Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Ce mois-ci :
– Didier COZIN, ancien enseignant, a créé depuis près d’une décennie l’Agence pour la Formation Tout au Long de la Vie (AFTLV) et est devenu spécialiste du DIF (Droit Individuel à la Formation) et du CPF (Compte Personnel de Formation). Il nous explique pourquoi la réforme de la formation professionnelle va dans le mur, et comment il est urgent de réagir.
– Avant de démissionner, Catherine MALAUSSENA, qui a témoigné de sa reconversion dans le mensuel de novembre 2015, a tenté en vain d’obtenir de l’Education Nationale le DIF auquel tout enseignant a normalement droit.
Quel a été ton parcours professionnel depuis la fin de tes études ?
Entré en janvier 1980 à l’EN en tant que maître auxiliaire (en SES), titularisé en 1983, j’ai été démissionnaire en 2006. J’ai réalisé une année de bénévolat en 2004 dans une association humanitaire à travailler sur des dossiers éducation et banlieue (PLANET FINANCE) : cela correspond à 10 % de mes nouvelles compétences
En 2005 je réalise une année de formation en formation professionnelle continue (Conseiller en formation continue dans un Greta) qui m’apporte 20 % de mes nouvelles compétences
Depuis 10 ans je réalise les développements commerciaux et économiques de mon organisme de formation (AFTLV) dans la formation professionnelle continue en tant que chef d’entreprise : ce sont 70 % de mes nouvelles compétences.
Qu’est-ce qui t’avait donné envie de devenir enseignant ? Pour qu’elles raisons as-tu ensuite démissionné ?
Le goût (la passion) d’échanger et de transmettre (une première expérience à 20 ans durant mon service militaire en tant qu’assistant de promotion sociale).
Quelles compétences t’ont permis de développer ce métier ? Lesquelles ont été transférables ?
La compétence la plus importante : se mettre à la place de l’apprenant, comprendre pourquoi il ne peut apprendre, trouver des voies alternatives, accompagner le développement humain. Ces compétences ont été très utiles lors de mon travail avec les entreprises et les salariés (l’Education Nationale ne connaît pas le monde de l’entreprise et le monde de l’entreprise maîtrise rarement très bien l’éducation des adultes).
Mon expérience professionnelle est la rencontre de 3 projets :
– un projet éducatif, impossible à mener dans le cadre de l’éducation nationale (j’ai abandonné l’éducation des enfants pour travailler à celle de leurs parents)
– un projet modestement politique : démontrer que l’entreprise privée peut faire parfois mieux que le « service public » pour l’éducation et la formation.
– un projet personnel : après avoir promu l’entreprenariat dans ma structure associative (PlaNet Finance) j’ai voulu m’appliquer à moi-même les recettes d’autonomisation et de responsabilisation que je prônais pour les autres.
Quelle est ton activité actuelle ? A qui proposes-tu tes prestations ?
Je fréquente une centaine de services RH ou formation de grandes entreprises, des organismes collecteurs, des dizaines de formateurs et consultants (ainsi que des journalistes RH). Je suis associé au N°2 de la formation en France, et nous proposons du conseil en organisation et en développement ainsi que des formations sur tout le territoire sur les savoirs de base, l’anglais et le numérique
Tu t’es spécialisé dans le DIF. En quoi ce dispositif est-il intéressant pour la formation des salariés, du public comme du privé ?
J’ai vraiment découvert le DIF sur la demande d’un grand de la restauration (6.000 salariés en France) qui voulait réaliser un catalogue DIF pour ses 350 restaurants. Je me suis plongé pendant des années dans ce dispositif (15.000 heures de développement environ), j’ai écrit 3 livres sur le DIF et je tente encore de le diffuser dans les organisations (malgré sa quasi disparition dans le secteur privé).
Le DIF est selon moi un horizon indépassable en formation car il permet tout à la fois :
– de reconstruire une formation plus équitable et plus efficace pour les travailleurs (la formation choisie plutôt que la formation subie),
– de responsabiliser à la fois l’employeur et son salarié sur le développement des compétences (hors temps de travail puisque ce devrait être le temps principal du DIF),
– d’innover en mettant en œuvre des formations expérimentales loin des modèles compassés du diplôme ; du titre ou des certifications (la compétence succède à la qualification),
– de faire vivre le concept de formation tout au long de la vie (chacun doit apprendre tout au long de la vie, y compris après la retraite, l’école n’est plus qu’un maillon de la chaîne, elle doit se mettre au service du travail et de la formation et non l’inverse, l’entreprise n’est pas un ennemi mais le seul agent économique qui crée des richesses…).
En mars 2014 le CPF a succédé au DIF. Qu’est ce qui a changé concrètement ? Est-il plus facile de se faire financer une formation ?
Pour des raisons politico-syndicales (faire plaisir au Medef et prétendre faire du neuf et du mieux en matière de droit à la formation) les pouvoirs publics ont tué tout à la fois la formation tout au long de la vie et le DIF des salariés. D’un dispositif (DIF) peu utilisé, prometteur et qui pouvait être facilement amélioré, les pouvoirs publics ont fait de la bouillie pour chat depuis 2014 avec :
– des entreprises qui diminuent de 20 à 60 % leur effort formation (fin de l’obligation de dépenser 1,6 % de la masse salariale),
– des PME/TPE qui voient les fonds disponibles pour la formation diminuer de 80 % (selon la Cour des Comptes),
– des salariés non qualifiés qui sont laissés seuls sans soutien ni accompagnement face à un site Internet totalement improvisé par le Ministère du Travail et la Caisse des Dépôts (www.moncompteformation.gouv.fr ),
– au final un effort formation (auparavant déjà insuffisant) des entreprises comme des salariés qui régresse au moins de 10 années en France (nous replongeant avant le vote de la loi de mai 2004).
Que penses-tu du témoignage de Catherine MALAUSSENA (cf ci-après), ancienne enseignante qui a démissionné cette année et qui n’a jamais réussi à obtenir son DIF ?
Parallèlement à notre engagement auprès d’une centaine de grandes entreprises (les seules qui ont des services formation) nous avons tenté pendant 5 ans de proposer notre expertise à une centaine de grandes mairies (qui ont toutes refusé prétextant qu’elles payaient déjà leur cotisation au CNFPT) et à une cinquantaine d’hôpitaux. Un seul a répondu positivement et nous formons une centaine d’agents hospitaliers tous les ans dans cet établissement public de 2.000 agents en Ile-de-France.
Nous avons des dizaines de preuves que les directions des services ont torpillé le DIF en ne donnant aucun moyen (humain, organisationnel ni financier) aux personnes responsables de la formation dans ces organisations publiques.
En fait le DIF dans la fonction publique n’a jamais été promu ni valorisé, il remettait en cause les sempiternelles formations (du type préparation aux concours) et heurtait les conformismes et habitudes installées depuis trop longtemps.
Le mythe de l’omnipotence : les administrations (comme certaines grandes entreprises) veulent tout faire à l’interne (en fait un simple jeu d’écriture comptable, le transfert de fonds d’un service à l’autre. A l’Education Nationale on prétend dépenser 1 milliard d’euros pour former les enseignants mais cet argent n’est principalement que le déplacement de budget formation du secondaire vers l’enseignement supérieur). Au lieu de s’ouvrir à des intervenants extérieurs on prétend savoir tout faire, on pratique l’endogamie et on étouffe toute capacité d’innovation et de réflexion un peu stimulante.
Comment pourrait évoluer le DIF et le CPF pour assurer a minima une formation prise en charge par l’Éducation Nationale aux enseignants qui souhaitent évoluer différemment en cours de route ?
Je pense que le Droit à la formation devrait logiquement être rétabli pour les salariés à partir de 2017. L’expérience du CPF est un échec total car on a confondu un système (plus ou moins utile) de comptage d’heures avec un vrai dispositif de formation.
Le DIF était un dispositif de formation (comme le sont le CIF, les périodes de professionnalisation ou l’apprentissage) alors que le Compte Personnel de formation (CPF) n’est qu’un réceptacle d’heures de formation.
On ne se forme pas avec un réceptacle d’heures, tout comme on ne se soigne pas avec une carte vitale, compter ses heures n’a jamais rendu les travailleurs plus performants ou compétents, c’est pourtant ce à quoi s’emploie depuis 1 an le ministère du travail avec ce phantasmatique CPF.
Tu es chef d’entreprise. Quelles sont les principales difficultés auxquelles se confrontent les créateurs d’entreprise actuellement ?
En France pour l’heure actuelle, un chef d’entreprise est presque toujours perdant :
– s’il échoue il perd de l’argent, des années d’investissement, parfois son couple ou ses amis,
– s’il réussit il sera aussi perdant car très vite on va lui tomber dessus pour lui faire payer sa réussite (impôts et cotisations parmi les plus élevées des pays développés).
Une illustration. J’ai très bien gagné ma vie en 2012, j’ai payé beaucoup d’impôts et de taxes en 2013 et 2014, mes affaires ayant été brutalement stoppées par la nouvelle règlementation formation (qui a mis à terre la plupart des organismes de formation privés) et j’ai finalement payé bien plus d’argent que ma situation financière ne me le permettait sur une période de 5 ans parce que le régime actuel des impôts est fait pour des personnes salariés dont les revenus sont annuels réguliers et prévisibles.
Pour accompagner les chefs d’entreprises (de PME notamment) il faudrait concevoir un système lissé sur 5 ou 10 ans de charges et d’impôts.
Personne ne parle de cela et des dizaines de milliers d’artisans ou de petits commerçants partent désormais à la retraite sans le sou parce que la valeur de leur fonds de commerce s’est effondrée depuis 2008 (alors que ces petits commerçants ont rendu des services innombrables durant 50 à 60 heures par semaine de travail).
Notre système social ne prend en compte et ne valorise que le salariat alors que celui-ci va régresser dans les prochaines années (peut-être au niveau de 1945 où seulement 50 % des travailleurs étaient salariés).
Notre système social n’est pas équitable. Il a créé trois catégories de travailleurs :
– les fonctionnaires. Toujours favorisés et intouchables (y compris en cas d’incompétence ou d’insuffisance). La fonction publique protège certes mais elle enferme et étouffe aussi les personnes.
– les salariés, un peu moins bien lotis mais quasi-intouchables quand ils sont en CDI (une des raisons pour lesquelles 80 % des nouvelles embauches sont en contrat précaire)
– les indépendants : ils sont considérés comme des aventuriers, des parias, des patrons en herbe et aucune erreur ne leur sera permise (une faillite non frauduleuse empêche souvent de rebondir).
La création (et surtout la pérennisation) d’une entreprise en France aujourd’hui est si difficile que je conseillerai à tous ceux qui se lancent (et l’aventure est formidable) de considérer leur création d’entreprise comme un luxe, un loisir qui peut (parfois) devenir une source de revenus mais après bien des vicissitudes et des déconvenues.
Que conseilles-tu à un enseignant qui souhaite créer son activité ? Quel régime d’entreprise te semble le plus adapté à un salarié qui cesse de l’être ?
Pour créer son activité il faut :
– se lancer et ne pas attendre que toutes les conditions soient réunies (elles ne le seront jamais)
– abandonner toute idée de sécurité financière (disposer de quoi tenir financièrement au moins 1 an en trésorerie personnelle)
– ne pas prendre de salariés ni de locaux, ne pas attendre de rémunération avant au moins 1 an de travail (parfois 2 ans)
– être capable de passer 60 heures par semaine à sa création d’activité
– démarrer comme auto-entrepreneur et dès que les affaires fonctionnent abandonner ce statut pour créer une société (SARL par exemple).
– trouver un associé complémentaire, apportant d’autres compétences que les siennes
– se dire que ce sera encore 10 fois plus dur qu’on ne l’imagine mais garder le courage et la volonté d’y parvenir (ne jamais jeter l’éponge)
Si tu avais l’occasion de rencontrer le Ministre de l’Éducation nationale pour lui parler du DIF et du CPF, que lui dirais-tu ?
Si je rencontrais la Ministre de l’Education Nationale je lui dirai que chez elle, pour que ça fonctionne, il faudrait tout changer : l’administration, les statuts, les salaires, les programmes, l’organisation de l’année, la durée du travail, le rôle des parents, l’autonomie indispensable des équipes éducatives et des apprenants.
Bref le travail me semble tellement titanesque qu’à part créer un système concurrent, ouvert et libre face à l’Education Nationale je ne vois pas comment les choses peuvent changer dans le domaine de l’éducation (Jacques ATTALI dit que quand une institution est trop immobile, lourde et irréformable, il faut la laisser péricliter en favorisant l’éclosion de nouvelles organisations en parallèle).
Pour la formation et le DIF des fonctionnaires : ne compter que sur soi et ne rien attendre de votre employeur (vous éviterez ainsi les déceptions). Payer de vos propres fonds votre formation si vous en avez besoin (c’est ainsi aussi dans le privé, il ne faut pas tout attendre de la collectivité ni des autres).
Notre pays aurait besoin de centaines de milliers d’éducateurs pour adultes mais personne ne veut payer pour cela et pendant des années encore la formation professionnelle aura le plus grand mal à se déployer en France.
Devenir formateur est donc difficile mais bien plus valorisant que rester prof face à des classes démotivées (quand c’est le cas).
Son site web :
http://www.aftlv.com/
BFMTV avait confirmé le constat dressé par Didier COZIN sur la mise en place du CPF depuis le 1er Janvier 2015 :
Le DIF, en théorie :
http://www.education.gouv.fr/cid1104/la-formation-continue-pour-les-personnels-du-ministere.html
Aide aux Profs avait présenté les avantages du DIF pour les enseignants :
Quel a été le bilan du DIF ?
http://aideauxprofs.org/index.asp?affiche=News_Display.asp&ArticleID=4087
Josette THEOPHILE avait donné quelques chiffres au Café Pédagogique en 2011, une preuve de la désinformation des enseignants sur leurs droits à DIF :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2011/02/080211-theophile.aspx
« Le 17 mars 2015, suite à la parution d’une circulaire de mon académie concernant les demandes de financement DIF, je complète mon dossier afin d’obtenir la prise en charge d’une formation pour préparer ma reconversion professionnelle après un Congé Longue Durée.
Le 31 mars 2015, je reçois une réponse stipulant :
« Par courrier en date du 17 mars 2015, vous avez sollicité l’activation de votre droit individuel à formation.
Je vous informe que le droit individuel à formation, a été remplacé, depuis le 1er janvier 2015, par un dispositif de « compte formation », et je ne dispose pas encore de la circulaire ministérielle relative à sa mise en oeuvre. Il ne m’est donc pas possible, à ce jour, de répondre favorablement à votre demande. »
J’ai donc décidé de financer moi-même ma formation ainsi que les frais de transport et de J’ai néanmoins appris il y a quelques semaines, que tout ce qui m’était déclaré dans ce courrier était entièrement faux puisque le DIF n’a pas disparu dans l’Education Nationale et qu’un enseignant peut toujours le faire valoir pour une formation.
J’ai donc décidé d’exercer un recours, sur les conseils d’une personne avisée, en commençant par envoyer le 27 novembre 2015 une lettre de réclamation en recommandé avec AR à M. le DASEN :
« M. le Directeur académique,
J’ai effectué le 17 mars 2015 une demande d’activation de mon droit individuel à la formation. Il m’a été répondu le 31 mars 2015 que ce dispositif ayant été remplacé par le compte formation il n’était pas possible de répondre favorablement à ma demande (cf. courrier joint).
Or, je viens d’apprendre que toutes ces informations sont totalement fausses et au vu de la circulaire que j’ai trouvée sur le serveur de l’académie, il est bien spécifié que chaque agent bénéficie d’un crédit de 20 heures par année civile depuis 2008. Ma formation durant 140 heures, j’avais donc droit à un financement de la part de l’administration afin de me permettre de la financer.
Je vous demande donc de bien vouloir financer cette formation. Dans le cas contraire, je me verrais dans l’obligation de saisir le Tribunal Administratif afin d’obtenir satisfaction.
Espérant que vous voudrez bien prendre en compte cette demande, je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur académique, l’expression de mes sentiments distingués. »
A ce jour, je n’ai reçu aucune réponse mais je suis prête à aller devant le Tribunal Administratif s’il le faut, car j’estime qu’il est important que l’Education Nationale donne l’exemple en matière de respect des droits des salariés ».
Le témoignage de Catherine MALAUSSENA :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pages/2015/165_SC.aspx
Sur le site du Café
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