C’est la ville natale de Jimi Hendrix et de Bill Gates, deux icones du rêve américain. Professeur de mathématiques, Jean-Yves Labouche enseigne les mathématiques à l’école française du Puget Sound, dans l’agglomération de Seattle, sur la côte Pacifique des Etats-Unis. Des maths à la française mais qui associent classe inversée et situations problèmes.
Après une expérience d’enseignement en Corée du Sud, une autre en France, Jean-Yves Labouche a décidé de repartir vivre une nouvelle expérience culturelle et professionnelle aux Etats-Unis. Il a postulé pour les deux principaux réseaux d’établissements français à l’étranger : l’AEFE et la Mission Laïque Française. Et il a été recruté par l’Ecole française du Puget Sound, un établissement homologué par l’Education Nationale. Il enseigne depuis trois ans en collège.
Quelles différences voyez vous entre cette école française et les écoles de France ?
C’est une école franco-américaine, ce qui signifie que les élèves y suivent un double cursus : tout le programme français et tout le programme américain. Les collégiens y ont 35 périodes de cours (50 minutes) par semaine réparties dans les deux langues. En ce qui concerne les mathématiques les programmes américains sont très différents des nôtres : ils ne font que de l’algèbre au primaire et au collège ; la géométrie commence au lycée. Ce qui fait qu’ils sont très avancés sur toute la partie numérique, ils ont deux ou trois années d’avance au collège (en 4ème, ils travaillent sur les équations du second degré). Ils ont 3 heures de « maths français » avec moi et 3 heures de « maths américains » avec un professeur américain. 3 heures, c’est un peu moins que l’horaire français normal mais je ne fais quasiment que de la géométrie : en algèbre, il s’agit seulement d’acquérir le vocabulaire et les notations françaises. Du coup, j’ai largement le temps de finir mes programmes et la possibilité de travailler sur des projets interdisciplinaires ou des tâches complexes.
Un dispositif que j’apprécie particulièrement ici est « l’office hour ». Une fois par semaine, après la journée de classe, chaque professeur a une heure de disponibilité dans sa classe : les élèves viennent poser des questions, refaire un exercice, réviser une évaluation… Ils sont volontaires ou bien le professeur leur a demandé de venir pour retravailler certains points. Cette disponibilité, hors du temps de classe, permet aux élèves en difficulté de bénéficier d’une aide individualisée dans chaque discipline. Les effets sont visibles rapidement sur les résultats mais aussi dans la relation élève/professeur qui est renforcée.
Il y a de nombreuses autres différences avec la France, positives comme négatives, trop pour toutes les mentionner : la gentillesse et la politesse des élèves, l’implication des familles dans la vie de l’école, la reconnaissance du travail accompli (de la part des familles et de l’administration), l’investissement personnel demandé par une école américaine privée (nombreuses réunions, voyages et sorties, évènements en tout genre…), les effectifs réduits (16 élèves max)…
Vous avez deux sites un sur les tâches complexes et un autre qui est un classeur de maths. Pourquoi avoir développé ce site sur les tâches complexes ? Qu’apporte cette approche des maths ?
Le site sur les tâches complexes est né d’une envie de partager des activités qui ont très bien fonctionnées avec mes élèves. En France, je donnais en général trois tâches complexes par classe par an. Ici, j’ai plus de temps et j’arrive à en faire entre 7 et 10 par an.
Je n’ai rien inventé en la matière : les tâches complexes permettent de faire travailler les élèves sur un sujet motivant, en général une situation réelle. Les élèves doivent faire part d’initiative et mobiliser leurs connaissances pour résoudre une situation nouvelle seul ou en groupe. Les tâches complexes permettent une différenciation simple à mettre en place et surtout font partie intégrante de la formation et l’évaluation des compétences du socle commun (que ce soit l’actuel ou le futur).
Plusieurs tâches complexes que je présente sur mon site sont inspirées des travaux de Dan Meyer (avec son aimable autorisation), professeur de mathématiques américain et conférencier qui fait beaucoup de recherches et d’exposés sur ce genre d’activité.
Comment faire le lien entre cette démarche et l’approche souvent plus traditionnelle des examens français ? Comment transformer cette approche en cours ?
Beaucoup de collègues (et pas seulement en mathématiques) pratiquent les tâches complexes en France et l’épreuve du DNB comporte un exercice de ce type en mathématiques (exercice à prise d’initiative). Le lien est donc assez naturel et il est donc important que les élèves soient familiarisés avec cette façon de travailler.
Le seul frein à l’utilisation courante des tâches complexes que j’ai rencontré en France est le temps de classe qu’elles demandent. Mais en les utilisant couramment, je me rends compte que certaines d’entre elles remplacent très avantageusement les exercices traditionnels : les élèves sont plus actifs et retiennent (et comprennent) bien mieux les savoirs mis en jeux. La tâche complexe peut donc intervenir « à la place de » plutôt que « en plus de ».
Le second site comprend de nombreuses vidéos interactives. Comment les utilisez-vous en classe ?
Ce site est dédié aux élèves (pas seulement les miens) qui recherchent de l’aide ou des informations sur une séquence. Je mets à leur disposition des vidéos et des exercices autocorrectifs pour qu’ils puissent travailler en autonomie. Les images interactives, dont certaines sont présentées sous forme de cartes mentales, regroupent toutes les vidéos, images et explications d’une séquence : inutile d’aller fouiller sur le site ou en bas de page, tout est sur l’image.
Avec mes élèves, je pratique la classe inversée. Chaque vidéo doit être regardée à la maison avec un document à remplir. De retour en classe les activités peuvent être diverses. Souvent, je demande aux élèves de réaliser, par groupe de 3 ou 4, une petite affiche pour expliquer à leurs camarades ce qu’ils ont appris et retenu de la vidéo. Expliquer aux autres élèves est très valorisant pour eux et ils prennent cet exercice très au sérieux. Les affiches restent sur les murs de classe le temps de la séquence.
L’image interactive est fournie en fin de séquence : c’est un outil de révision.
Comment évaluer les élèves ?
C’est un long débat ! L’évaluation par compétences se présente à moi comme une nécessité. La note, puisqu’elle existe encore, ne doit pas être une sanction et elle doit être très clairement expliquée aux élèves. Tous mes élèves peuvent refaire tout ou partie d’une évaluation ratée : cela donne du sens et une motivation à la remédiation. Les élèves savent que la note n’est pas définitive et que s’ils retravaillent, elle va évoluer positivement. La différenciation des évaluations permet également de donner du sens au travail des élèves et les motivent à travailler à leur plus haut niveau, quel qu’il soit. Mais attention, si les évaluations sont différenciées, il faut que les activités en classe le soient également.
Finalement dans cette expérience américaine qu’avez-vous appris à l’Ecole Franco Américaine du Puget Sound ?
Le fait de travailler avec des petits groupes d’élèves (classes de 16 maximum) assez motivés m’a permis de me lancer sans trop de craintes dans plusieurs projets pédagogiques dont la mise en place d’une différenciation assez poussée; la mise en place de la classe inversée, des travaux très fréquents avec les tâches complexes; de nombreux travaux interdisciplinaires.
Outre l’aspect professionnel, je suis devenu quasiment bilingue, j’ai découvert une région fantastiquement belle, une culture américaine bien plus ouverte sur le monde que ce que je pouvais penser et surtout des gens très accueillants et d’une très grande gentillesse…
Propos recueillis par François Jarraud