Le ministère publie aujourd’hui les chiffres du bac 2013. Prenons les devants pour avancer des données que le ministère ne mettra peut-être pas en avant. Après l’année record de 2012, 2013 devrait être l’année du retour à la normale. Cela se traduira par un pourcentage de reçus dans une génération en baisse. Pour autant, les candidats ont moins de soucis à se faire. Incohérence ? Pas vraiment…
Depuis des mois, le bruit circule. 2013 pourrait être l’année de l’hécatombe. Mal préparés, les candidats au bac 2013 pourraient faire les frais des nouvelles épreuves qui résultent de la réforme du lycée général. Le taux de réussite au bac pourrait chuter de façon drastique.
A coup sûr, 2013 ne reverra pas les taux record de 2012. Car, pour sa dernière année comme ministre, Luc Chatel est parti sur un apparent succès. En 2012, 77% des jeunes d’une génération ont obtenu la bac, soit 5% de plus qu’en 2011 et 12 % de plus qu’en 2010. Immobile depuis le milieu des années 1990, le pourcentage de bacheliers dans une génération est reparti à la hausse. Le taux extraordinaire de 2012 pouvait passer pour un succès des réformes de Luc Chatel.
Et ce taux n’a aucune chance de se reproduire en 2013. Mais pour autant ce ne sera pas un échec pour Vincent Peillon. En effet le succès de 2012 s’explique par la cohabitation de deux générations au bac professionnel, des élèves préparés en 4 ans et d’autres venus du bac en 3 ans imaginé par L. Chatel. Résultat : 40 000 bacheliers professionnels de plus en 2012 avec l’effet sur le taux dans la génération que l’on vient de décrire. Au bac 2013, il ne devrait plus rester de candidats au bac professionnel en 4 ans. Le gonflage des statistiques devrait disparaitre et le taux de bacheliers dans une génération rejoindre le taux moyen des 20 dernières années.
Et l’on va retrouver les bonnes vieilles inégalités du bac. Inégalités entre les filières. En 2012, 89% des candidats au bac général ont été reçus contre 78% seulement des bacs professionnels. Car le paradoxe c’est que si la réforme Chatel a poussé plus de jeunes vers le bac, le passage de 4 années de préparation à 3 années seulement a aussi rendu le diplôme inaccessible à une partie des jeunes. La montée du taux d’accès au bac camouflait un échec croissant des candidats au bac pro : 87% de reçus en 2009, seulement 78% en 2012.
Les inégalités sont aussi sociales. 92% des enfants de cadres obtiennent le bac contre 83% des enfants d’ouvriers et 78% des enfants d’inactifs. Mais ces chiffres ministériels sont à nuancer. Le taux de réussite des enfants d’ouvriers est gonflé parce que ces statistiques ne portent que sur les candidats au bac. Mais plus d’un jeune sur quatre n’accède pas à une terminale. Et ces jeunes-là viennent des milieux populaires. Enfin la composition sociale varie énormément selon les filières. Si un jeune sur cinq vient d’un milieu populaire en série générale, c’est plus d’un sur deux en bac pro.
Et le fameux bruit ? Certes les enseignants ont eu du mal avec les nouveaux programmes. Ils se sont plaints d’un accompagnement insuffisant, de l’absence de sujets zéros ou de consignes claires. Et dans certains cas ils ont obtenu des allègements… pour le bac 2014. Mais ces difficultés devraient être parées par les consignes données aux correcteurs. Le bac c’est aussi le moment de la bienveillance.
François Jarraud
Le Kit de survie du bac
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/bb13_Accueil.aspx
Particulièrement craint, admiré, redouté aussi bien des élèves, des enseignants, des parents, mais aussi des ministres, le baccalauréat est « intouchable » ! Un texte récent sur la fraude aux examens et en particulier au baccalauréat montre bien qu’il s’agit d’un exercice que l’on peut qualifier de « canonique » tant chaque velléité d’en transformer tel ou tel aspect semble un sujet à grave discorde. On ne rappellera pas les récentes querelles, on signalera simplement que la refondation de l’école à simplement évité d’aborder la question, comme si le pilier central de la fondation était posé là, immuable… Or arrive un nouveau contexte qui interroge la pertinence de cet examen et de sa forme de passation dont le modèle ne peut qu’être mis en cause compte tenu du contexte social, éducatif et technologique actuel en regard d’un examen issu de l’époque napoléonienne.
Signalons d’abord qu’il n’y a pas un baccalauréat, mais plusieurs. Quand on parle du bac, on parle surtout de celui des série « classiques », S, L et ES (antérieurement A B C D…. Mais il y aussi les autres sections, technologiques et professionnelles qui depuis longtemps ont ouvert à de nouvelles formes. Mais le baccalauréat classique, lui, semble rester figé. En réalité ce n’est pas tout à fait le cas, mais les récentes tentatives de modification de l’épreuve d’histoire géographie pour la section S ont montré qu’il y avait eu des changements mais qu’il y avait encore de nombreux freins. Rappelons ici les épreuves anticipées, les épreuves expérimentales (physiques) les options (dont math et informatique en 1ère L, bizarrement supprimée il y a deux ans) et bien sûr l’épreuve anticipée de français, la plus ancienne (puisque mise en place après 1968). Rappelons aussi l’arrivée de la calculatrice en lieu et place de la règle à calculer et des tables de logarithmes. Si évolution il y a c’est en bordure de ce qu’il convient d’appeler « le grand titre initiatique français des élites ».
Or ce rite souffre du numérique et d’Internet. D’abord par le copier coller et la communication qu’il facilite, à l’insu même de surveillants confrontés à la multiplication des terminaux portables connectés. Ensuite parce que l’usage d’Internet et du numérique va à l’encontre de la forme d’apprentissage sous jacente aux épreuves traditionnelles fondées surtout sur la mémorisation et la restitution écrite papier. Nombre de sujet, même de matières non concernées, ont vu inscrit en en-tête cette phrase magique : « calculatrice interdite ». Enfin parce que le rapport aux savoirs et la maîtrise de ses usages ne se mesure pas en quelques jours en fin de scolarité sur la base d’épreuves sommaires (par sondage) qui ne rendent pas compte de ce que sait l’élève, mais, et encore cela mériterait vérification, le « niveau » de celui-ci en regard des exigences de la nation.
Ainsi le côté mythique des examens de certification en France, le baccalauréat en particulier, l’emporte sur la nécessité de concevoir de nouvelles manières de penser ce qu’est un élève « bien formé » à 18 ans (âge habituel de passage de l’épreuve) et disponible pour une suite d’étude. Or les usages importants du numérique dans la vie quotidienne et les incitations répétées des politiques à l’égard de l’introduction des TIC en éducation ne sont que peu prises en compte (hormis pour quelques épreuves dans des disciplines spécifiques) dans ces épreuves « terminales ». Dans la circulaire d’avril 2012 sur la préparation des examens il est écrit « L’incident sans précédent qui a entaché la session 2011 du baccalauréat a fait apparaître que des risques nouveaux remettaient en cause les précautions traditionnellement prises pour assurer la sécurité de l’examen ; ces risques résultent, en particulier, des moyens techniques et des réseaux de communication développés ces dernières années. » On constate, dans le compte rendu des épreuves de 2012 que « L’utilisation des nouvelles technologies (smartphones, calculatrices, oreillette, MP3, montre téléphone) pour 166 candidats sur les 419. » est à l’origine des fraudes sanctionnées. » Ceci amène le ministère à installer de plus en plus de détecteurs de téléphones portables dans les centres d’examen.
On peut penser que l’évolution des pratiques doit être considérée comme un indicateur : celui de certaines formes d’évaluation, directement issues de certaines formes d’enseignement, en particulier celles basées sur le cumulatif, le magistral, l’individuel, la mémorisation. Cela va probablement prendre du temps. Cependant il existe depuis longtemps d’autres formes d’évaluation, en particulier en cours d’apprentissage et basées, non pas sur l’actuel CCF, mais bien davantage sur l’accompagnement de ceux qui apprennent. Mais ces modalités d’évaluation sont souvent suspectées d’être insuffisamment précises et objectives. Chacun le sait la note n’a d’objectif que le symbole qu’elle représente : celui d’une décision prise par un ou plusieurs individus dont les fondements sont souvent discutables et aléatoires comme l’a montré la docimologie depuis longtemps. De plus, dès lors que le numérique entre en scène, les nouvelles pratiques peuvent devenir inquiétante par la lourdeur des dispositifs, comme le B2i, le socle commun, le portfolio numérique l’ont illustré chacun à leur manière.
Car ce qui caractérise les examens traditionnels et le baccalauréat c’est l’industrialisation de l’épreuve dans une perspective égalitariste (rappelons que l’égalité est censée être au coeur des processus d’évaluation actuelle). Cela s’oppose aux formes plus individualisées et suspectes, dans l’exactitude, sur le plan de l’égalité des chances. L’exemple de l’apprentissage en alternance est une illustration fréquente de ce dilemme (ceux qui le connaissent de l’intérieur le vivent souvent). L’arrivée du numérique pourrait apporter dans ce sens sa capacité à gérer des systèmes questions réponses de manière automatisée. Il faudrait alors transformer l’épreuve en un vaste questionnaire à choix multiple intelligent, comme par exemple la médecine l’a mis en place pour la sélection de fin de première année depuis de nombreuses années. On aurait là l’apport industriel du numérique.
Mais ce qui trouble le débat, c’est que les objets numériques, matériels, logiciels, documents, sont peu « contrôlable » et que le principe même de l’examen du baccalauréat, c’est le « contrôle des connaissances« . La multiplication des smartphones connectés à Internet décuple les possibilités de contourner ce contrôle et cela risque de tenter des candidats, d’où les injonctions ministérielles. Certains pays, certains lieux d’enseignement essaient l’autorisation, voire l’obligation de l’accès à Internet pour la vérification des connaissances. Cela transforme radicalement la nature des épreuves à défaut de modifier la structure fondamentale de l’examen (qui souvent disparait). A coté du risque qu’il y a à ouvrir cet accès avec l’écueil du copier coller, il y a aussi l’écueil de l’aide à distance par un tiers. D’un coté c’est le contenu qui est mis en cause, de l’autre c’est le fait qu’il faut évaluer le candidat séparément des autres. Deux paramètres principaux sont mis à mal. Imaginer que le numérique puisse entrer dans une épreuve telle que le baccalauréat pourrait se faire en levant la première barrière (tête bien faite plutôt que tête bien pleine)et en construisant des épreuves avec document. Pour la deuxième, c’est l’idée de l’évaluation impossible du travail collaboratif. On a tous du mal à imaginer comment évaluer l’individu s’il n’est pas seul. Or la vie quotidienne, personnelle et professionnelle, est une vie en groupe, en société. Nombre d’activités se développent de manière collaborative (nos ancêtres chassaient et cultivaient ainsi dans des systèmes d’entr’aime). L’exemple des TPE illustre bien cette difficulté. Avec les outils numériques, le travail collaboratif et collectif revient de plus en plus souvent sur le devant de la scène. Comment imaginer une épreuve collective, collaborative dans le contexte actuel ?
Si pour l’instant la forme des examens scolaires est restée la plupart du temps fondée sur le même principe, l’édifice ne cesse de s’effriter depuis près de quarante années (rappelons ici la création des Bac pro). Les moyens numériques ouvrent de nouvelles brèches dans cette orthodoxie de l’évaluation terminale, solitaire et basée principalement sur un sondage dans les connaissances étudiées et mémorisées. Ce n’est probablement pas l’épreuve qu’il faut modifier dans sa forme, c’est l’ensemble du processus évaluatif en lien avec les modalités d’enseignements qui y sont rattachées qu’il convient d’examiner et de faire évoluer. L’ampleur du chantier peut rebuter plus d’un ministre. Mais il reste un pilier fort de nos sociétés occidentales contemporaines qui freine ces évolutions : c’est l’idée centrale de « réussite individuelle ». De l’élitisme républicain au libéralisme total, c’est l’individu qui prime. Le baccalauréat, dans sa forme mythique illustre bien cette idée. Les pratiques numériques révèlent une autre vision des choses, (illustré par les mythes fondateurs du réseau) davantage centrées sur le partage et la communauté. Cette opposition théorique se traduit dans la réalité par une tension que l’on perçoit comme en évolution. Pour l’instant le système est suffisamment en place pour ne pas laisser passer une forme de dérive. Pourtant le travail mené, en particulier dans l’enseignement supérieur, sur les modes d’évaluation pourrait bien, à terme, rejaillir sur le sacro-saint baccalauréat classique : porte d’entrée « magique » pour la poursuite des études.
Bruno Devauchelle
Les chroniques de Bruno Devauchelle
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2012_BDevauchelle.aspx
Que veut dire 80% d’une classe d’âge au bac ? Claude Lelièvre revient sur les paroles de l’auteur de la formule, JP Chevènement. L’objectif fixé par l’ancien ministre est atteint. Mais les 80% de diplômés dans une génération n’ont été frôlés qu’une seule fois en 2012. En 2013, ce ne sera plus qu’un souvenir…
Certains soutiennent que l’on est en train d’y parvenir. D’autres affirment que cela a déjà eu lieu à l’horizon 2000, comme il était prévu. La solution dépend d’abord du sens que l’on peut attribuer à l’expression pourtant bien connue de « 80% d’une classe d’âge au niveau bac », qui n’est pas d’une clarté évidente.
Le mieux est sans doute de s’en remettre à son principal promoteur, à savoir Jean-Pierre Chevènement, d’autant qu’il s’en est longuement expliqué (avec des attendus quelque peu surprenants d’ailleurs) lors de son audition par la Commission Thélot le 28 janvier 2004.
« L’objectif que je me suis donné a été d’amener une plus forte proportion de jeunes à poursuivre leurs études. La formulation que j’en ai donnée n’était pas excellente, car elle a introduit beaucoup de confusions. 80% au niveau du bac, ça n’était pas 80% au bac. Or j’observe que même Claude Allègre, qui était le conseiller de Lionel Jospin avant d’être ministre de l’Education nationale, fait cette confusion et croit que j’ai donné cet objectif. Non, j’ai dit 80% au niveau du bac. J’y suis souvent revenu par la suite, mais sans me faire vraiment comprendre parce que « au niveau du bac », c’est quelque chose que les gens ne comprennent pas. Cela veut dire en fait à 18 ans en terminale, et puis, réussisse qui pourra. Je n’étais pas partisan de l’abaissement des critères d’exigence au niveau du baccalauréat, mais je constate que mes successeurs, ou plus exactement l’administration, peut-être avec leur aval, inconsciemment peut-être, a assoupli constamment le niveau d’exigence, de sorte que le bac a été donné non plus à 50% de ceux qui s’y présentaient mais progressivement à 60-70%, peut-être même davantage. Donc on a assisté à un phénomène curieux, c’est qu’à la fois il y a eu un flot croissant de jeunes qui, comme je le souhaitais, poursuivaient leurs études, et en même temps le bac a été octroyé plus généreusement. Donc il y a eu un télescopage, que j’ai observé. Je m’en suis désolé parce que je crois que c’est une confusion qui s’est introduite dans l’esprit de ceux qui étaient les gestionnaires du système éducatif »
Et dès l’an 2000, il y a bien eu (comme l’avait envisagé Jean-Pierre Chevènement) 80% d’une classe d’âge « au niveau bac » (le taux de reçus au bac atteignant -par ailleurs- lui aussi 80% cette année là, un taux inimaginable pour Jean-Pierre Chevènement).
Claude Lelièvre
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