Comment expliquer le lien entre l’origine sociale et les inégalités de résultat au collège ? Trois études de la Depp, la direction des études du ministère, abordent sous des éclairages différents cette question. La dernière, publiée dans un nouveau numéro d’Education & formations (no double 86-87) qui parait le 26 mai, montre des différences importantes dans les acquis cognitifs des collégiens en fonction de leur origine sociale. Durant la scolarisation au collège, le bagage culturel familial fait la différence.
Les inégalités sociales au collège se réduisent
Les inégalités sociales de résultats au collège sont bien réelles. Pourtant, une étude de JP Caille pour la Depp, dans Education & formations n°85, montre que celles -ci sont allées se réduisant. Ainsi les inégalités d’accès en seconde générale et technologique se sont fortement réduites. En 1995, 91% des enfants d’enseignants, 89% des ceux des cadres, 46% des enfants d’immigrés et 31% de ceux des ouvriers non qualifiés faisaient un parcours direct vers la seconde. En 2007, la part des enfants de profs passait à 89% à l’égal de celle des enfants de cadres. Par contre celle des enfants d’immigrés montait à 53% et celle des enfants d’ouvriers non qualifiés à 40%. L’écart social reste donc énorme : un enfant de cadre a plus de deux fois plus de chance d’arriver à l’heure en seconde générale qu’un enfant d’ouvrier non qualifié. Mais cet écart s’est réduit.
Malgré un décrochage cognitif important
Cet échec au collège, dans une étude de décembre 2013, Jeanie Cayouette-Remblière (CREST EHESS) l’appréhendait une première fois au ras de la classe. Etudiant les évaluations précises de la 6ème à la 3ème des élèves de deux collèges d’une même ville, elle montrait la montée du décrochage cognitif au collège. Toutes les catégories sociales voient leurs résultats scolaires baisser au long du collège. Mais quand les enfants de profs passent de 15,5 à 14 de moyenne de la 6ème à la 3ème, les enfants des familles populaires passent de 11,5 à 9,5. Cette baisse de résultats est liée à la montée des exigences au collège, l’introduction de la démonstration en maths en 4ème, du paragraphe argumenté en histoire-géo, de l’analyse littéraire en français. Ce que montre J Cayouette Remblière c’est que face à ce décrochage cognitif, les équipes enseignantes soit occupent autrement les élèves qui ont décroché, soit passent avec eux un accord tacite où ils échangent le calme dans la classe contre l’absence de travail. Dans els deux cas, la chercheuse montre un renoncement à faire progresser des élèves qui n’ont aps acquis les bases nécessaires en amont.
Le discours scolaire au centre du décrochage
La nouvelle étude de Linda Ben Ali et Ronan Vourc’h (DEPP) va plus loin en utilisant des données soumettant les élèves de la 6ème à la 3ème à des tests cognitifs. L’enquête évalue leur compétence en mémoire encyclopédique, c’est à dire l’acquisition du vocabulaire propre aux disciplines du collège, en maths, par exemple en calcul mental, en traitement de phrases lacunaires (TPL) c’est à dire en richesse du lexique, en lecture silencieuse, c’est à dire en compréhension de l’écrit et en raisonnement sur cartes de Chartier (RCC) c’est à dire en raisonnement logique.
Ce que montre l’étude c’est que les différents groupes sociaux ne connaissent pas de différence quand il s’agit de compréhension de l’écrit ou de capacité de raisonnement. Sur ces points, « les méthodes de transmission des savoirs et de savoir-faire ne détérioreraient pas le degré d’acquisition « , écrivent les auteurs. « Pour ces compétences, les apprentissages ne permettraient pas de résorber les écarts dus au marquage social mais ils n’aggraveraient pas les différences ».
Ce n’est pas le cas pour le niveau en maths et la mémoire encyclopédique où le collège accroit les inégalités sociales. « Pour les épreuves de mémoire encyclopédique et de mathématiques, le collège accroit les inégalités sociales », affirment-ils. « Les résultats suggèrent que les écarts sociaux auraient tendance à se creuser davantage pour des épreuves construites à partir d’un contenu strictement scolaire ». C’est bien la capacité familiale à avoir acquis cette culture scolaire (le vocabulaire des manuels scolaires par exemple) qui augmente les inégalités sociales au collège. Les élèves des milieux populaires, les enfants immigrés comprennent aussi bien que les autres. Mais ils n’ont pas accès comme les autres à la langue de l’école.
L’intérêt de cette étude c’est qu’elle commence à donner des indications sur les points où doivent agir les équipes enseignantes. Le décrochage scolaire semble moins lié à des difficultés de compréhension qu’à une incompréhension du discours scolaire. La différence peut sembler subtil pour beaucoup d’enseignants eux-mêmes anciens bons élèves et bons connaisseurs des usages scolaires. Les travaux de la Depp montrent l’importance de bien marquer les facteurs d’explication des raisonnements scolaires, la nécessité d’une acculturation scolaire.
François Jarraud
Education & formations n°86-87 à paraitre le 26 mai