Par Alexandra Mazzilli de l’Association Aide aux Profs
Cathy, ancienne professeure d’anglais, a souffert d’une grosse dépression dans l’exercice de ses fonctions. En retraite d’invalidité de l’Education Nationale, elle est aujourd’hui reconvertie dans le patchwork, la broderie et le lainage. Avec l’aide de son mari, elle a ouvert une splendide boutique de matériel pour ces loisirs, anime des ateliers créatifs et retrouve peu à peu goût à la vie. Cathy nous prouve ainsi que même lorsqu’on est au fond du trou à cause de son métier d’enseignant, affaibli même par une grosse dépression, il est possible non seulement de s’en sortir mais surtout de rebondir pour vivre de sa passion et être heureux envers et contre tout.
Quelles études avez-vous suivies ?
Après mon bac, j’ai suivi des études d’anglais littéraire en fac jusqu’à obtenir mon CAPES (je l’ai eu du premier coup). Je suis devenue prof d’anglais dans la foulée, suite à une année de stage pratique (CAPES d’anglais deuxième année).
Pourquoi avoir choisi le métier d’enseignant ?
J’ai toujours adoré l’école, et j’ai toujours été une bonne élève. En plus, j’avais de très bons professeurs et une véritable passion pour l’anglais, avec également l’envie de transmettre. Bien sûr, je ne voyais que les bons côtés. Je savais aussi que je voulais travailler avec des enfants et transmettre quelque chose que j’aimais, en l’occurrence une langue étrangère.
Quel a été votre parcours de carrière ?
J’ai commencé à Tourcoing à trois quarts d’heure de chez moi, je n’y étais jamais allée avant de travailler là-bas. J’y ai fait mon année de stage pratique dans un lycée et ensuite j’ai obtenu un poste pendant cinq ans au collège de Tourcoing, avant de parvenir à avoir une mutation sur Armentières où j’ai travaillé une dizaine d’année, toujours au collège. Pendant mon année de stage pratique, j’avais cours à l’IUFM le mercredi ; nous étions deux stagiaires dans le même lycée et nous avions un maitre de stage qui venait nous voir chacune une semaine sur deux ; nous avions aussi des stages dans d’autres classes du collège et du lycée. Au début ça me plaisait vraiment. Ce n’est vraiment qu’au bout de quinze années que j’ai craqué. En plus de l’IUFM, nous suivions des cours de littérature en agrégation. Mais je n’ai pas eu envie de passer l’agrégation car une fois que l’on a obtenu le CAPES, l’oral étant vraiment très difficile à décrocher, on en a assez des études et on a envie de rentrer dans la vie active.
Quels grands projets pédagogiques avez-vous menés ?
J’ai surtout organisé des voyages scolaires en Angleterre (en sixième tous les ans une journée, en quatrième trois à quatre jours, en alternance avec le voyage en Espagne un an sur deux). Dans le cadre d’élèves en classe européenne, je faisais des cours de littérature anglaise, avec de véritables fiches de lecture, je leur faisais lire de véritables ouvrages de littérature (un peu simplifiés quand même), comme Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll.
Comment êtes-vous arrivée à la couture et au patchwork ?
Ma maman était manuelle, elle aimait tout ça, ma sœur aînée également. Petite, j’ai appris à faire du canevas, ma maman m’a appris à tricoter quand j’étais en sixième. Ma sœur est devenue couturière et j’ai appris les bases de la couture. En arrivant à Fleurbaix, il y a une dizaine d’années, j’ai découvert un club de patchwork, cela a été un véritable déclic pour moi, une passion, j’étais faite pour cela. On choisit de beaux tissus exprès pour le patchwork, on essaie de trouver une harmonie entre eux puis on les rassemble en alliant les motifs et les couleurs pour faire des plaids, des sacs, des décorations murales, des coussins, … sans oublier le quilting après la confection du top, pour donner du gonflant à l’ouvrage. Il y a plein de techniques à découvrir dans lesquelles on peut laisser parler sa créativité.
Souhaitez-vous quitter l’école définitivement et entièrement pour vivre de votre passion jusqu’à la retraite ?
Je n’envisage absolument pas de reprendre l’école, je n’aurais plus la patience : quand on sort d’une dépression sévère, on est plus fragile ; d’ailleurs, je ne sais pas comment j’ai pu tenir aussi longtemps. Suite à mon congé longue maladie, le médecin expert qui me suivait et qui jugeait si on était apte à la reprise ou pas, m’a placée en retraite pour invalidité. Cela ne fait pas encore un an que la boutique est ouverte mais je ne me
vois pas faire autre chose.
Comment en êtes-vous arrivée à une situation de démotivation, avec l’envie d’une seconde carrière ? Quel est le déclic qui vous a fait quitter les élèves ?
Je suis tombée malade, suite à des harcèlements moraux de la part de collègues. Je n’ai rien vu venir, c’est insidieux et un jour, c’est le burn out (fatigue accumulée). Puis on retourne au collège de plus en plus en traînant les pieds et on finit par tomber dans la dépression. Comme on est moins bien physiquement et moralement, on est moins bien avec les élèves aussi puis ça devient très difficile. On est tellement mal qu’on n’arrive plus à prendre du recul. J’avais encore de l’entrain deux ans avant de m’arrêter. Mais il y avait déjà des choses qui me rongeaient depuis longtemps, ça faisait déjà neuf ans que je n’allais pas bien sans savoir pourquoi. Pour moi, ce sont les difficultés des relations avec les collègues qui m’ont fait quitter l’Education Nationale. Dans un collège de 70 ou 80 professeurs, on dit bonjour avec entrain le matin quand on arrive dans la salle des profs, il y en a cinq qui répondent. Une seule personne « mal intentionnée » suffit pour « pourrir » toute une école. Certains se connaissant depuis longtemps, c’est difficile de s’intégrer. Je ne suis pas la seule à être « tombée » des agissements de certains. Il y a même eu des tentatives de suicide autour de moi. Mais rien n’est fait pour changer les choses, on n’en parle pas et on se sent souvent très seule. J’ai aussi vu des collègues usés. Quand je suis arrivée dans mon lycée, il y avait une dame, prof d’anglais qui n’y arrivait plus en classe. Elle ne faisait quasiment plus d’anglais en classe, elle n’en pouvait plus. Je ne voulais pas finir comme ça. Elle n’a peut-être pas eu la chance de pouvoir faire autre chose dans sa vie pour se reconvertir. Après quand on est malade de toute façon on n’a plus le choix.
Et il y a des élèves, qui parfois n’aident pas à arranger les choses ! Il y a ceux qui ne font rien, ceux qui sont là pour embêter les profs, ceux qui n’avancent pas… En sixième, ça peut aller encore mais ensuite, dès la cinquième, il y a des élèves vraiment pénibles voire méchants, et ceux-là, on fait avec jusqu’en troisième.
Quelles compétences pensez-vous avoir acquises dans l’enseignement et lesquelles vous semblent transférables dans le cadre d’une reconversion ?
Savoir gérer tout un groupe. C’est pour moi une compétence incontournable que j’utilise toujours aujourd’hui. J’ai ouvert une boutique dédiée au patchwork, à la broderie et aux travaux avec de la laine, et j’ai repris le club de patchwork, il y a trois-quatre ans et à l’occasion des travaux pour la boutique, j’ai pu réaliser à l’étage une salle de cours. J’ai ouvert un créneau aux travaux d’aiguille le lundi soir pour les personnes qui travaillent le reste du temps et qui ne peuvent pas venir le mardi après-midi, et ça fonctionne très bien. Le côté pédagogique me sert pour animer le club, la capacité à savoir transmettre un enseignement.
Maintenant je suis auto-entrepreneuse : la boutique est ouverte du jeudi au samedi (le lundi et le mardi après-midi, j’anime des ateliers et le mercredi reste réservé à mes enfants), et je m’occupe du côté administratif (papiers, comptabilité, etc.) entre deux dès que j’ai un peu de temps, mais ça reste différent de ce que je faisais dans l’enseignement.
Avez-vous suivi un apprentissage, une formation pour vous perfectionner ?
Je fais moi-même du patchwork depuis plus de dix ans, et j’ai pratiqué la couture pendant sept ans auparavant. Il y a deux ans, j’ai appris le crochet seule, je me forme par moi-même et j’ai une très bonne amie également qui m’a enseignée les techniques. Je suis ouverte à toutes les techniques, même si je ne sais pas tout faire et j’essaie un peu tout. Je me rends compte des difficultés. Et finalement, ce n’est pas donné à tout le monde : hier après-midi, j’avais un atelier qui portait sur une technique particulière que j’ai apprise seule, c’est juste du bon sens pour moi alors que les dames qui viennent ont besoin qu’on leur montre tout en détails.
Concrètement, quelles démarches avez-vous mises en place pour vous reconvertir et créer votre entreprise ? Etes-vous en disponibilité ou avez-vous démissionné ?
Tout d’abord, je me suis renseignée sur le statut d’auto-entrepreneur, je suis allée en préfecture, et à des réunions sur le statut, je me suis renseignée sur les lois à respecter pour ouvrir une boutique, la sécurité, et les choses se sont mises en place petit à petit. Le médecin m’a placée en retraite d’invalidité. J’ai eu de la chance : mon mari est très bricoleur, c’est grâce à lui que j’ai pu me reconvertir. Il a fait tous les travaux pendant deux ans. C’était un sacré investissement de temps mais d’argent aussi car après il fallait remplir la boutique. Pour l’instant je ne peux pas en vivre même si ça démarre bien. Heureusement que mon mari a un boulot costaud à côté et que financièrement, on peut s’en sortir sinon ça n’aurait pas été possible. Pour l’instant je ne me paie pas de salaire.
Combien de temps avez-vous consacré à votre projet à côté de l’école ?
Je suis tombée malade, en grosse dépression et je n’ai pas été capable de faire quelque chose avant trois ans et au bout de trois ans, je me suis relevée et j’ai commencé à faire les choses tout doucement, mais je n’étais plus en poste. Cela fait déjà six ans que j’ai quitté l’école mais juste un an que la boutique est ouverte. Mais quand j’étais en poste bien sûr, je faisais déjà du patchwork. C’est quelque chose qui m’a d’ailleurs beaucoup aidée, pour « tenir ». Quand on est occupée avec ses mains, on est obligée de se concentrer sur ce qu’on fait et on ne pense plus au reste, c’est du « patchwork-thérapie ».
Bien sûr, au bout de deux ou trois ans de maladie, je me suis dit qu’il fallait que je trouve une solution pour rester dans l’enseignement mais pas devant les élèves. Je me suis rapprochée du rectorat. J’y ai vu une dame qui me disait qu’on proposait des postes aux enseignants qui avaient de vrais problèmes physiques et qui étaient véritablement empêchés d’exercer leur métier (extinction de voix par exemple), qu’il n’y avait déjà pas assez de postes pour eux, et donc qu’il n’y aurait rien de disponible pour moi. Elle était complètement à côté de la plaque, et je suis sortie de là très en colère, déçue. Je me suis aperçue que je n’avais été qu’un numéro tout au long de ma carrière et que quand on ne peut plus, on n’est plus rien pour l’institution. A coté du rectorat, je me suis rapprochée d’une association d’aide et je suis tombée sur un enseignant en retraite qui n’enseignait plus et qui aidait les profs qui n’en pouvaient plus. Et là j’ai pris conscience que je n’étais pas la seule concernée, on est plus nombreux que ce que je pensais.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ou que vous avez rencontrées dans cette reconversion ?
Ce sont surtout des difficultés d’ordre financier qui apparaissent. Il faut essayer d’économiser de l’argent, de prévoir les travaux, d’anticiper. J’avais la chance d’avoir un local et la chance d’avoir un mari travailleur et bricoleur qui m’a suivie et soutenue car il voyait bien que je ne pouvais pas reprendre. Si on n’a pas une personne à côté pour être aidée, c’est déjà plus difficile.
Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite réaliser une mobilité professionnelle hors de l’enseignement ?
Je leur conseillerai de foncer, et de le faire avant d’être trop atteint, de craquer et d’être malade. Honnêtement, si j’avais pu me passer de ces cinq années-là (de dépression), je l’aurais fait. Un enseignant qui ne se sent pas bien dans son boulot et qui ne s’épanouit pas ne tiendra pas. L’important, c’est de se préserver, et de préparer sa reconversion quand on en a encore les moyens. La décision est difficile à prendre, il faut beaucoup de courage. On a fait des études, on a une place de fonctionnaire, on a un CAPES derrière, ce qui n’est pas rien, ça m’a pris beaucoup de temps mais j’ai fini par accepter la décision grâce à une psychiatre très compétente qui m’a véritablement sauvée la vie ; on peut le vivre comme un échec et se dire qu’on aurait pu faire autre chose dès le début mais heureusement qu’il y a des professionnels qui sont là pour aider et qui aident à prendre la décision. Malgré un mari aimant et des enfants, on peut être tellement mal à un moment, on a tellement mal qu’on veut juste que la souffrance cesse et on n’est pas loin de faire des bêtises. Je n’étais pas loin d’en faire moi-même. Cette décision ne se prend pas en quinze jours ou six mois, il faut que ça fasse son chemin. Même encore maintenant, je le vis come un énorme risque, on avance à l’aveugle et on se dit est-ce qu’on va s’en sortir ? Ca reste angoissant mais si un jour on ne saute pas le pas pour quitter l’Education Nationale, les choses peuvent être bien plus graves. Du coup, c’est très bien de se rendre compte au bout de cinq à six ans qu’on n’est pas fait pour ce métier, avant de tomber malade. J’ai supporté cette atmosphère pourrie dans le collège pendant neuf ans car j’aimais mon métier. J’avais des collègues qui souffraient par ce qu’ils ne savaient pas tenir leur classe, ce n’était pas mon cas. Mais pour ces collègues, mieux vaut partir que s’entêter.
Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur l’école de la République ?
A mon sens, ce n’est pas très glorieux. Il y a plein de choses qui ne fonctionnent pas dans l’école. C’est une institution où les personnes n’ont aucune valeur, ou chacun se réfugie derrière les institutions et cachent les problèmes. Des gens essaient de montrer les problèmes mais on les réduit au silence. C’est une institution difficile à faire évoluer et à essayer de bouger, de changer, d’améliorer. On a l’impression d’être des numéros, la mutation tombe, vous allez là-bas, peu importe ce que cela implique pour votre vie ; on a l’impression d’être dans une énorme machine, il n’y a aucune gestion de l’humain. On a beau pointer les problèmes, rien n’est fait pour améliorer les choses, c’est ce qui fait qu’on craque. Si j’avais pu avoir une aide à un moment donné, avant de craquer, aujourd’hui je serais peut-être encore dans l’enseignement car j’adorais mon métier.
En conclusion : c’est peut-être ça le pire, devoir quitter un métier
qu’on a choisi et aimé.
Son site Internet : http://the-quilters-shop.fr/
Pour la contacter : 03-21-01-55-43 (boutique à Fleurbaix)
Sur le site du Café
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