Les résultats Pisa invitent les professeurs de français à remettre en cause représentations et pratiques pour que la maîtrise de la langue cesse d’être à ce point discriminante. « Tous compétents en français » : voilà précisément un objectif ambitieux qui constitue le thème central d’un dossier publié par les Cahiers pédagogiques, réalisé en collaboration avec l’AFEF, coordonné par Dominique Bucheton et Dominique Seghetchian. Des enseignants du primaire et du secondaire y partagent activités et réflexions pour faire progresser les élèves dans « le lire-écrire-parler », compétence essentielle tant elle traverse toutes les disciplines et génère un rapport plus ou moins heureux à l’Ecole et au savoir. On trouvera aussi dans ce dossier de précieux éclairages sur de nouveaux programmes de français qui tentent de se confronter au problème.
Les pistes explorées sont diverses et stimulantes. En quoi l’Ecole peut-elle apparaître comme une « tour de Babel » tant d’une matière à l’autre varient les usages de la langue au point que les élèves peuvent s’y sentir perdus ? Comment favoriser par exemple un « tissage didactique » en lycée professionnel ? Comment en technologie changer le rapport aux mots pour que le français aide à construire une culture scientifique ? Qu’est-ce qu’écrire en SVT ou en maths ? Comment réduire les écarts langagiers entre élèves à la maternelle ? Et si on aidait à apprivoiser l’écriture en invitant des collégiens et des personnes âgées à réaliser des portraits croisés ? Et si la dictée se faisait enquête policière ? Qu’est-ce que l’« orthotactique » ? En quoi « l’évaluation dynamique » peut-elle favoriser et valoriser un parcours d’apprentissage ? Comment « faire du français autrement » par la pratique théâtrale ? Comment aider les élèves à devenir lecteurs autonomes ? Et si on leur demandait pour commencer d’écrire leur « autoportrait de lecteur » ? Et si on utilisait l’ENT pour faire vivre un prix littéraire inter niveaux et inter établissements ? En quoi un atelier d’écriture en seconde est-il susceptible de favoriser un nouveau rapport à la langue, à la littérature et à soi ? Comment le numérique libère-t-il de nouvelles façons de lire et d’écrire ? Comment exploiter, par exemple sur un blog comme i-voix, ces appétences des adolescents pour les transformer en réelles compétences de lecture et d’écriture, pour que les élèves deviennent aussi un peu poètes d’eux-mêmes ? …
On lira de surcroît avec attention deux contributions de rédacteurs des nouveaux programmes du collège. Jean-Michel Zakhartchouk nous rappelle qu’en travaillant le français en terme de compétences, il s’agit bien de « mettre le savoir en action, en aidant les élèves à mobiliser à bon escient des ressources diverses dans des situations d’une certaine complexité ». Denis Paget, membre du Conseil Supérieur des Programmes, souhaite qu’on en finisse avec certaines dérives. Plutôt que de se limiter à des questionnaires à réponses courtes ou de faire rédiger les élèves quasi uniquement en situation d’évaluation, il s’agit de « consacrer une bonne partie du temps en classe à produire des écrits de toute nature ». Plutôt que de réduire l’oral au « jeu des questions-réponses », il conviendrait d’en faire enfin un véritable « objet d’enseignement ». L’étude de la langue doit éviter les « excès de terminologie » pour l’éclairer comme « système organisé » et « en perpétuelle évolution », ce qui implique de partir des écrits des élèves plutôt que des textes étudiés et d’opérer un rééquilibrage en faveur d’une « didactique du lexique qui reste en grande partie à construire ». D’autres souhaits sont exprimés quant à la lecture : ne pas faire du cours de français « une succession de lectures analytiques », revaloriser des lors la « lecture intégrale et cursive », ne pas se limiter aux « œuvres patrimoniales », intéresser les élèves « aux divers métissages qui nous traversent »… Denis Paget invite enfin à travailler par séquences, de préférence construites sur de grandes questions susceptibles de donner plus de sens à l’apprentissage du « lire-écrire-parler ». En guise d’illustration : « Le pouvoir, force ou malédiction? », « Les conflits de génération sont-ils inévitables? », « L’homme est-il un apprenti sorcier avec la nature? », « Les hommes doivent ils tous se ressembler? », « Pourquoi raconter sa vie? », « Peut-on rire de tout? » …
Le chantier, important, est désormais bien ouvert : il revient sans doute à la formation initiale et continue des enseignants d’aider à cette nécessaire et délicate refondation.
Jean-Michel Le Baut
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