Par Alexandra Mazzilli de l’Association Aide aux Profs
Ce mois-ci, Aide aux Profs vous propose :
– de découvrir le parcours passionnant de Philippe Vanroose, ancien professeur instituteur et aujourd’hui « directeur du développement des produits et des services » de la société Vert-Marine ;
– et de faire le point sur les défis qui s’offrent aujourd’hui à Benoît Hamon pour relancer l’attractivité de l’école, notamment en s’attaquant au front des secondes carrières.
Ancien enseignant, Philippe est aujourd’hui « directeur du développement des produits et des services » de la Société Vert Marine. Recruté au départ pour concevoir des projets et des documents pédagogiques, ses fonctions se sont depuis élargies. Même si la classe lui manque parfois, il est aujourd’hui épanoui et heureux de ses choix.
1/ Quelles études avez-vous suivies et pourquoi êtes-vous devenu enseignant ?
Après le baccalauréat j’ai passé le concours d’entrée à l’Ecole Normale d’Instituteurs de Rouen car c’était tout simplement le métier que je souhaitais exercer. Ce n’est qu’ensuite, à l’âge de 40 ans, que je me suis engagé dans la reprise d’études universitaires en Master Ingénierie de la formation.
2/ Quel a été votre parcours de carrière dans l’Education Nationale ? Comment se sont passées vos premières années ?
Instituteur remplaçant, puis titulaire, j’ai rapidement passé le certificat d’aptitude aux fonctions d’instituteur maître formateur (CAFIMF) option éducation physique et sportive. Je suis alors devenu maître formateur en école d’application avant d’occuper successivement des postes de conseiller pédagogique de circonscription (CPC) et de conseiller pédagogique départemental (CPD) pour l’éducation physique et sportive. Cette carrière a été aussi jalonnée par différentes missions : conseiller technique du recteur de l’académie de Rouen pour l’innovation pédagogique dans le premier degré, chargé de mission par le ministère de l’éducation nationale pour la mise en place et le suivi de la filière sportive des collectivités territoriales.
3/ Que vous a procuré votre métier d’enseignant ?
Beaucoup de bonheur : j’adorais enseigner ! Le fait d’avoir été confronté très tôt aux problématiques de formation m’a permis des rencontres professionnelles très riches et a présenté l’opportunité d’acquérir de nouvelles compétences.
4/ Comment en êtes-vous arrivé à l’envie d’embrasser une seconde carrière ? Quel est le déclic qui vous a fait quitter les élèves ?
Comme je vous l’ai précisé, j’adorais enseigner. Ce n’est pas la démotivation qui a engendré cette seconde carrière mais un projet d’entreprise qui m’a séduit. Je connais les deux dirigeants associés de la société Vert Marine depuis la création de cette société en 1992. Nous sommes toujours restés en contact, et c’est en 2007 que la bascule s’est opérée. L’emploi proposé correspondait plutôt bien à mes compétences. La promesse de pouvoir mener à bien des projets que je ne pouvais plus conduire au sein de l’éducation nationale, faute de moyens, a été fondamentale dans ma prise de décision. De plus, le principe de travailler pour une société œuvrant pour les collectivités en délégation de service public ne m’a pas paru incompatible avec les idéaux qui m’avaient conduit à m’engager dans la fonction publique.
5/ En quoi consiste votre activité actuellement ?
En qualité de directeur du développement des produits et des services, j’ai pour mission de concevoir, ou d’optimiser, des concepts ayant un impact positif sur l’image de la société et d’en développer le chiffre d’affaires. Initialement recruté pour la conception de projets et de documents pédagogiques (voir la rubrique pédagogie du site internet www.vert-marine.com), il m’a ensuite été proposé ce poste aux fonctions élargies. J’ai notamment été amené à concevoir de nouvelles activités d’aquagym et de les structurer de manière à enrichir et harmoniser les pratiques au sein des établissements que nous gérons… de définir les contenus d’une école de natation dont les activités dépassent largement l’initiation et le perfectionnement des nages (sauvetage, natation synchronisée, water-polo, natation subaquatique…) en cohérence avec notre vocation tout en nous différenciant des activités fédérales… de travailler sur la politique tarifaire de nos différents produits et services…de développer une carte cadeau spécifique à l’entreprise… et tout dernièrement de présenter un concept d’activité permettant au public handicapé et/ou souffrant d’une perte de motricité des membres inférieurs de découvrir ou de redécouvrir les plaisirs de la glisse en milieu aquatique (voir la vidéo à l’adresse suivante : http://www.youtube.com/watch?v=XcZFYL1xIz8&list=UUtcPSFaauTEvnxor6CVJ6TQ&feature=share&index=1). Tous ces projets m’ont d’acquérir au sein d’une équipe pluridisciplinaire des compétences dans des domaines qui m’étaient jusqu’alors inconnus : le marketing, la communication…
6/ Quelles compétences pensez-vous avoir acquises dans l’enseignement, et lesquelles vous paraissent transférables et vous ont servi pour réussir votre reconversion ?
Sans nul doute, le fait d’avoir été un enseignant polyvalent m’a été d’une aide précieuse car cela conduit à entrevoir les choses de façon plus systémique que l’enseignement mono-disciplinaire. La conduite de projet et le développement de relations partenariales ont aussi été des atouts précieux.
7/ Comment s’est passée concrètement votre reconversion ? Quelles démarches avez-vous entreprises ? Etes-vous en disponibilité ou avez-vous démissionné ?
Comme je vous l’exposais, je connais cette société depuis sa création. J’ai toujours conservé des relations amicales avec ses dirigeants avec lesquels nous avons à plusieurs reprises évoqué l’éventuel projet de travailler ensemble. Cela s’est concrétisé en octobre 2007, période depuis laquelle je suis en disponibilité. Je dois d’ailleurs remercier l’Inspecteur d’Académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale de la Seine-Maritime, d’avoir accepté ma demande alors que le calendrier ne s’y prêtait pas.
8/ Avez-vous suivi un apprentissage, une formation pour vous perfectionner ? Comment s’est effectuée la prise en charge de votre formation ? L’Education Nationale finance-t-elle ce genre de projets ?
Je n’ai suivi aucune formation spécifique, mais j’avais quelques années auparavant bénéficié d’un bilan de compétences. Ce qui m’a permis de faire le point sur les connaissances et compétences acquises depuis de nombreuses années et d’entrevoir de possibles orientations professionnelles. Le fait d’avoir été auteur et co-auteur de différents ouvrages et articles pédagogiques ont facilité la conception et la rédaction de projets.
9/ Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées ou que vous rencontrez encore dans votre reconversion ? Combien de temps vous a-t-il fallu pour vous installer et en vivre ?
Arriver dans une entreprise en étant directement rattaché à la direction générale de celle-ci ne laisse pas indifférents les collaborateurs déjà en place dont certains sont des « cadres historiques » qui ont connu toutes les étapes de développement de la société. Il faut rassurer, répondre aux curiosités, apaiser les suspicions…
10/ Aujourd’hui, avez-vous des regrets du métier d’enseignant ? Revenus moins élevés ? Vacances ? Fatigue ? Stress ?
Le face à face « pédagogique » avec les élèves me manque parfois : j’aimais cela. Même si je l’ai compensé en étant partiellement chargé d’enseignement à l’université et dans un CFA, la « vie de classe » est une réalité, et une richesse, qui n’existe que dans l’enseignement du premier degré. Concevoir et bâtir des liens entre toutes les disciplines représente une opportunité que l’on ne retrouve pas ailleurs. Personnellement, je n’ai jamais été très attaché au calendrier des vacances scolaires et n’ai jamais conçu mon travail en termes d’horaires à respecter. Mes revenus sont supérieurs et mes conditions de travail sont meilleures mais dépendent de mon efficacité et non de mon ancienneté : il n’y a pas d’avancement en fonction du barème, et cela me convient très bien. Le fonctionnement d’une entreprise n’est pas linéaire et cela entraine de fait des périodes de fatigue et de stress périodiquement plus élevées.
11/ Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite réaliser une mobilité professionnelle hors de l’enseignement ?
La recherche d’une augmentation de revenus ne peut en aucun cas, de mon point de vue, suffire à s’engager dans une seconde carrière. Il me semble indispensable de faire objectivement et positivement le bilan de sa situation professionnelle et personnelle : que vais-je « gagner » de plus en regard de ce que je « possède » actuellement ? Il ne faut pas négliger non plus les aspects économiques liés au monde l’entreprise : la notion de rentabilité est fondamentale. Dans mon quotidien je n’évacue jamais le fait qu’il y a près de 2 000 salaires à verser en fin de mois.
12/ Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur l’école de la République ?
Je demeure un farouche défenseur de l’école de la République et de ses « serviteurs ». Je propose régulièrement à ses pourfendeurs de s’essayer au métier d’enseignant et de se mesurer ainsi aux difficultés qui y sont associées. Ce qui me peine le plus c’est de constater la situation de souffrance dans laquelle se trouve d’anciens collègues ou enseignants que je côtoie. Les instituteurs et professeurs des écoles que je me plais à qualifier de « maître d’école » sont ceux qui méritent plus particulièrement plus de reconnaissance : leur disponibilité et leur engagement sont sans limite. Je serais tenté d’être moins complaisant à l’égard de ceux du second degré. Je suis issu d’une famille modeste et je n’oublierai jamais ce que je dois à l’école de la République même s’il me semble que celle-ci joue moins actuellement son rôle d’ascenseur social.
Entre 15 à 27 heures de travail effectif par semaine (les cours en eux-mêmes), selon que l’on soit agrégé du second degré ou professeur des écoles dans le premier degré, 16 semaines de congés par an… Il faudrait être inconscient pour quitter le « plus beau métier du monde ». Et pourtant, les difficultés sont de plus en plus nombreuses et amènent les enseignants de tous niveaux et de toutes disciplines à se poser toujours plus de questions quant aux différentes étapes de leurs carrières. Nombreux sont ceux qui souhaitent aujourd’hui se reconvertir ou a minima évoluer au sein de l’Education Nationale, en changeant de discipline, de niveaux ou en essayant de se faire recruter, notamment par concours, sur des postes administratifs. A côté de cela, l’attractivité du métier d’enseignant connaît une réelle baisse, rendant laborieux les recrutements par concours (CRPE, CAPES). Mais existe-il des solutions pour enrayer ce déclin du métier d’enseignant ou l’Education Nationale se dirige-t-elle inévitablement vers une pénurie des recrutements et une augmentation des projets de reconversion ?
Il paraît évident de dire que la multiplication des reconversions interroge le métier d’enseignant en lui-même : on ne quitte pas une activité dans laquelle on se sent bien, a fortiori lorsqu’on l’a choisie par vocation, ce qui reste encore majoritairement le cas parmi les enseignants. Comme le disait si bien Confucius, « choisissez un travail que vous aimez, et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie ». Or, de plus en plus d’enseignants vivent leur métier dans la souffrance et non dans la passion bien que tous aient eu cette petite flamme d’envie et de motivation à l’entrée dans le métier. Certains réussissent à la conserver tout au long de leur carrière malgré les vicissitudes du métier, d’autres perdent leurs illusions après seulement quelques mois de pratiques. Le problème vient souvent d’un trop grand décalage perçu et vécu entre le métier rêvé et idéalisé, voire fantasmé parfois (notamment pour les personnes qui ont été « bonnes élèves » durant leur scolarité) et le métier vécu et réel…
Les facteurs de reconversion : de la difficulté à être enseignant, difficulté niée par la société !
Les raisons qui poussent à entreprendre une reconversion, une nouvelle formation, à se mettre en disponibilité, à démissionner ou à créer son entreprise en cumul d’activités sont aussi nombreuses que variées et peuvent très facilement conduire à une dépression si l’on n’en reconnaît pas les signes avant-coureurs à temps :
– Le fait de subir un harcèlement au travail : par un supérieur hiérarchique, un directeur, un collègue, des parents d’élèves voire des élèves.
– Le fait de ressentir un épuisement professionnel (ou « burn out »), dû à la multiplication des tâches administratives et à la quantité d’horaires faramineuses exécutées chaque semaine par les enseignants…
– Le fait de faire face à toujours plus d’incivilités (voire de violences verbales et physiques) de la part des élèves et de leurs parents, la difficulté à faire face à des classes surchargées et de plus en plus agitées, à des élèves perturbateurs et irrespectueux, aux multiples soucis de comportements, à des élèves en difficultés constantes, à des élèves déconcentrés, en manque de motivation, « zappeurs » et au bruit permanent des salles de classe.
– De réels soucis de santé physique : problèmes de voix, maux de tête, maux de gorge, maux d’estomac dus au stress, maux de dos dus aux trajets en voiture en particulier pour les enseignants débutants qui ne trouvent pas de postes à proximité de leur domicile (et ce, pendant plusieurs années parfois) ou pour les remplaçants.
– Le manque de reconnaissance face au travail fourni, la déconsidération de la société pour ces « fainéants » toujours en grève ou en vacances ! Manque de reconnaissance sociale qui s’accompagne d’un manque de reconnaissance financière qui s’avère de plus en plus lourd pour boucler les fins de mois.
– La diversité et la modification des missions imposée aux enseignants, les réformes et les changements de programmes qui se suivent à grande allure et auxquelles il convient de toujours faire l’effort de s’adapter, et qui imposent de réelles charges de travail supplémentaires avec l’impression d’être malmené par sa hiérarchie et son Ministère.
– Les soucis liés à la formation initiale et à la formation continue, inexistante parfois pour raisons de service (on ne compte plus les stages des Plans de Formation Académiques qui sont annulés pour cause de manque de remplaçants) ou complètement inadaptée au terrain, formation qui aujourd’hui est appelée à se numériser (M@gistère FOAD), engendrant peut-être encore plus de solitude chez l’enseignant en souffrance qui n’osera pas forcément faire part de ses difficultés sur les forums de discussion prévus à cet effet.
– La longueur des carrières et l‘abandon des aménagements de fin de carrière, l’usure du métier.
Ainsi, si les facteurs qui poussent à la reconversion et à l’envie d’une seconde carrière sont nombreux et sont responsables de l’évolution du métier ces dernières années, il n’en va pas de même en ce qui concerne les solutions que l’on peut proposer aux enseignants en souffrance dans leur classe et en mal de changement professionnel.
Reconversions : quelles solutions ?
La question qui vient à l’esprit en premier lieu lorsqu’on parle de reconversion pour les enseignants est celle de savoir pourquoi il est tellement difficile d’y accéder ?
Plusieurs solutions existent et nous en avons déjà fait le tour à plusieurs reprises dans cette rubrique ou sur le site de l’Association Aide aux Profs (www.aideauxprofs.org) : la création d’entreprise en cumul d’activité accessoire, la mise en disponibilité pour pouvoir se former en–dehors de l’école, la reprise d’études par correspondance, la démission avec demande d’Indemnité Volontaire de Départ… Bien sûr, les enseignants que nous interrogeons chaque mois pour vous proposer des parcours de reconversion réussis ont tous franchi le pas… Même s’ils ne sont pas majoritaires dans leur réussite, ils ont tous emprunté l’une ou l’autre de ces voies…
Cependant, nombre de témoignages que nous vous avons proposés insistent sur le fait que ces reconversions, sauf exception, ont été difficiles, notamment financièrement. Il faut à chaque fois beaucoup de volonté pour réussir, de l’argent économisé par avance pour faire face aux dépenses de création d’entreprise ou de formation, voire aux dépenses de la vie quotidienne en cas de mise en disponibilité ainsi qu’un concours de circonstances favorables qui a permis de rencontrer la ou les bonnes personnes au bon moment. La reconversion est souvent un parcours du combattant, renforcé par l’idée qu’ont beaucoup d’enseignants convaincus qu’ils ne savent faire que ça. Or, pour être enseignant, il en faut des compétences ! Des compétences recherchées par toutes les entreprises du reste : capacités d’organisation et de gestion, management, aptitude à motiver et mettre au travail, persévérance, maîtrise de la langue orale et écrite, des outils informatiques, gestion de budget, gestion de projets, sens du relationnel, du travail en équipe et du service public… Alors, pourquoi est-ce si difficile ? Et pourquoi l’Education Nationale refuse-t-elle de mettre en valeur des compétences et des parcours si riches en n’accordant par exemple les Congés de Formation Individuels qu’au compte-goutte ? A-t-elle conscience de la souffrance des enseignants au travail ? Que pourrait-elle mettre en place pour une gestion et une organisation de ses fonctionnaires qui soient plus respectueuses et un peu plus faciles ?
Toutes ces questions sont ouvertes et restent posées à un moment où un Vincent Peillon sur le départ n’a pas su convaincre. C’est un challenge pour Benoît Hamon aujourd’hui que de « réformer » à nouveau l’école dans un sens plus favorable à la gestion des ressources humaines : allègement des effectifs, propositions de spécialisation des enseignants qui le souhaitent pour accueillir les élèves en situation de handicap, allègement des programmes, création d’une cellule de crise pour les enseignants en souffrance avec un réel pôle compétent et aidant de conseillers mobilité carrière, l’ouverture facilitée (voire réservée) à d’autres postes pour les enseignants qui souhaitent évoluer, amélioration de la formation initiale et continue, l’augmentation des salaires, la prise en compte du temps de travail en dehors de la classe,… C’est un réel défi qui s’annonce pour l’école du XXIème siècle, qui pour l’instant est en perte de vitesse (pour preuve, l’augmentation des inscriptions d’élèves dans les écoles privées).
Ce qui est certain, c’est que si les choses ne changent pas en profondeur, les professeurs seront toujours plus en demande et en recherche de reconversion, et la crise des recrutements ne fera qu’empirer, contribuant à faire de l’école une école au rabais avec des enseignants recrutés à faible niveau. Le Ministère de l’Education Nationale à terme sera donc dans l’obligation de se poser la question réellement des reconversions. En effet, s’il souhaite continuer à recruter des enseignants de qualité et à proposer un service public d’éducation de valeur, il lui faut relancer l’attractivité du métier. Sans possibilité de reconversion et avec l’impression actuelle des enseignants de s’être engagés dans une voie de garage, cette équation reste et restera impossible à réaliser.
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