Par Antoine Maurice
Nous entamons ce mois-ci une série de trois rencontres avec le CEDREPS de l’AEEPS (Collectif d’étude Disciplinaire pour le Renouvellement de l’Enseignement de l’EPS). Ainsi, Georges Bonnefoy et Raymond Dhellemmes ont accepté de jouer au jeu des questions-réponses pour nous présenter leur collectif, qui vise entre autres à « rouvrir » le débat sur la construction disciplinaire en EPS. Pour cela, le collectif met l’accent sur les pratiques novatrices des enseignants, en relation avec la question de la culture des activités corporelles transmise à l’école…
Pouvons-nous revenir sur l’origine de votre collectif ?
C’est en 1993 que les membres du collectif d’animation des universités d’été, (1984 à 1993) décident de s’organiser en groupe autonome, qu’ils nomment alors Collectif d’Etude et de Réflexion sur l’Enseignement. (CEDRE). Ce groupe continue de fonctionner dans le cadre de ce qu’était alors l’association des enseignants d’EPS (AEEPS)
Il s’agissait de nous donner les moyens de prolonger une réflexion disciplinaire que le dispositif des universités d’été de l’EPS avait permis de développer de 1984 à 1993. Ce groupe s’est structuré progressivement et réorganisé à la suite du départ de Robert Mérand et de Jackie Marsenach, à l’origine de ces collectifs. Les plus anciens du CEDREPS revendiquent des filiations historiques : Stages sports collectifs de Montpellier, Rencontres de l’Education physique. Mais on peut chercher encore plus loin dans le temps : « Les stages de SCO de 1965, 1966 furent à l’origine d’un vaste mouvement qui vise, aujourd’hui encore, à concevoir et mettre en œuvre des pratiques originales des APS en milieu scolaire, à partir d’une référence aux pratiques sociales de celles-ci ».
Ces propos, datés de 1984, extraits de « Sports Co en milieu scolaire », (publication AEEPS), nous organisent encore. Ils expriment, en effet, une problématique d’ensemble qui a toujours fondé nos travaux. Celle d’un double ancrage : d’une part, une référence aux pratiques sociales des Activités Physiques, jamais remise en cause, mais particulière et signifiante, nous permettant de donner un sens et de fonder la notion de culture scolaire des APSA. D’autre part, une volonté de travailler sur les pratiques professionnelles réelles, que nous considérons comme le lieu où l’EPS se construit effectivement, et où sans doute se trouve l’EPS de demain.
Précisons également que si notre collectif s’est profondément transformé, enrichi, développé, il ne s’en reconnaît pas moins dans les ambitions, objectifs, et démarches qu’il affichait dès 1993. On les rappelle ici : favoriser et participer aux réflexions et débats professionnels sur la discipline et ses pratiques d’enseignement ; proposer des points de vue et conceptions sur la discipline et ses contenus ; proposer des outils et matériaux professionnels pour les soumettre à l’épreuve de l’usage et de la critique.
Vous insistez régulièrement sur le fait que l’Education Physique et Sportive est une discipline d’enseignement, et, en ce sens, doit transmettre des savoirs. Quelles conséquences en EPS ?
En effet, selon nous, l’EPS est certes une discipline d’enseignement qui s’appuie sur des pratiques, mais son identité est triple : à la fois discipline d’enseignement, mais aussi discipline de vie scolaire et discipline technologique. Cette dernière dimension concerne non seulement le sens des techniques corporelles accessibles à chacun, au travers des diverses formes sociales mais également, les matériels et équipements les plus actuels qui permettent leur expression. L’EPS discipline de vie scolaire contribue par les diverses animations qu’elle prend en charge (AS, options, journées sportives, fêtes diverses, organisation de séjours…), à apporter aux établissements scolaires, une “respiration”, un climat social favorable. Nous approfondirons uniquement la dimension « enseignement », dans le cadre de cet entretien aujourd’hui. Nous pensons que dans ce registre, il est des thèmes d’étude, des objets d’enseignement mal définis aujourd’hui et que nous considérons comme incontournables pour favoriser l’accès de tous les élèves à une culture corporelle. En nous appuyant sur le corpus des connaissances professionnelles accumulées depuis des décennies, sur des connaissances scientifiques (en enseignement de l’EPS, en technologie des APSA, en didactique des disciplines), nous pensons qu’il est nécessaire et possible de dépasser la conception pointilliste, exhaustive, encyclopédique voire irréaliste qui se dégage des programmes actuels ([1]). C’est dans cette optique que nos activités et nos propositions contribuent à mettre en évidence des pratiques professionnelles prometteuses, à construire des innovations pédagogiques, à les analyser, à les mettre en débat. Mais il faut d’abord opter pour cette idée de fond que l’EPS n’est pas uniquement un « espace temps scolaire » d’une pratique sportive. Faire uniquement pratiquer des sports aux élèves, n’est pas au cœur du métier d’enseignant d’EPS. Au coeur du métier d’enseignant qu’il soit d’EPS ou d’une autre discipline, est l’étude. Le nier, c’est condamner l’EPS à disparaitre.
Pour nous, l’EPS est donc un lieu d’étude qui permet d’acquérir par l’action, une culture physique et corporelle à laquelle chacun peut prétendre aujourd’hui. Contribuer à définir les contours de cette Culture Scolaire dont l’EPS serait porteuse, contribuer à identifier « ce que l’on doit exiger » de cette discipline, ou encore, préciser ce qu’il convient de proposer à l’étude des élèves en EPS, sont des questions professionnelles qui finalisent aujourd’hui les travaux de notre collectif. Nous travaillons donc à la définition et à la promotion de thèmes, d’objets d’étude et de contenus d’enseignement qui articulent les acquisitions spécifiques et ciblées des APSA programmées, les problèmes adaptifs communs que rencontrent les élèves dans des Formes de Pratiques Scolaires conçues aux dépens et par recours des APSA dites de référence, et les visées éducatives que la nation a données pour mission aux enseignants EPS, de valoriser.
C’est, par exemple, dans cette perspective que le cahier 10 a été consacré à un thème d’étude plus particulier, l’étude du « Savoir S’entraîner physiquement. » L’enseignement de ce thème doit prendre place comme une contribution singulière à une éducation à la santé. Les derniers Cahiers 11 et 12 développent également une réflexion sur la construction de la discipline EPS comme discipline scolaire : A partir de quels débats essentiels ? Comment se met-elle en texte ? En quoi les innovations des enseignants contribuent-elles à l’évolution de leur discipline ? Quelles marges nécessaires sont laissées à l’activité adaptative créatrice des enseignants pour éviter de les figer dans une posture d’applicateurs, incompatible avec leur statut dans la fonction publique ?
Votre collectif affiche une ambition militante forte à travers le désir de renouvellement disciplinaire ! C’est-à-dire ?
Que veut dire renouveler ? Renouveler quoi ? Pourquoi ? Et surtout de quoi sommes-nous insatisfaits et qui nous incite à nous orienter vers de nouvelles propositions ?
Il nous semble, en effet, que persistent des malentendus au sein même de la discipline, notamment en ce qui concerne la référence culturelle. Nous avions évoqué, pour rappel, dans le cahier du CEDRE n°4, la nécessité au regard des pratiques sociales des APSA d’un changement de cadre supposant de « faire référence » plutôt que de « faire révérence » à celles-ci. L’idée centrale est de revendiquer une part d’autonomie de la culture scolaire, et une prise de distance avec la simple reproduction dans l’école, des pratiques sociales qui lui sont extérieures. Ces dernières ne sont pas alors considérées comme des œuvres, mais comme des produits culturels sans cesse re-problématisés par les évolutions sociétales. Ce constat nous a conduits à dénoncer les « illusions » de l’EPS, une EPS malade de ses non choix. Ainsi, dans le cahier du CEDRE N°7, nous évoquions diverses difficultés que rencontrent les enseignants et ordinairement passées sous silence : le zapping des situations ; vouloir tout traiter d’une APSA en un seul cycle ; engager les élèves dans des activités d’apprentissage qui supposeraient motivation et durée alors que ces conditions n’existent pas ; penser que les acquisitions dans des situations dites « décontextualisées » (production technique favorisée par des aménagements divers), vont se réinvestir sans plus dans des situations de jeu, dite « de référence », etc.
Autre point, c’est le télescopage entre les conditions de tout ordre, imposées aux enseignants pour qu’ils «appliquent » les programmes et autres référentiels d’aujourd’hui qui pour la plupart ont été insuffisamment testés avant leur « mise sur le marché ». De ce fait, et même si la volonté de la part de l’institution de donner à l’EPS les attributs d’une discipline est louable, il y a un télescopage entre cette intention et les conditions concrètes de l’activité professionnelle des enseignants pour communiquer les contenus des programmes. Pour reprendre une formulation de PERRENOUD, nous dirions que la tension entre le curriculum formel (les programmes) et le curriculum réel s’est largement accrue ces derniers temps.
Une difficulté cette fois plus récente, porte sur le nouveau cadre disciplinaire construit progressivement et proposé par les programmes. Soyons clairs : nous pensons que sommes arrivés au bout d’une espèce de logique de construction de nos programmes. Celle des compétences (compétences aux sens divers, multiples et parfois contradictoires présentés par nos programmes aujourd’hui). De ce point de vue, cette sorte de sophistication, de « cadenassage » des programmes et des référentiels rend difficilement intelligibles, les principes sur lesquels se fonde ce que DEVELAY évoque comme une matrice disciplinaire.
Ainsi, rupture et renouvellement seraient pour nous, de proposer pour la “composante enseignement” de l’EPS, d’une part des ensembles de thèmes et d’objets d’étude incontournables issus d’une analyse didactique des spécialités, et d’autre part une progressivité qui cesserait d’être isomorphe aux formations proposées dans le milieu sportif et qui s’additionneraient au travers de ce qui est convenu d’appeler aujourd’hui « compétences attendues ». Une progressivité scolaire devrait selon nous, traduire l’intériorisation par les élèves de savoirs enseignées en EPS s’exprimant dans des contextes de plus en plus complexes (situation nommées il y a quelque temps par CARDINET “situation d’intégration”). Ces savoirs développés et précisés par niveau de classe intégreraient non seulement les maîtrises corporelle, tactique et stratégique exigibles mais également la compréhension des propriétés relationnelles, fonctionnelles et adaptatives de l’activité corporelle confrontée aux cultures des APSA.
Le projet constitutif de notre groupe propose ainsi d’alimenter par l’analyse et la théorisation de pratiques professionnelles, une réflexion dont l’ambition est de contribuer au renouvellement de l’enseignement de notre discipline à travers une approche culturelle renouvelée des APSA. Cette approche nous fit dire il y a quelque temps que les APSA (les spécialités) ne s’enseignaient pas : nous proposons aux élèves de les pratiquer sous des formes scolaires pour enseigner certaines de leurs composantes.
L’acronyme CEDREPS insiste sur la dimension « Enseignement » de l’EPS. Pouvez-vous préciser ?
Qu’entend-t-on par là ? Comme évoqué précédemment, des contenus (thèmes et objets) ; Des activités (FPS) ; des objectifs (contribuer à une culture corporelle) des modes d’intervention.
Disons le à nouveau : ancré dans la réalité des pratiques d’enseignement de l’EPS (missions, conditions effectives), le CEDREPS se propose d’approfondir les questions liées à l’existence d’objets (d’enseignement) et de thèmes (d’étude) de l’EPS aux divers niveaux scolaires. La visée est, d’envisager un enseignement de l’EPS plus efficace, correspondant à ses valeurs et ses principes, en interpellant la façon dont les autres disciplines d’enseignement se sont historiquement construites.
Objets et thèmes mis en scène au cours des leçons d’EPS permettent certes l’acquisition de compétences en plaçant les élèves sur la voie d’une transformation effective de leur activité adaptative. Mais les apprentissages en EPS sont d’autant plus effectifs qu’ils s’appuient sur une démarche sollicitant l’activité réelle de chaque élève, transformant progressivement le rapport à leur activité corporelle.
Les apprentissages ciblés, “habillés”, (Coston, Coltice, Philippon, Ubaldi, cahier du CEDRE N°6), proposés au travers des activités physiques scolaires, nous conduisent à promouvoir des formes de pratiques scolaires des spécialités physiques, sportives et artistiques au programme en EPS. Ces formes représentent le moyen pour les enseignants d’une appropriation par tous les élèves, d’éléments de cette culture, sans en perdre les significations essentielles.
Nous vous donnons rendez-vous dans le mensuel 140 pour la suite de l’entretien…
[1] Une amorce de cette approche avait été exprimée dans les programmes collège publiés entre 1996 et 1998. À l’époque, ce qui était appelé groupement d’activités correspondait plus à une problématique de ce qui était sollicité chez les élèves comme adaptation à divers environnement qu’à une “classification” d’APSA. Et ce qui était nommé “compétences propres au groupement” pouvait la plupart du temps apparaitre comme des thèmes d’enseignement. La responsabilité de choisir les APSA pertinentes pour l’étude de ces thèmes dans les contextes spécifiques de leur établissement revenait alors aux équipes d’enseignants EPS qui pouvaient s’appuyer sur des documents d’accompagnement. Cette voie féconde a été abandonnée une dizaine d’années plus tard sans évaluation qui puisse fonder cette décision
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