Vincent Peillon présente le 16 janvier son plan en faveur de l’éducation prioritaire dont les grandes lignes ont été dévoilées lors du conseil des ministres du 15 janvier. Il vise prioritairement à stabiliser les équipes éducatives et à améliorer l’encadrement des élèves. Trente ans après sa fondation, l’éducation prioritaire prend-elle un nouveau tournant ?
« Des mesures d’une ampleur inédite seront prises pour améliorer leurs conditions de travail, leurs rémunérations et leurs perspectives de carrière ». C’est un plan en faveur des enseignants de l’éducation prioritaire que, le 14 janvier, François Hollande a annoncé. Mais le plan Peillon concerne directement les élèves des zones prioritaires. Il prévoit un déploiement en deux phases : la réforme sera « expérimentée » sur une centaine de réseaux à la rentrée 2014 puis étendue à un millier de réseaux dont 350 particulièrement difficiles, à la rentrée 2015.
Pour les enseignants, « la refondation » de l’éducation prioritaire prévoit le doublement des indemnités spécifiques « dans les situations les plus difficiles », ce qui représenterait un millier d’euros supplémentaires par an. Plus intéressant, « les enseignants des 350 réseaux les plus difficiles bénéficieront d’un temps pour se former, travailler en équipe et développer les relations avec l’élève et sa famille ». Il s’agit probablement de la majoration d’1,1 heure par heure de cours prévue par la négociation sur le métier d’enseignant. Chaque enseignant certifié bénéficierait ainsi d’environ 2 heures de décharge par semaine. Ce temps libéré sera « associé à un renforcement de l’accompagnement.. et un grand plan de formation continue ». Le fait d’avoir exercé en éducation prioritaire permettra d’accéder au nouveau GRAF, ce futur grade supérieur à la hors classe. Tout cela vise la stabilisation des équipes éducatives et le développement d’une « culture du collectif ». Mais ces mesures ne concerneront que 100 réseaux en 2014 puis 350 en 2015.
Pour les élèves, le plan prévoit la scolarisation des enfants de moins de 3 ans à hauteur de 30% d’ici 2017. Aujourd’hui les taux sont de 2 et 3% à Créteil et Versailles. C’est dire que cet objectif suppose un effort colossal pour les municipalités. Les autres mesures avaient déjà été annoncées : 7000 enseignants dans les dispositifs « plus de maitres que de classes » d’ici 2017, le développement des « internats de la réussite ». Les collèges bénéficieront d’un renforcement en infirmières et assistants de prévention. Le plan annonce aussi que tous les élèves de 6ème seront pris en charge par des assistants d’éducation jusqu’à 16h30, mais c’est déjà très souvent le cas. Le plan Peillon prévoit enfin que « les réseaux établiront des projets pérennes sur la base des meilleures pratiques recensées dans un référentiel. Les actions pédagogiques les plus innovantes et les l’animation des réseaux feront l’objet d’un financement académique spécifique ». C’est l’idée traditionnelle que l’on peut impulser par en haut l’innovation pédagogique autour d’un répertoire de « bonnes pratiques » à dupliquer.
« Ce plan va dans le bon sens », nous dit Marc Douaire, président de l’Observatoire des zones prioritaires, une association qui regroupe de nombreux enseignants et coordonnateurs des zones prioritaires. « La décharge horaire reconnait que dans ces réseaux le métier d’enseignant comprend autre chose que le face à face pédagogique, qu’il comprend aussi le suivi des élèves, la construction de projets avec les collègues, le suivi des relations avec les associations et les collectivités locales. Cette mesure peut faciliter la stabilisation des équipes beaucoup plus que le doublement de l’indemnité annuelle ». Mais pour qu’elle ait de l’effet , l’OZP demande qu’elle soit complété dès la prochaine rentrée de stages de formation. « On veut aussi un pilotage national par la Dgesco », souligne M Douaire, « avec une relance des Carep », les centre de ressources pour l’éducation prioritaire, tombés en sommeil à de nombreux endroits. C’est poser la question du vivier de formateurs pour animer et accompagner les réseaux. Où les trouver ?
Interrogée par le Café pédagogique, Agnès van Zanten voit dans la mesure phare une occasion intéressante. « La décharge horaire parait justifiée compte tenu des difficultés spécifiques à enseigner en zep », nous dit-elle. « Mais il y a un risque qu’elle soit perçue comme une simple compensation n’impliquant aucun changement dans la façon de faire. Il faut que les équipes soient accompagnées pour tirer profit de ces deux heures de décharge ». Interrogé par le Café, Philippe Meirieu est favorable à la décharge mais a un doute sur l’accompagnement. « Le vivier de formateurs a été vidé sous les ministres précédents et je ne vois dans les rectorats que des cadres très institutionnels et peu sensibles au terrain. Il va falloir recruter et former des référents et coordonnateurs ».
Enseignante en RRS, Laure Etevez est dubitative, d’autant que son collège ne sera probablement pas concerné par la décharge horaire. « Je suis déçue que la question des critères de classement des établissement ne soit jamais mise sur la table. Côté positif, je pense que la priorité donnée au premier degrés est une bonne chose : même si le collège a de nombreux besoins, on sait que beaucoup de choses sont malheureusement déjà jouées en sixième. Je trouve que la question de la scolarisation des moins de trois ans est très importante, pour de nombreux enfants du quartier elle me paraît indispensable. C’est un vrai outil efficace de réduction des inégalités… Il faut stabiliser les équipes effectivement. Sauf que ce que je vois dans mon collège, c’est qu’avec la crainte d’une sortie du dispositif, tout le monde s’en va. L’incertitude est mortelle pour la stabilisation des équipes et les modifications qui se succèdent d’un gouvernement à l’autre inquiètent. Dans mon collège on voit chaque année les moyens se réduire : aujourd’hui, si on arrive encore à maintenir des effectifs à seulement 27 (ce qui nous paraît déjà trop), nous n’avons plus d’heures disponibles pour des dispositifs de soutien, des dédoublement ou pour rémunérer des sorties pédagogique ».
Pour le Snes, « le plan du Ministre ne retient ni la délabellisation de tous les établissements ni la concentration de l’EP sur un tout petit nombre de réseaux, comme le prônaient certains ; il s’approche des propositions que les personnels ont exprimées et que le SNES et la FSU ont portées tout au long de ces derniers mois de concertation », explique le syndicat qui salue positivement la croissance de l’indemnité, le renforcement de la vie scolaire, le temps libéré. Mais le syndicat demande aussi la fin des lettres de mission, de la prime variable et du recrutement local dans les établissements Eclair.
La question du choix des établissements, des 350 dans le millier de réseaux, des 100 dans les 350, va effectivement être le premier obstacle, cruel, sur la route du plan Peillon. Le ministre , qui présente son plan à la presse le 16 janvier, doit également préciser la montée en puissance de ce plan dans un cadre budgétaire qui sera plus contraignant. Un mois après la publication de PISA, qui a mis en évidence un doublement du nombre des élèves faibles en France en dix ans, la République a-t-elle la volonté réelle d’un plan « d’une ampleur inédite » ?
François Jarraud