« L’école change avec vous ». C’est le nom du nouveau site que le ministère de l’Education nationale lancera dès le 7 janvier. Un lancement qui fait écho aux propos du président de la République le 31 décembre. François Hollande annonce qu’il veut « avancer, faire preuve d’audace » et combattre les conservatismes « jusqu’au bout ». Le calendrier de l’année scolaire est à la hauteur des incantations. Mais qu’en est-il du budget, de la lutte contre les inégalités, de l’état d’esprit des acteurs de l’Ecole ?
Les deux prochains trimestres seront frénétiques !
Rarement les enseignants auront-ils été « consultés » aussi fréquemment que cette année scolaire. Après les consultations sur le socle et le programme de maternelle cet automne, les professeurs seront invités en janvier à donner leur avis sur les programmes d’enseignement civique et moral (déjà publiés) ainsi que sur le numérique. En janvier également, la ministre devrait prendre des décisions sur l’évaluation. Suivront la publication du socle commun, les programmes de la maternelle, des cycles 2 à 4 avec la réforme du collège, la publication du parcours d’éducation artistique et culturelle et du nouveaux parcours des métiers. Chacun de ces dossiers est un noeud de problèmes pour la ministre qui devra arbitrer entre les camps syndicaux.
De hardies prévisions
Le budget 2015 prévoit des progrès étonnants en efficacité du système éducatif. Ainsi le ministère prend le risque de fixer des indicateurs ambitieux. Pour la maitrise des compétences en français, en fin de CE1 le taux devrait passer de 64 à 72% d’ici 2017. L’effort est encore plus marqué dans le second degré. Le taux de maitrise des compétences en français e fin de 3ème devrait passer de 79 à 83% de 2013 à 2015 pour tous les collégiens et de 57 à 64% en Rep. En maths on passera de 48 à 61 soit quand même 13 points supplémentaires ! La réforme du redoublement est déjà actée dans la loi de finances. Au primaire il devrait avoir quasiment disparu en 2017 (0,5% de redoublants en CP contre 3% en 2013). Dans le second degré, le redoublement en seconde passera de 8% en 2013 à 5% en 2017.
Le gouvernement veut donner l’impression du changement.
François Hollande a donné le ton durant ses voeux du 31 décembre. « Nous avons donc toutes les raisons d’avoir confiance en nous mais à une condition : avancer, faire preuve d’audace, refuser le statu quo », a-t-il déclaré. « La jeunesse, ce sera toujours ma priorité, avec des moyens supplémentaires pour lutter contre les inégalités scolaires, avec des jeunes professeurs mieux formés, avec le lancement d’un grand plan numérique à l’école, parce que je veux que la France soit le premier pays d’Europe en matière d’utilisation des nouvelles technologies… La France avancera donc l’année prochaine, dans tous les domaines et pour tous. … Ce combat, je le mènerai jusqu’au bout, contre les conservatismes – et ils sont nombreux ». Dans ses voeux, la ministre affirme vouloir une école « plus efficace » et « combattre sans faille contre les inégalités scolaires ». Voilà un domaine où il y a fort à faire…
Mais le gouvernement lutte-il vraiment contre ces inégalités ?
Le sociologue de l’éducation Pierre Merle en doute. Dans un article donné au Café pédagogique, il estime que » l’absence d’une politique globale et cohérente de mixité sociale débouche sur des effets connus : ghettoïsation des collèges populaires, embourgeoisement des établissements privés, concurrence publique-privée accrue qui impose une politique d’options sélectives pour que le secteur public conserve ses « bons élèves », le plus souvent regroupés dans de « bonnes classes »… Une réelle refondation serait, pour favoriser la mixité, de faire varier sensiblement la dotation versée aux établissements en fonction de leur recrutement social ». Or ce n’est pas réellement ce que prévoit la nouvelle politique d’affectation des moyens. L’effort pour l’éducation prioritaire reste modeste même s’il augmente. Les moyens les plus efficaces pour donner leur chance aux élèves des milieux populaires, par exemple stabiliser les équipes enseignantes par une vraie politique incitative, réduire nettement le nombre d’élèves par classe, ne sont pas mis en oeuvre. La crise du recrutement continue à frapper durement les zones les plus défavorisées.
Les réformes politiques peuvent perturber l’Ecole
La réforme territoriale crée une nouvelle insécurité pour l’Ecole. Les compétences éducatives étaient déjà partagées entre l’Etat et 3 niveaux de collectivités territoriales. Demain elles seront partagées entre 4 niveaux du fait de la création des métropoles. Dans certains départements les compétences sur les collèges et les lycées seront partagées entre la métropole, le département, la région et l’Etat. Ce sera le cas dans la nouvelle région Rhone Alpes Auvergne où la métropole lyonnaise aura des compétences sur les collèges dans la métropole. En Ile-de-France personne ne sait qui aura des compétences éducatives dans le secondaire : la région seule ? La métropole seule sur sa zone ? Les 4 niveaux ? Comment dans ce cas mener des politiques d’équipement cohérentes ? Comment s’adapter aux particularités locales ? Construire des cartes de formation sera plus compliqué encore.
Le recrutement ne sera pas au niveau annoncé
Le budget prévoit aussi une hausse des recrutements d’enseignants pour atteindre les 54 000 créations de postes promises. Mais jusque là le ministère n’a pas été capable d’atteindre les créations de postes annoncées. En 2015 9421 postes nouveaux sont budgetés, soit plus qu’en 2014. Compte tenu des départs en retraite, plus de 25 000 emplois seront proposés chaque année jusqu’en 2017. Mais il y a peu de chances qu’ils soient tous pourvus. Les difficultés de recrutement dans els départements défavorisés vont continuer au primaire. Dans el secondaire, les postes proposés en maths, lettres et anglais ne seront pas tous couverts. En effet la grande contradiction de ce budget c’est qu’il prétend recruter davantage d’enseignants tout en dégradant les carrières. Le point fonction publique est gelé depuis 2010, ce qui se traduit en net par une baisse régulière du salaire. En 2015, 1,4 milliard sur les 7,7 milliards d’économies réalisées par l’Etat sont prélevés sur les salaires des fonctionnaires. Dans l’enseignement les enveloppes catégorielles sont amputées de moitié : 100 millions sont prévus contre 200 habituellement. L’éducation prioritaire an absorbera 87. Le reste ira aux directeurs d’école.
La crise profonde du métier sera toujours là
On voit mal comment le moral des enseignants pourra se redresser. Car 2014 a mis à jour la véritable crise de confiance que connait le métier enseignant. Plusieurs enquêtes syndicales et l’étude Talis d el’OCDE convergent sur ce point. Selon une enquête Unsa auprès de 19 000 salariés, seulement un agent sur trois se sent respecté et reconnu au travail. C’est le cas de 30% des professeurs des écoles par exemple. Seulement 13% des personnels juge leur rémunération conforme à leur qualification. Un gros tiers souhaite changer de métier dans la fonction publique, 20% dans le privé. Seulement 21% des enseignants sont en accord avec les choix politiques éducatifs du gouvernement. Selon l’enquête TALIS de l’OCDE seulement 5% des enseignants français jugent que leur métier est valorisé. C’est el plus faible taux de l’OCDE. Le fossé s’est aussi creusé avec la hiérarchie. Trois enseignants sur quatre jugent que leur hiérarchie ne comprend pas leurs contraintes professionnelles. Quand les enseignants sont en désaccord avec la politique gouvernementale 72% des IPR, 51% des IEN manifestent leur accord… Un clivage confirmé aux récentes élections professionnelles où les partisans de l’immobilisme ont progressé chez les enseignants, les réformistes chez les cadres. Or sans adhésion des enseignants, sans exigence claire des parents, dans un système où le pilotage est confus ou inexistant, toute transformation du système éducatif semble difficile.
François Jarraud