Par Julien Cabioch @vivelesSVT
Nouveaux programmes : comment éduquer aux risques géologiques ? par Jacques-Marie Bardintzeff
Comment appréhender le programme de géologie au collège ? Quels sont les volcans à surveiller l’an prochain ? Quelle place réserver aux modélisations en sciences de la Terre ? En quoi l’enseignant joue-t-il un rôle majeur entre le flux d’information et la complexité des situations ? Dans cet entretien accordé au Café Pédagogique, le volcanologue et universitaire Jacques-Marie Bardintzeff revient sur le rôle majeur d’un enseignant de SVT : « Un enseignant doit savoir interpeller et intéresser ses élèves ». Pour le spécialiste : « dire à un élève d’être méticuleux et de réaliser un travail soigné est une façon d’ordonner son cerveau pour la suite. »
Quel regard avez-vous sur les nouveaux programmes en géologie au cycle 4 ?
Une belle part est faite à l’étude du volcanisme. Cela reste incontournable et les élèves y montrent de l’intérêt. Un volcan permet d’avoir facilement une approche pédagogique. Les nouveaux programmes en géologie sont très orientés « risques ». Cette approche, qui colle à l’actualité, interpellera les élèves et permettra d’ancrer le cours dans un enseignement citoyen, moral et civique. En effet, les pays ne sont pas tous égaux face aux multiples risques géologiques.
En métropole, nous sommes favorisés. N’oublions pas les territoires d’outre-mer, souvent concernés par les cyclones, éruptions volcaniques et des séismes plus conséquents.
Quelle approche doit privilégier l’enseignant pour enseigner ces parties de programme ?
Je vais vous suggérer seulement quelques pistes. Rappelons que le risque sismique est bien plus important que le risque volcanique en termes d’enjeux. Il est dont important de hiérarchiser les risques humains et matériels. Les séismes provoquent peu de morts directement. J’entends par là qu’une personne au milieu d’un champ subissant un séisme aura peu ou pas de conséquences physiques. Les causes de décès sont indirectes et dues à des effondrements la plupart du temps. Comment alors minimiser ces risques ? L’étude des constructions para-sismiques dans leur complexité et leur coût permet d’appréhender les enjeux futurs.
Concernant le risque volcanique, l’exemple actuel du Sinabung en Indonésie me parait judicieux. Ses dernières nuées ardentes ont provoqué plusieurs décès. Ces chapitres peuvent permettre de souligner les temps de délais nécessaire à la recherche des victimes. L’engagement citoyen lors des campagnes de dons et l’entraide internationale sont mis en avant suite à ces événements.
Quel regard portez-vous sur l’information en continue ? En quoi l’enseignant joue-t-il un rôle majeur entre le flux d’information et la complexité des situations ?
Les grands médias sont une source importante d’information. Cependant l’actualité immédiate doit être pondérée avec du recul. On va parler des inondations pendant quelques jours, puis ensuite terminé : la résolution des problèmes et les futurs aménagements ne sont plus à la Une. C’est ce côté loupe qui peut être déformant à l’échelle de l’année.
L’enseignant est là pour mettre en garde sur la suite des difficultés face à un risque. Se servir d’une actualité pour étudier une notion me parait important, il convient ensuite d’apporter le recul et l’analyse nécessaire à la compréhension des phénomènes.
Quels volcans faut-il privilégier au collège ?
Le programme du cycle 4 engage à « associer le volcanisme, essentiellement explosif, aux zones de convergence lithosphérique (fosses océaniques) et le volcanisme, essentiellement effusif, aux zones de divergence (dorsales océaniques) ». Les études de la montagne Pelée, de la Soufrière de Guadeloupe, de la Soufrière de Montserrat à l’échelle d’un ou deux siècles me semble opportune pour illustrer les explosifs. Côté effusif, le Piton de la Fournaise ou Hawaii semblent incontournables bien que correspondant à des points chauds. En zone de divergence, l’Islande est le siège à la fois d’éruptions effusives et d’éruptions explosives. L’Etna, souvent actif lui aussi, apparaît mixte, tantôt explosif, tantôt effusif mais cela dépasse peut-être le cadre du programme.
N’oublions pas l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud : le Popocatépetl au Mexique, d’autres volcans comme le Nevado del Ruiz en Colombie, la Tungurahua en Équateur. On dénombre 50 éruptions volcaniques chaque année, la plupart sur la Ceinture de feu du Pacifique.
Quelle place réserver à la modélisation en sciences de la Terre ?
La modélisation reste intéressante si on peut faire manipuler les élèves. Les maquettes font réfléchir les apprenants. En effet, lors de la réalisation intervient rapidement la notion d’échelle, de la place du réservoir, de la variation des pentes du volcan (…)
La modélisation est formatrice, pour moi, le côté ludique n’est pas scandaleux. Cependant, il est indispensable de montrer les limites d’une modélisation : température, vitesse d’écoulement, projection de matériaux … Il n’est pas rare de voir un volcan modélisé, aussi pointu que la tour Eiffel ! Rappelons que le modèle est là pour aider à comprendre. Il convient donc de ne pas commencer par la réalisation pour elle-même, mais bien par l’observation et l’analyse de faits réels.
Quelles utilisations faites-vous des nouvelles technologies ?
Dès le matin, je vais sur plusieurs sites internet comme celui de l’observatoire du Piton de la Fournaise, sur GVP Global Volcanism Program site très complet ou encore sur INGV Istituto Nazionale di Geofisica e Vulcanologia de Catane. J’aime également observer les activités volcaniques par webcam.
Sur tablette, l’application Vigicrues permet de suivre la hauteur de la Seine heure par heure. Un enseignant peut très bien noter en début d’heure ou de semaine la hauteur et comparer avec les nouvelles données quelques heures après. Ces nouvelles approches sont désormais incontournables dans notre discipline.
Le numérique demande du temps et ce temps est forcément en moins sur d’autres approches. On perd petit à petit l’usage de la main. Il n’en demeure pas moins que la réalisation d’un dessin d’observation proprement me parait importante. Si ce n’est pas le professeur de SVT qui le demande, qui le fera ? Dire à un élève d’être méticuleux et de réaliser un travail soigné est une façon d’ordonner son cerveau pour la suite.
Vous formez les futurs profs de SVT en prépa Capes à l’université Paris-Sud Orsay. Quelles sont les principales aptitudes nécessaires pour enseigner les SVT en 2016 ?
Un enseignant doit savoir interpeller et intéresser ses élèves. La géologie a trop souffert de cours rébarbatifs. Les nouveaux programmes montrent que la géologie est actuelle. Par exemple, on peut voir les écarts de plaques sur une année avec le GPS. Je vois la géologie comme une passerelle entre le passé et l’avenir.
Deuxième point important pour un enseignant de SVT, c’est de pouvoir apprendre aux élèves à être critique vis-à-vis d’une information. Les élèves doivent être capables d’ordonner et de hiérarchiser ces informations à partir de phénomènes naturels. Je dis toujours « Mon bureau c’est la Terre ». On a de la chance dans notre champ disciplinaire de travailler avec la réalité, profitons-en !
Propos recueillis par Julien Cabioch
Ouvrages de J.M. Bardintzeff :
Volcanologie 5ème édition Ed. Dunod, 2016
Tout savoir sur les volcans du monde, séismes et tsunamis Ed.Orphie, 2015
Dans le Café, enseigner le volcanisme