Par Jeanne-Claire Fumet
Dans le domaine sensible de la philosophie scolaire, la réforme des lycées a introduit n 2011 les « éclairages philosophiques » dans les enseignements traditionnels des classes de première et de seconde. Un bilan publié par l’Inspection Générale, sous la signature du doyen Paul Matthias, retrace l’émergence de ce choix expérimental et dresse le bilan d’une année d’expérimentation. Si les interventions ciblées par les professeurs de philosophie dans d’autres cours présentent l’avantage d’une ouverture accessible sans perte de rigueur, les difficultés d’ordre matériel (organisation horaire, financement), pédagogique (évaluation, adaptation) et disciplinaire (est-ce vraiment de la philosophie?) n’en restent pas moins à résoudre.
« Éclairages philosophiques en amont de la classe terminale »
Les « éclairages philosophiques » consistent en interventions ponctuelles de professeurs de philosophie, par modules de 2 à 12h, dans d’autres disciplines, autant à titre de propédeutique de la philosophie avant la Terminale, que pour mieux saisir les enjeux des autres domaines d’enseignement. Au terme d’une année d’expérimentation, le bilan dressé par Paul Matthias fait état de réussites notables mais aussi d’échecs : manque de clarification ou d’élaboration didactique de l’objet, indétermination des enjeux, désintérêt des élèves pour la proposition… Le rapport préconise quelques principes qui peuvent aider à surmonter en partie ces problèmes, en particulier par l’attention accordée au travail transdisciplinaire en équipes, dans la perspective d’accorder la réflexion avec les données positives des autres enseignements. Une ouverture aux données extérieures concrètes qui rejoint la demande d’une partie des professeurs de philosophie, soucieux d’intégrer des matériaux issus des sciences positives (en particulier des sciences sociales) pour ancrer la réflexion sur le terrain de l’expérience concrète.
De fortes tensions internes
Au sein même du corps professoral, comme le rappelle Paul Matthias, le contexte est tendu : de nombreux professeurs restent attachés à une conception classique de l’enseignement de la philosophie, qui requiert une maturité intellectuelle et un degré de culture minimaux pour s’exercer avec profit. La société civile, à l’inverse, pousse vers une pratique récréative de la philosophie, sous forme d’échanges et de débats au sujet de questions morales familières. La réalité du public des lycées impose de revenir sur des exigences intenables, mais comment y parvenir sans abandonner la rigueur nécessaire à la discipline ? Comment inventer des pratiques accessibles, mais sans compromis, généralisables mais sans perte de la liberté pédagogique du professeur ?
Réguler les pratiques sauvages
L’observation du terrain a permis de recenser les expériences les plus variées : pratique exclusive de la maïeutique, priorité donnée à l’histoire des idées, travail sur des objets non philosophiques (cinéma) en vue d’une élaboration conceptuelle, analyse de situations banales pour approcher les notions, lectures philosophiques guidées ou enfin, approches pluridisciplinaires de questions générales dans lesquelles l’éclairage épistémologique de la philosophie vient s’ajouter aux autres regards. C’est ce dernier modèle qui a reçu l’assentiment de la commission d’étude, moyennant quelques corrections – le rapport lui épargnant l’ironie qui disqualifie les autres formes d’expérience dans leur recension. C’est donc une expérimentation ciblée sur ce modèle qui a été choisie, en vue de réguler les pratiques « sauvages » sans tarir l’inventivité du terrain, grâce à des critères rigoureux mais non coercitifs.
L’appel à une compétence accrue
L’Inspection a choisi d’éviter d’imposer un programme strict, au profit de la recherche d’objectifs pédagogiques et didactiques précis, adaptés à de jeunes élèves, adaptables aux contenus des autres disciplines (sciences, littérature, histoire, géographie…). Les interventions ciblées s’inscrivant dans le cadre de projets interdisciplinaires, ont mis en évidence des problèmes d’ajustement avec les disciplines « d’accueil » : le risque d’un « saupoudrage », d’un « délayage » ou d’un « éparpillement » du regard philosophique est pointé, rappelant que de telles interventions exigent une extrême rigueur et une grande précision de la part du professeur de philosophie qui intervient.
Des préconisations ouvertes
Au titre des préconisations de l’IG, on retiendra le choix du maintien du caractère optionnel de ces enseignements avant la Terminale, pour des « projets » volontaires de la part des intervenants, avec une validation non notée des acquis des élèves. L’IG souligne d’autre part l’importance de se référer à la circulaire de 2011 pour éviter les risques d’empiétement sur l’ECJS et l’enseignement spécifique en classe Terminale. Enfin, l’accent est mis sur la coopération des professeurs volontaires avec l’Inspection et le développement de l’interdisciplinarité (plutôt que de la « pluridisciplinarité ») par un travail commun avec les collègues des autres domaines.
Il est probable que c’est par la voie de cette réflexion impliquée dans l’activité même de l’enseignement de la philosophie que pourront s’opérer les ajustements et les évolutions nécessaires à son maintien au lycée dans de bonnes conditions, sans perdre ni ses exigences intrinsèques, ni l’écoute de son public scolaire.
Le rapport de Paul Matthias :
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/70/7[…]
La circulaire du 3 mars 2011 portant appel à projets :
http://www.education.gouv.fr/cid55161/mene1100064c.html
Les pratiques alternatives éclosent plus dru que jamais, en cette fin de rentrée 2013. Impossible de reprocher encore à la philosophie sa hiératique dignité de discipline classique, au vu des chantiers, ateliers, animations, goûters et autres découvertes guidées qu’en proposent ses adeptes novateurs. L’occasion d’en découvrir un large panel s’offre à tous les publics, spécialisés ou profanes, lors des Rencontres annuelles des Nouvelles Pratiques Philosophiques, organisées par Philolab à l’Unesco, les 26 et 27 novembre 2013.
Journée mondiale à l’UNESCO
Les NPP de Philolab, organisées à l’UNESCO à l’occasion de la journée mondiale de la philosophie, sont devenues un rendez-vous traditionnel pour les curieux de philosophie hors-sol : comment faire passer le travail de réflexion autrement que par les antiennes de l’étude scolaire traditionnelle ? On y retrouvera cette année, autour de Michel Tozzi et d’Edwige Chirouter (coordonnatrice des Rencontres), Nathalie Frieden, Véronique Delille, Marianne Remacle, Claire de Chessé, mais aussi
Raphaël Enthoven, pour un regard sur les Actualités de la philosophie dans la Cité, ou encore Laurence Loeffel (auteur du rapport sur l’enseignement de la morale laïque), confrontée à M. Gagnon (Québec), M. Coppens (Belgique) et A. Rota (Suisse), ainsi qu’Olivier Pourriol pour une séance de Ciné-philo dédiée au « sens de la famille ».
Publications pour petits et grands
Côté publication, le très sympathique magazine belge de philosophie pour enfants, Philéas et Autobule, viendra présenter ses dernières publications, ainsi que Jean-Paul Mongin, auteur des Petits Platons, qui participera à un atelier de démonstration avec des élèves de 5ème. Un public plus spécialisé retrouvera avec intérêt la revue de didactique de la philosophie Diotime, dirigée par Michel Tozzi. Le n°58, qui vient de paraître, présente entre autres un article de J.-C. Pettier et A. Salzemann sur le cas des enfants intellectuellement précoces au collège.
Les chantiers de Philolab
À partir de 5 « chantiers » de recherche, Philo-formation, Philo-école, Philo-soin, Arts-philo et philo-travail, les NPP explorent les interstices de la société souffrant d’un déficit d’âme et de pensée. Catalyseur de nombreux courants, l’événement annuel a déjà porté la voix de mouvements de recherches ou de pratiques de terrain peu soutenus par les institutions.
Autres pratiques en d’autres lieux
Parmi eux, les enseignantes Isabelle Duflocq et Pascaline Dogliani, initiatrices d’ateliers philo en classes maternelles (on se souvient de les avoir vues à l’œuvre dans le film « Ce n’est qu’un début » ), poursuivent leur aventure en proposant une mallette pédagogique complète pour guider les collègues. Avec le soutien des éditions Bayard Éducation, elles s’appuient sur les P’tits Philosophes de Pomme d’Api pour illustrer la démarche pédagogique issue de leur expérience. En partant des questions qui traversent l’esprit des très jeunes élèves, elles proposent des repères pour un travail méthodique d’élaboration raisonnée.
Participante régulière des NPP, Véronique Delille développe, au Mémorial de la Shoah, un atelier de réflexion philosophique pour les élèves de la troisième à la terminale, « Déjouer les pièges de la pensée ». Après une visite du Musée et l’analyse de documents, l’atelier permet aux élèves d’engager un dialogue construit autour d’une question choisie. Pour sa conceptrice et animatrice, Véronique Delille, formatrice en philosophie, il s’agit de mettre en œuvre quelques outils de réflexion critique pour repérer et éviter les mécanismes de pensée qui mènent aux stéréotypes et aux préjugés.
À la croisée de ces différentes approches de la philosophie et de son enseignement, on en redécouvrira une qualité parfois oubliée : qu’elle n’est ni un corps de doctrine, ni un dogme définitif, mais un effort constant de la pensée pour élaborer le sens des données contingentes de notre expérience.
À la croisée de ces différentes approches de la philosophie et de son enseignement, on en redécouvrira une qualité parfois oubliée : qu’elle n’est ni un corps de doctrine, ni un dogme définitif, mais un effort constant de la pensée pour élaborer le sens des données contingentes de notre expérience.
Programme et inscription à la 13ème édition des NPP :
http://rencontrespratiquesphilo.unblog.fr/
La revue Diotime :
http://www.educ-revues.fr/diotime/
La mallette pédagogique d’Isabelle Duflocq :
http://www.bayardeducation.com/article/nouveau-une-mallette[…]
L’atelier du Mémorial de la Shoah :
http://www.memorialdelashoah.org/index.php/fr/pedagogie-fo[…]
Le programme des cours interactifs de philosophie du Projet Europe, Éducation, École, conduit par Czeslaw MICHALEWSKI, Professeur de philosophie au lycée Jean-Pierre Vernant :
L’indicible, par Gaëtan DEMULIER, Professeur en CPGE au Lycée Hoche, à Versailles,
http://www.coin-philo.net/eee.13-14.docs/indicible_gdemulier.pdf
La paresse, par Marie-France
http://www.dailymotion.com/video/x15smh7_la-paresse-marie-fran[…]
Prochaines conférences :
« La valeur, c’est la réalité », Whitehead, par Jean DEVOS, Professeur de philosophie en classe de Première Supérieure au Lycée militaire de Saint-Cyr le 14 novembre de 10h à 12h.
Devoir et société : explication d’un texte de Bergson, par Didier GUIMBAIL, Professeur en Classes Préparatoires au Lycée La Bruyère, à Versailles, le 14 novembre de 14h à 16h.
BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion, ch. 1, pp.1-2, PUF
Le programme prévisionnel des séances suivantes est à consulter à l’adresse :
http://www.coin-philo.net/eee.13-14.prog.php
Pour participer à la visioconférence :
http://melies.ac-versailles.fr/projet-europe/visio/
Des ressources en ligne, des informations, des documents officiels à consulter
Sur le site de l’Académie d’Amiens :
http://philosophie.ac-amiens.fr/
Sur le site de l’Académie de Grenoble :
http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/
Sur le site de l’Académie de Nantes :
http://www.pedagogie.ac-nantes.fr/57995593/0/fiche___pagelibre/
Et sur le site de l’Académie de Créteil :
http://philosophie.ac-creteil.fr/
La Cité des sciences et de l’industrie propose une Journée spéciale pour les élèves de Classes préparatoires, le Samedi 1er février 2014 de 14h à 17h :
Le temps vécu
Programme proposé en partenariat avec le Collège International de philosophie.
Accès gratuit sur inscription pour les groupes à conferences@universcience.fr
Téléphone : 01 40 05 70 22
Cité des sciences et de l’industrie – Auditorium, niveau 0 – 30, avenue Corentin Cariou 75019 Paris
Métro : Porte de la Villette (ligne 7)
Semaine de la POP Philo à Marseille
Après Bruxelles, la Pop Philo se déchaîne à Marseille pour une semaine au programme éclectique et séduisant :
Sommes-nous dans un nouveau « moment » philosophique ? avec Frédéric Worms, Françoise Gaillard, Francesco Masci et Eric Aeshimann. Les 30 glorieuses au miroir des tontons flingueurs, avec Olivier Coq. Métaphysique de la clope, avec Guillaume Pigeard de Gurbert . La pop philosophie n’existe pas, avec Francesco Masci. Tintin au pays de l’ordre, avec Jean-Marc Terrasse.
Noise music philosophie, La Grammaire des forces musicales : le Noise. Avec Boyan Manchev et Mathieu Potte-Bonneville. Bambi n’a pas de trou du cul – Une introduction critique au monde merveilleux de Walt Disney, Avec Françoise Gaillard. Gaston lagaffe philosophe, avec Pierre Ansay.
La playlist des philosophes, Avec Marianne Chaillan (philosophe). Philo-clubbing : Je pense donc je jouis, avec Francis Métivier (philosophe). Naissance de la femme, avec Didier Nourrisson.
Dieu et l’image : Du veau d’or à Pierre et Gilles, Avec Odon Vallet , etc.
Consulter le programme :
http://www.semainedelapopphilosophie.fr/programme-spp5/marseille/
Réservation / Information :
par mail : contact@lesrencontresplacepublique.fr
par téléphone : (+33) 4 91 90 08 55
Pour la Nuit de la Pop Philosophie au Théâtre National de Marseille – la Criée 04 91 54 70 54
(12? plein tarif/ 9? tarif jeune / 8? tarif réduit)
Sur le site du Café
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