Par François Jarraud
« Bonne participation ». « Volontaire à l’oral ». « Il faut participer ». Ces appréciations fleurissent chaque fin de trimestre sur les bulletins remis aux élèves. Ces messages codés font partie des transmissions classiques envoyées par les professeurs à leurs élèves et aux familles. Traditionnelles sont-elles pour autant si claires ? D’ailleurs les appréciations portées sur les bulletins sont-elles toujours transparentes ? C’est la question posée par le numéro 14 de la revue « Recherches en didactiques. Les cahiers Théodile ». Yves Reuter a analysé des milliers de bulletin. Il décode pour nous ce qui se cache derrière ces appréciations et les effets qu’elles peuvent avoir sur les élèves.
D’après votre enquête, comment les enseignants définissent-ils la participation ?
Le problème c’est que c’est très difficile à définir. Elle ne l’est pas dans les textes officiels où la participation est peu présente alors qu’ils sont très sollicités par les enseignants. Du coté des enseignants c’est une chose un peu flottante, chez les élèves aussi. Ce travail s’appuie sur le master de Catherine Charlot et s’inscrit dans le cadre des recherches du laboratoire où on essaie de reprendre tous ces termes qui paraissent évidents et dont on s’aperçoit qu’ils sont finalement complexes en fait. Les textes officiels, les enseignants, les élèves peuvent leur donner des sens différents.
Une chose qui est sure c’est que le terme est lié à l’oral. Or beaucoup d’activités scolaires fondamentales sont écrites. Le terme permet donc de désigner des choses variables mais globalement c’est la participation à des interactions orales en classe dans le cadre du cours dialogué.
Quelles différences émergent entre les disciplines ?
Il y en a peu. Le mot revient plus fréquemment en français ou en langues vivantes. On le retrouve également en physique chimie mais en référence à des activités de groupe. En EPS le mot renvoie à une participation au collectif.
Evaluer la participation est-il facile et utile ?
On s’aperçoit que les enseignants sont pris dans un sorte de tension. D’un coté ils estiment que c’est un point important. De l’autre, il sont des diefficultés à l’évaluer. Finalement, en l’absence de critères fiables, c’est plus une variable d’ajustement qui étaie le bilan d’un élève de façon positive ou négative.
C’est injuste ?
La forme de ces remarques est proche de celles sur le comportement ou les traits psychologiques des élèves. Ce n’est pas facilement bien ressenti par les élèves. Ils peuvent avoir du mal à faire la part du jugement sur leur personnalité et de l’évaluation pédagogique. Les aspects négatifs de la participation sont clairs : l’élève nuit au collectif classe. Les positifs ne sont par contre jamais explicités notamment par rapport aux apprentissages.
Même en langues ?
Ce n’est pas plus explicite et critérié en langues. En fait les professeurs associent la participation à la phase initiale du cours, celle où on réactive els connaissances antérieures, et la phase finale, celle on synthétise le travail. La participation est peu sollicitée sur la phase centrale, ce qui interroge. Il y a convergence entre les enseignants et les élèves pour estimer que la participation c’est principalement répondre à la question du professeur en levant la main. Une situation très classique en fait.
Cette évaluation de la participation est-elle arbitraire ?
En l’état oui, en l’absence de critères plus précis et appropriables par les élèves.
Vous avez sollicité aussi l’avis des élèves. Qu’en pensent-ils ?
Cela reste quelque chose d’opaque pour eux. Ils retrouvent des traits génériques, par exemple la « discrétion » souvent attribuée aux filles. Pour eux, la participation c’est principalement répondre à la question du professeur en levant la main, on l’a vu. C’est aussi défini comme quelque chose d’important pour comprendre le cours. Les élèves faibles trouvent cet aspect plus important que les forts alors que paradoxalement la participation leur semble plus difficile car ils ont peur d’être ridicules. Plus on a de difficulté plus la participation semble difficile car on reste dans un système où on a peur de se tromper. Les élèves forts disent que la participation est une façon de co-construire le cours. Ils se positionnent ne partenaires de l’enseignant ce que ne font pas les faibles.
On sait que les appréciations portées sur les bulletins appartiennent à un langage codé. Quels effets leur décodage a-t-il sur les élèves ?
C’est un point encore très peu étudié. Les effets vont bien sur varier selon les élèves, en fonction de leur familiarité avec l’école.
Comment les enseignants apprennent ce langage des bulletins ?
C’est une dimension centrale du travail enseignant, comme annoter les copies. Or ça ne fait pas l’objet d’un enseignement durant leur formation. Il y a comme cela des points importants du métier que les professeurs apprennent sur le tas souvent en reproduisant ce qu’ils ont connu élèves. Souvent ils sont amenés à mettre leurs appréciations très rapidement de manière très conventionnelle. C’est une question sur laquelle j’ai commencé à travailler…
Il faut bien voir que les enseignants ne remplissent pas tous les bulletins ensemble en ayant sous les yeux le travail des autres. La saisie informatique à distance fait qu’on peut remplis ses appréciations sans savoir ce que les collègues ont inscrit. Cela a-t-il changé des choses ? J’ai étudié des milliers de bulletins et je vois que les appréciations ont peu changé avec l’informatisation. Les enseignants peuvent se positionner différemment de leurs collègues. Mais il y a aussi un effet de lissage et des constantes.
Comment expliquez-vous que le système éducatif ne réfléchisse pas à ces aspects importants de son fonctionnement ?
D’abord on a beaucoup réduit ces dernières années la formation des enseignants. La recherche de Bertrand Daunay sur les écrits professionnels des enseignants a mis à jours ainsi tout un continent de pratiques non réfléchies. Il y a comme cela des choses qui sont des évidences, sur lesquelles on ne s’interroge pas parce que quand on travaille dessus ça risquerait de complexifier la tâche et la ralentir. L’alourdissement du travail aussi incite à moins s’investir là dessus.
Quels conseils peut-on donner aux enseignants qui en ce moment finissent de remplir les livrets trimestriels ?
Ce n’est pas le rôle des chercheurs de donner des conseils. Mais, quand on écrit ces appréciations, il vaut mieux penser qu’elles peuvent avoir un impact important sur les élèves. Penser aussi que ce qui peut sembler clair pour des personnes porches de l’Ecole peut ne pas l’être pour d’autres qui n’appartiennent pas à l’univers scolaire. Il vaut donc mieux travailler sur la clarté des appréciations.
Propos recueillis par François Jarraud
On trouvera dans cette même livraison d’autres études qui collent au vécu des enseignants. Par exemple, celle de Nathalie Denizot et Béatrice Mabilon-Bonfils sur la dissertation dans les différentes disciplines ou celle de François Audigier sur les « éducations à ».
Activités disciplinaires dans le secondaire, Recherches en didactiques. Les cahiers Théodile, n°14, décembre 2012, Presses universitaires du Septentrion.
La revue
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