Entre l’Ecole et les familles qui domine qui ? Comment évoluent les demandes des parents envers l’Ecole ? Partout leur pression semble se renforcer sur le système éducatif au point que certains évoquent un risque de prise de contrôle de l’Ecole par les parents. En même temps, pour certains médias ce sont des parents démissionnaires qui fragiliseraient l’Ecole. Enfin doit-on parler d’influence croissante des parents ou de certains parents tant le rapport à l’Ecole varie selon les inégalités sociales et culturelles. Pour traiter ces questions, la Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°62, fait appel à Florence Robine, rectrice de Créteil, et à Xavier Pons, chercheur à l’OSC Sciences Po.
La revue propose des synthèses sur les attentes des familles dans des contextes différents : en France mais aussi au Japon, au Brésil et en Angleterre où se met en place un nouveau modèle néo-libéral. Plusieurs articles évoquent « l’éducation parallèle » qui se met en place à Berlin, en Europe, en Belgique. Enfin la revue interroge les attentes des familles populaires en France et au Maroc. Elle dresse ainsi un paysage contrasté à l’échelle de la planète, ce qui est l’originalité et la force de la Revue de Sèvres. Réunis par le Café pédagogique, Florence Robine et Xavier Pons font le point sur les apports de ce numéro.
En France traditionnellement l’Ecole s’est construite contre les parents. Elle leur reconnaît peu d’influence. Qui s’intéresse vraiment à leur place en dehors de vous ?
F Robine : Bien au contraire, la question de la place des parents, de la co-éducation, est au coeur de la refondation de l’Ecole. C’est bien ce que montre ce numéro.
X. Pons : Peu d’acteurs refusent le fait que les parents aient un rôle à jouer à l’Ecole. Sur ce point il y a un consensus. Le débat porte plutôt sur les formes de participation.
Il y a des pays où les parents ont un réel pouvoir dans l’Ecole ?
X Pons : Il y a des pays où les parents ont des droits supplémentaires. Ce que je trouve intéressant c’est que la liberté des parents n’est pas forcément là où l’on croit. Certes ils ont obtenu une liberté de choix de l’établissement et certains auteurs parlent de « parentocratie ». Or l’article sur l’Angleterre par exemple, montre qu’ils ont été domestiqués sur le modèle des parents blancs de classe moyenne pour leurs attentes éducatives.
F Robine : L’article sur les Etats-Unis montre que la libéralisation du marché éducatif et lamise en concurrence des établissements scolaires favorise la prise de contrôle d’un certain type de familles et aux établissements très demandés qui fixent les critères des « bons parents », c’est à dire appartenant à une certaine classe sociale.
On nous présente souvent les parents comme démissionnaires. La revue partage ce point de vue ?
F Robine : La plus grande surprise de ce numéro c’est que nos analyses montrent que ces catégories, les parents démissionnaires ou consommateurs, ne sont pas usuelles. En réalité les articles sur la France , la Suisse montrent que les parents, y compris dans les classes populaires, sont très investis dans la réussite éducative de leur enfant mais ont des rapports différents avec l’Ecole.
X Pons : Par exemple en Suisse, l’article montre le malentendu qui existe avec les familles populaires de Genève qui considèrent que l’éducation est très importante mais qui réagissent peu aux interpellations des enseignants parce qu’elles ont une sensibilité à fleur de peau. C’est vu comme un défaut d’investissement alors que c’est le contraire.
F Robine : Sur le terrain j’ai moi-même constaté dans un établissement où les enseignants se plaignaient du manque d’intérêt des parents l’extrême sensibilité d’une mère qui était convoquée par l’établissement pour des faits d’absentéisme. Elle a expliqué ses difficultés à communiquer avec une institution dont elle ne comprenait pas les demandes.
N’y a-t-il pas une contradiction dans vos propos ? Vous parlez de parents très investis mais qui sont dominés par le système éducatif. Ne sont-ils pas dupés par l’Ecole ?
F Robine : Je ne vois pas de contradiction. Et je réfute le terme de dupe car il n’y a aucune volonté de tromperie. On est face à deux mondes qui n’ont pas les mêmes codes de communication et qui ne réussissent pas à construire un projet commun. Il y a un leurre mutuel et une incompréhension.
X Pons : Des familles n’ont pas les codes de l’Ecole. Ce problème est d’autant plus vif que les attentes des familles envers l’Ecole sont élevées. Par exemple, dans la revue, les articles sur la France et la Suisse montrent que les parents ne comprennent pas les méthodes pédagogiques mises en oeuvre. Il y a un décalage entre les attentes de ces classes moyennes et populaires sur ce qu’elles jugent bon pour leurs enfants et ce que l’Ecole fait.
Les nouvelles technologies peuvent-elles réduire ce fossé d’incompréhension ?
X Pons : Spontanément je dirais que les TICE ne sont qu’un outil. Dans son article sur la Belgique, la revue analyse l’exemple des « Cités de l’éducation » où le dispositif repose sur des jeux classiques et une peluche offerte à chaque enfant. L’attachement de l’enfant à cette peluche qui est mise en action dans les supports pédagogiques rend le dispositif efficace. Pas besoin de nouvelles technologies. Les TICE ne dispensent pas du dialogue avec les familles.
F Robine : Il y a en fait deux choses. Avec les TICE les familles peuvent communiquer avec les établissements plus facilement pour accéder aux absences et aux notes. Mais je partage le point de vue de Xavier Pons. S’il n’y a pas en amont la construction d’une co-éducation on peut mettre tous les outils que l’on veut rien ne change. Les TICE peuvent juste favoriser el dialogue.
Il y a un autre aspect : les TICE comme instruments de transmission du savoir sont de plus en plus utilisées dans l’éducation parallèle, celle que les familles constituent spontanément quand elles ne trouvent pas ce qu’elles veulent dans l’Ecole. Ca déstructure la relation au savoir et interroge le rapport entre savoir et école. Ca explique pourquoi le numérique progresse plus vite en dehors de l’Ecole qu’en dedans.
La co-éducation est-elle naturelle dans certains pays ?
F Robine : La question du rapport des familles à l’école est en lien avec le développement impressionnant de l’éducation parallèle. Or on montre que c’est un effet miroir des systèmes éducatifs. Si on regarde l’Europe, dans les pays où il y a une relation de confiance avec l’Ecole on a peu recours à l’éducation parallèle.
X Pons : L’article sur les Cités de l’éducation montre que la co-éducation ce n’est pas co enseigner, co-gérer l’ Ecole et ce n’est pas éduquer les familles. C’est difficile. L’article sur le Brésil montre comment le rapport à l’Ecole peut s’inverser. En France on se plaint que l’Ecole ne voit dans l’enfant qu’un élève. Au Brésil les parents se plaignent plutôt du contraire. Un rapport très paternaliste s’est institué entre l’Ecole et les parents. Ce paternalisme fait du mal au programme éducatif.
Les nouvelles écoles ouvertes par les parents, par exemple en Angleterre ou aux Etats-Unis, ne sont-elles pas en train de faire évoluer les systèmes éducatifs ?
X Pons : certains chercheurs le pensent et disent qu’on entre dans un 3ème âge, celui de la parentocratie. En même temps la régulation par l’Etat, même dans des fédérations, se renforce. Il est difficile de savoir si on va vers ça.
Quand on est rectrice comment a-t-on des contacts avec les familles ?
On passe par les associations de parents. Mais on connait aussi leurs difficultés de représentativité. On voit émerger des collectifs de parents qui deviennent des interlocuteurs. La relation passe aussi par les établissements. On voit comment elle s’étiole au fur et à mesure que l’enfant grandit. Elle est forte à l’école et faible au lycée. C’est un souci et l’enseignement en souffre.
X Pons : Une des choses que l’on a découverte aussi dans ce numéro c’est que le lien école famille est façonné par le système scolaire, il ne dépend pas uniquement d’évolutions sociétales et culturelles comme l’individualisme. Si les parents ont des attentes s’ils se tournent vers le privé par exemple, c’est pas forcément parce qu’ils adhèrent à un contre programme éducatif mais parce qu’ils pensent y trouver un cadre éducatif plus adapté. Ces parents qui créent des écoles ne se développeront pas si l’Ecole est à l’écoute.
F Robine : Finalement l’Ecole a les parents qu’elle suscite. Leur investissement dépend de la place que leur reconnaît l’Ecole.
Mais les parents ne sont-ils pas en train de faire éclater sociologiquement l’Ecole ?
X Pons : La ségrégation scolaire contribue à la croissance de la ségrégation sociale. On a du mal à réguler les « Ecoles de la Périphérie ». Sur ce terrain les palmarès que la presse publie trouvent un écho auprès des parents. Mais on peut démontrer que tous les parents ne sont pas dans la recherche de la performance. C’est pour cela que la diffusion des palmarès est un acte politique. Cela favorise un certain type de familles seulement. La ségrégation scolaire n’est pas que le fruit des stratégies scolaires des familles.
Propos recueillis par François Jarraud
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