La « banalité du mal », évoquée par la philosophe Hannah lors du procès d’Adolf Eichmann, à Jérusalem, en 1961, est dans toutes les mémoires. Mais que voulait-elle dire et pourquoi son propos a-t-il suscité une si violente controverse, à l’époque, et encore vive aujourd’hui ? Le film de Margarethe Von Trotta, Hannah Arendt, avec Barbara Sukowa (sortie le 24 avril) est centré sur cet épisode de la carrière de la philosophe. Déjouant les pièges d’une biographie romancée, l’auteur campe son héroïne au centre du contexte historique, idéologique et philosophique très particulier de son temps. Rien de mièvre dans le portrait de la théoricienne du totalitarisme, mais une vision frappante du décalage entre mémoire et histoire, analyse rationnelle et sentiment d’injustice, compréhension intellectuelle et réparation morale. Pour faciliter l’utilisation pédagogique de ce film en classe, l’Agence Zéro de Conduite propose un dossier pluridisciplinaire téléchargeable. Une incitation à établir des liens entre les classes de Première et de Terminale, dans les cours d’Histoire, de Philosophie et d’Allemand.
Mettre en spectacle le visage du nazisme.
Le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem, en 1961, s’ouvre comme la promesse de donner enfin un visage à la monstruosité du nazisme. Capturé en Argentine par les services secrets israéliens, il doit servir de figure emblématique de l’Ennemi du peuple Juif, dans l’émergence d’une conscience mémorielle naissante. L’État d’Israël se construit dans la douleur, son premier ministre, Ben Gourion, veut faire de ce procès une leçon pour le monde et pour la jeunesse, alors que le déni, l’incompréhension ou le mépris, obscurcissent encore la mémoire collective. Les États-Unis déploient leur puissance triomphante contre la vieille Europe discréditée ; l’université américaine s’est enrichie d’une brillante communauté d’intellectuels juifs émigrés, longtemps apatrides et reconnaissants envers leur patrie d’adoption, parmi lesquels Hannah Arendt et son ami et condisciple, Hans Jonas, qui ont tous deux suivi les cours de Martin Heidegger, en Allemagne, avant la guerre, et ont dû surmonter le ralliement du maître au pouvoir nazi. Quand la philosophe des Origines du Totalitarisme propose au New Yorker de réaliser un reportage sur le procès Eichmann, tous les ingrédients sont réunis pour un retentissement médiatique considérable. Les enjeux intellectuels sont décisifs et l’émotion du grand public, assurée.
Le commandement comme loi suprême.
Mais justement, Hannah Arendt n’est pas journaliste. Margarethe Von Trotta montre avec une remarquable précision comment son analyse théorique et conceptuelle, abstraite, jugée glaciale et arrogante, va semer le trouble dans le public, mais aussi chez ses amis universitaires et israéliens. La philosophe veut comprendre : comment Eichmann, ce petit personnage sans envergure a-t-il pu jouer un rôle aussi important dans la déportation et le massacre de millions de Juifs ? Qu’est-ce que sa personnalité anodine nous apprend sur la question du Mal dans l’humanité, ce mystère insoluble qui résiste à toute spéculation métaphysique et théologique ? Dans ses travaux antérieurs, Arendt avait défini l’essence du pouvoir totalitaire comme une substitution des injonctions du Chef à la légitimité de la loi. Les ordres du commandement deviennent les lois suprêmes. La responsabilité du jugement moral et intellectuel de l’individu, en tant que sujet personnel, se trouve subordonnée à l’autorité de celui qui dirige. Eichmann, explique Arendt au grand dam de ses amis Juifs indignés, n’est pas directement un assassin, il n’est même pas vraiment antisémite : aucun motif personnel n’a décidé de son action. C’est au contraire l’annihilation de sa conscience par la volonté de se soumettre à l’autorité qui est devenue pour lui le principe suprême du devoir.
« J’ai fait mon devoir ».
Le film de Rony Brauman, Un spécialiste (1999), a rendu familières au public les images du petit homme méticuleux dans sa cage de verre. Sa défense fondée sur l’impératif kantien (« je n’ai fait que mon devoir ») est devenue célèbre. Mais le film de Von Trotta permet de mesurer le degré d’incompréhension d’un large public de l’époque, alors que la Shoah naissait à sa dimension historique et mémorielle, pour la vision qu’en donne Arendt : un clown, un personnage grotesque, qui ne fait même pas peur, et qui pour cette raison glace les sangs jusqu’à la moelle. Inutile d’être Satan pour organiser la destruction systématique de millions de personnes. Et plus grave, Arendt avance l’hypothèse que la coopération forcée des Judenrat avec les autorités nazies aurait aggravé le processus de déportation et d’extermination en le rendant plus efficace. A une époque où la recherche des responsabilités et le partage des fautes frappent tour à tour tous les acteurs de l’histoire, les analyses d’Arendt font l’effet d’un fer rouge dans des plaies encore vives. Sa distance analytique, sans compassion particulière pour le peuple juif (« je n’aime que mes amis », lui fait dire Von Trotta), construit l’idée effrayante d’une impersonnalité anonyme du Mal agissant au sein de l’humanité à travers n’importe lequel de ses membres.
Chacun, au fond de soi, est confronté à la pire des questions : qu’ai-je fait ? qu’aurais-je fait ?
Hannah Arendt, de Margarethe Von Trotta – avec Barbara Sukow, Alex Milberg…
Film franco-allemand – 2012 – 1h50.
Sortie en salle le 24 avril.
Le dossier pédagogique de Zéro de conduite.
L’Agence Zéro de conduite propose des dossiers d’accompagnement à disposition des enseignants, ainsi qu’un service d’organisation de séances scolaires et la vente de DVD avec droits d’exploitation en classe. Pour le film de M. Von Trotta, le dossier se compose d’un volet d’analyse historique, d’une partie de réflexion philosophique et d’une approche en Allemand pour les germanistes.
Des pistes de prolongement (lectures, films) sont également indiquées pour permettre d’élargir l’étude à partir de ce film.
Le site de zéro de conduite :
http://www.zerodeconduite.net/
Le dossier pédagogique téléchargeable :
Sur le site du Café
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