste retenue par les décideurs. L’exemple du CAPES de Math ou encore celui, plus ancien, de documentation en est l’illustration.
Généraliser ou pas ?
L’ICN vient remplacer le souhait énoncé en 2012 d’une généralisation de l’ISN à l’ensemble des filières. En choisissant cette reformulation, les décideurs ont probablement voulu sortir de la « professionnalisation » d’un enseignement dans les filières généralistes. Le lien entre les besoins des professions du secteur informatique et la mise en place de ces enseignements a été source de confusion. D’ailleurs les critiques sur la profession et sa gestion des métiers mérite approfondissement (cf. le rapport N° 2015-097 de l’inspection générale » Les besoins et l’offre de formation aux métiers du numérique »). La prudence de la nouvelle appellation n’enlève rien à la question de fond : un élève peut-il sortir du système éducatif sans avoir une lecture de l’environnement dans lequel il est appelé à vivre ? Aussi peut-on déplorer que, de nouveau, aucune généralisation réelle ne soit proposée.
Quitus aux politiques
Avec l’ICN, le ministère boucle la boucle. Du cycle 1 à la classe terminale, une cohérence semble être recherchée. Certains reprocheront qu’il y en a trop (ceux qui fustigent le numérique en milieu scolaire) d’autre qu’il y en a bien peu (ceux qui prônent la création de la discipline informatique). On sent bien que ces approches, aussi extrêmes soient-elles, sont le témoignage d’une grande difficulté à repenser globalement le fait numérique dans la société et le rôle et la mission de l’école dans ce contexte.
On pourra donner quitus aux politiques qui nous gouvernent depuis cinq ans d’avoir tenté de mettre en place une « stratégie numérique » dont l’ICN est un des éléments. On regrettera cependant que dans les médias et dans les cénacles politiques, on s’intéresse surtout à l’effet de la distribution de matériels qu’à l’évolution des fondements de l’éducation secouée qu’elle est par la société qui se numérise.
Bruno Devauchelle