« La technique (informatique) est partie intégrante de la culture du jeune de l’élève et du citoyen » écrit Bruno Devauchelle. Dans cette chronique, il questionne la place de l’école, de l’apprentissage au regard des évolutions des outils. Il souligne l’enjeu de pouvoir, de leur instrumentalisation et rappelle la mission de l’école « éviter les inégalités liées à l’ignorance ». Or, les différentes enquêtes comme ICILS « sur le système éducatif français, semblent montrer les limites du modèle scolaire actuel » déplore-t-il.
L’invention de l’écriture a permis en premier lieu l’inscription du langage oral dans une forme « figée » et « partageable ». On peut écouter avec intérêt ces documents proposés par la télévision suisse-romande. Le passage de cette écriture à des supports facilitant sa fabrication a permis une diffusion plus large de l’expression orale, sa reproduction et en particulier la possibilité de l’absence de l’auteur des propos par rapport au support. Toutefois, cela ne se fait pas sans une certaine méfiance ou disons sans questionnement. Platon rapporte les propos de Socrate à propos de l’écrit, de l’oral et de la mémoire : « Ils cesseront d’exercer la mémoire parce qu’ils s’appuient sur ce qui est écrit, appelant les choses à la mémoire non plus de l’intérieur d’eux-mêmes, mais au moyen de marques extérieures. » On peut entendre des propos et questions similaires à l’arrivée d’Internet, de Wikipédia et récemment des Intelligences artificielles génératives. Que deviennent l’apprentissage, la mémoire, le travail intellectuel… avec de tels outils accessibles à tous ?
L’écrit, les TIC et le pouvoir
L’école est amenée à intégrer l’écrit dans les propos de Condorcet. Celui-ci montre que si l’autorité du discours appartient aux dominants, l’écrit est un outil qui sert les mêmes personnes pour dominer la société, d’où la nécessité d’enseigner l’écrit. Le primat de l’image auprès du peuple est lié, à cette époque, à son incapacité à lire. Lire ne suffit pas s’il n’y a pas l’écriture associée dit Condorcet. Au-delà, la question de fond est celle de la technique au service des pouvoirs, du pouvoir. Et par là même se pose la question de l’école dans sa mission de lutte contre les inégalités, l’ignorance. Ce qui se passe avec les technologies de l’information et de la communication, c’est le fait qu’elles sont devenues des instruments de pouvoir mais aussi de modification des fonctionnements humains, externes et internes.
Des évolutions techniques
Le numérique et ses évolutions récentes marquent la transformation de ce premier quart de siècle. À l’extérieur, on y trouve Internet, les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle et de nombreuses possibilités offertes par les concepteurs et les marchands. À l’intérieur, on observe de nouveaux comportements aussi bien dans la manière de s’informer que dans celle de communiquer. Le récent appel d’une soixantaine de chercheurs à une vraie place du numérique à l’école vient accompagner cette réflexion partagée autour du danger d’abandonner les jeunes, les élèves dans un monde numérisé. Au-delà des comportements, ce sont aussi les fonctionnements psychiques qui évoluent, en particulier sous l’effet de la captation recherchée par celles et ceux qui proposent des services et des contenus en ligne. La dépendance, éventuelle, de chacun de nous aux usages des moyens numériques est le reflet de nos transformations internes. L’arrivée de l’IA générative dans l’espace public est un « objet » à analyser : quel effet produit-elle sur les élèves ? Comment s’associe-t-elle aux autres pratiques ? En quoi l’école, fondée principalement sur l’écrit, est-elle mise en question dans ce contexte qui associe oral, images, vidéos, et textes, sous-tendus par des algorithmes au fonctionnement méconnu voire ignoré de la plus grande part des usagers.
La mesure des compétences et l’école
L’état des lieux de la maîtrise du numérique est accessible au travers de l’étude ICILS 2023, dont les résultats pour la France sont transmis via la DEPP. Autour de deux thématiques, Pensée informatique et Littératie numérique, et basée sur des activités variées autour d’items d’enquête, les résultats sont intéressants, mais surtout doivent être contextualisés. En effet, les comparaisons internationales ne peuvent se penser si l’on n’a pas de repères sur les cursus et les programmes suivis par les élèves interrogés. De plus l’évolution de l’enquête, au fil des années montre une adaptation constante à l’évolution de la place de l’informatique dans la société. On peut accéder à l’ensemble des résultats des pays ici. Chacun des pays tente de tirer profit de cette enquête pour tenter d’avoir un état des lieux et donc des indications sur, d’une part, l’enseignement autour de ces thèmes et, d’autre part, sur les élèves eux-mêmes.
La France n’échappe pas à une analyse « moyenne » qui semble rassurer. Quant à savoir d’où viennent ces résultats, difficiles de faire un lien. Ce qui est surtout important ici c’est que l’on s’intéresse à deux sujets qui mettent en évidence la question de la transformation culturelle liée à la technique. Avec la littéracie définie comme « collecter, gérer, produire et communiquer des informations à la maison, à l’école, sur le lieu de travail et dans la société. » et la pensée informatique comme « reconnaître les aspects des problèmes du monde réel qui se prêtent à une formulation informatique et à évaluer et développer des solutions algorithmiques à ces problèmes. » Cette approche, très en lien avec les publications de l’OCDE, montre que désormais, la technique (informatique) est partie intégrante de la culture du jeune, de l’élève et du citoyen. On peut penser que pour compléter ce travail il serait intéressant que, autour de PIX et de ses déclinaisons, on puisse avoir une analyse fine des usages (en institution ou en dehors) et en lien, un ensemble de données sur les niveaux de compétences validés croisés avec les publics utilisateurs.
L’école et la culture à l’ère du numérique
On peut considérer qu’aujourd’hui, au-delà des discours publics, des tribunes publiées dans les médias et autres controverses, la transformation culturelle issue de l’informatique fait désormais partie intégrante de la formation initiale de la jeunesse, à l’école et en dehors. Il s’agit toutefois d’une évolution constante qu’il faudrait prendre en compte, comme on le constate avec la vague déferlante de l’intelligence artificielle générative. L’enquête ICILS tente d’aller sur ce chemin. L’importance éducative, proposée par les chercheurs, ne doit pas être ignorée, tant elle montre la nécessité pour l’école d’accomplir ses missions originelles : éviter les inégalités liées à l’ignorance.
Malheureusement, il semble que les écarts constatés, aussi bien dans l’enquête ICILS que dans d’autres enquêtes sur le système éducatif français, semblent montrer les limites du modèle scolaire actuel. Il semble aussi que les politiques n’aient pas une vision suffisante du lien entre l’intention et les réalisations qui leur permettraient de s’attacher vraiment à la mise en œuvre dans les programmes et l’organisation scolaire.
Bruno Devauchelle
Télécharger l’analyse de la Depp sur Icils 2023
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