Par Anne Delannoy
A l’heure où la profession se questionne sur la place et la mise à disposition des ressources numériques en ligne, il nous a semblé nécessaire de faire le point sur le “social bookmarking” traduit en français par partage de signets, de favoris ou de marques-pages. Cette pratique permet de sélectionner, d’archiver et de partager des ressources. Diigo, Delicious, Pearltrees mais aussi Zotero sont des exemples de plateformes internet qui permettent ces usages, certaines comme Diigo offrent de nombreuses fonctionnalités qui les rendent très complets.
Les signets sont des pages ou des sites internet que nous souhaitons enregistrer pour pouvoir y accéder ultérieurement. Contrairement aux signets classiques enregistrés dans son navigateur ou dans l’ENT, le partage de signets en ligne offre plusieurs avantages dont le nomadisme (il est possible de consulter ses signets depuis n’importe quel poste ou appareil mobile) et le partage avec un réseau professionnel. Les plateformes de gestion de signets permettent également, outre les fonctions de base de stockage et d’organisation des signets, de les indexer (tagger), les surligner, les annoter et les partager. Certaines plateformes permettent aussi une diffusion automatique (flux RSS) et une éditorialisation des signets (listes et webslides pour Diigo).
Les avantages des plateformes de social bookmarking sont multiples ; elles sont gratuites, nomades, indexées, collaboratives, interfacées aux navigateurs (l’usage en est facilité), connectées aux réseaux sociaux.
Quels usages professionnels pour le social bookmarking ?
En tant que professionnel de la veille, le professeur documentaliste est amené à consulter une quantité d’informations très conséquente. Utiliser une plateforme de stockage de signet lui permet de gagner du temps dans l’optique d’une utilisation ultérieure de la ressource. Indexer, surligner et commenter sont trois éléments essentiels qui fondent la plus value info-documentaire de cette pratique. Indexer par tag consiste à décrire la ressource et donc à catégoriser les champs de veille, surligner constitue une première étape dans la sélection de l’information et commenter la ressource entre en jeu dans la recommandation sociale de l’information. Ces éléments sont caractéristiques de la fonction de stockage mais l’autre particularité est le partage avec la constitution d’un réseau de veille. Ces plateformes fonctionnent sur le modèle des réseaux sociaux où les usagers peuvent se suivre et collaborer sur leur thématiques de veille. Travailler avec ces outils permet d’accroître la sérendipité dans les pratiques de veille mais aussi d’accéder à des ressources du web profond. Michèle Drechsler souligne dans sa thèse l’importance de l’apprentissage par les pairs en éducation et l’émergence d’une intelligence collective.
La thèse Michèle Drechsler sur le Social bookmarking en éducation
http://eduscol.education.fr[…]outils-collaboratifs-enseignement/partage-de-signets
Peut-on envisager une utilisation pédagogique de ces outils ?
Les élèves doivent régulièrement sélectionner des corpus de ressources. L’utilisation du social bookmarking peut intervenir dans la constitution de bibliothèques virtuelles de ressources. Les signets peuvent être personnels ou partagés au sein d’un groupe d’élève. L’action d’indexer et de commenter les sources facilite l’appropriation de la ressource, l’évaluation de sa pertinence et son utilisation dans la restitution du travail. Cette pratique peut aussi être envisagée dans le cadre de recherches (SVT en 3ème, TPE, etc…) mais aussi de l’épreuve d’histoire des arts afin de constituer le suivi du parcours culturel de l’élève ou dès le lycée lors de la constitution de bibliographies. Lors d’activités de recherche d’informations se déroulant sur plusieurs séances, les enseignants peuvent suivre à distance le travail de l’élève et son choix de sources, le commenter et le questionner : le travail de la validation des sources et l’évaluation de leur pertinence en est ainsi sensiblement amélioré comme le montre l’enquête de deux professeurs documentalistes de l’académie de Toulouse. Elles ont travaillé avec ces outils en lycée et réalisé un document de réflexion sur les compétences info-documentaires en jeu.
Les usages pédagogiques du social bookmarking
http://espace-cdi.ac-toulouse.fr/spip.php?article35
Utilisation de Diigo en TPE BTS par Florence Canet
http://espace-cdi.ac-toulouse.fr/spip.php?article42
Utilisation de Delicious en TPE Lycée par Emmanuelle Mariaud
http://espace-cdi.ac-toulouse.fr/spip.php?article43
La question de l’indexation sociale ou folksonomie
La folksonomie désigne la pratique des usagers d’indexer leurs ressources internet avec leurs propres mots clés (ou tag ou étiquette). Par principe, cette classification n’a pas de norme et les mots clés sont ouverts. Cette indexation sociale s’applique bien entendu à notre sujet mais elle est avant tout symptomatique du web 2.0 et du web sémantique. A titre d’exemple, les sites communautaires tels que Flickr ou Babelio proposent des fonctionnalités basées sur l’indexation des documents. Babelio propose d’ajouter une étiquette à un ouvrage pour le décrire et de constituer des listes de livres.
Sur les plateformes de social bookmarking, les usagers décrivent les ressources pour les retrouver ultérieurement mais aussi pouvoir les partager. Pour Olivier Le Deuff, les folksonomies s’inscrivent donc dans une « redocumentarisation » où l’usager confère un sens au document, à partir de l’usage qu’il souhaite en faire. Gageons que la parution de son nouvel ouvrage, “Du tag au like” offrira une approche intéressante de ce questionnement sur l’indexation des contenus en ligne.
Dans le cas du social bookmarking, les mots clés doivent être précis et clairs et correspondre à un besoin dans le but d’une utilisation ultérieure. Ils peuvent décrire le contenu, le niveau d’utilisation, le contexte pédagogique, le support (pdf, vidéo…) mais aussi être associé à une tâche (à revoir, à commander, à diffuser…). Il sert à retrouver la bonne ressource au moment de la rédaction pour cela il convient de se fixer des règles de bonne pratique, et de les reprendre régulièrement, les simplifier et les harmoniser.
Du côté des outils…
Diigo et Delicious, deux outils aux fonctionnalités proches et à la plus-value info-documentaire réelle. Diigo est l’outil le plus complet mais aussi certainement le plus complexe si on veut pouvoir maîtriser toutes ses fonctionnalités. L’interface n’est pas très esthétique mais la palette d’utilisation est large. Il est possible de sauvegarder des pages web mais aussi des captures d’écran, image, vidéos ou pdf.
Diigo permet la création de listes thématiques c’est-à-dire d’ensemble cohérent de ressources constituant des sous-parties de bibliothèque. Par exemple une liste sur les « usages responsables d’internet » qui regrouperait l’ensemble des ressources indexées avec les mots « identité numérique », «protection des données personnelles », « paramétrage de facebook », « réseaux sociaux », traces, etc. Les ressources d’une liste peuvent être triées automatiquement ou manuellement et peuvent êtres imprimées pour former de véritables sitographies, ou être diffusées sous forme de diaporama (webslides) sur lesquels les pages internet sauvegardées apparaissent avec les commentaires et surlignages. Il est aussi possible de partager en un clic ces listes par lien, flux RSS ou sur les médias sociaux (twitter, facebook, blogs, etc…).
L’aspect social se fonde aussi sur la création d’un réseau de veille. Il est aisé de trouver des personnes ressources en synchronisant son carnet d’adresse avec l’outil ou en cherchant quelles personnes ont sauvegardé les mêmes liens que vous, ce qui peut indiquer qu’elles travaillent sur les mêmes domaines de veille. A partir de là il est possible soit de constituer des “groupes” qui vont alimenter ensemble des bibliothèques collectives, soit de s’abonner au flux RSS d’une liste ou d’un mot clé afin d’être averti de toute sauvegarde les concernant.
Delicious propose sensiblement les mêmes fonctionnalités hormis le surlignage et le diaporama.
Il est possible de synchroniser les deux outils, c’est-à-dire de sauvegarder de même temps sur les deux plateformes.
Pearltrees, un outil visuel. Pearltrees est un outil de sauvegarde et de partage de signets sous forme “d’arbre à perle” : les signets s’organisent sous forme d’arborescence, Il suffit de cliquer sur une perle pour découvrir l’ensemble d’une nouvelle carte ou au contraire la replier. Cet aspect visuel agréable et original a incité certains enseignants documentalistes à remplacer leurs portails de ressources Netvibes par des Pearltrees. Outre ce côté esthétique très attractif, l’autre point fort de Pearltrees est le partage. Il est facile de trouver des contenus proches de ses propres intérêts grâce à la fonction “découvrir des pearltrees voisins” et de les rapatrier dans son propre environnement avec la fonction “prendre ce pearltrees”. L’usager peut aussi décider de collaborer avec la fonction “faire équipe” qui permet de construire un ensemble de perles collectivement. Le point faible de l’outil est le manque d’interaction sur la ressource (pas de surlignage, les commentaires sont peu visibles et il n’est pas possible d’indexer les ressources mais juste de les associer à la façon d’une carte mentale).
Zotero, un outil spécifique. Zotero est un outil développé par et pour des chercheurs en sciences humaines et sociales. Il fonctionne en ligne et se base sur le stockage et le partage de références bibliographiques. Les références peuvent concerner des ouvrages papiers, des documents pdf ou des sites internet. Zotero permet de les collecter et de les normaliser afin de les insérer ultérieurement, dans un produit documentaire ou un mémoire Master 2 par exemple. Intégré à la barre d’outil de votre navigateur internet, il est relié à votre traitement de texte ce qui permet en un clic d’insérer une référence bibliographique ou d’éditer la bibliographie des sources du document en cours de rédaction. Zotero est un outil qui peut aisément trouver sa place dans le cadre de formations aux pratiques info-documentaires auprès des élèves de Lycée et de CPGE, qui doivent appuyer leurs travaux sur des sources et réaliser un bibliographie.
Diigo, diaporama pour se former, par Alexandre Serres, URFIST de Rennes
http://www.sites.univ-rennes2.fr/urfist/ressources/gerer-ses-signets-en-ligne-avec-diigo
Pearltrees, dossier de l’académie de Nice sur ses usages
http://www.ac-nice.fr/docazur/spip.php?article721
Zotero, un tutoriel de l’URFIST de Strasbourg sur les fonctionnalités de l’outil
http://urfist.u-strasbg.fr/uploads/Zoteromars 22012.pdf
Et en dehors des CDI ?
Des groupes de recherche, des bibliothèques, des médiathèques, des bibliothèques universitaires ont choisi de baser la communication de leurs sélections de ressources sur la diffusion plus ou moins automatisées des flux de leurs signets. Cette stratégie permet de la réactivité et du gain de temps dans la publication de l’information.
La médiathèque de Cagnes (bof)
http://www.mediatheque-cagnes.fr/opacwebaloes/index.aspx?IdPage=80
Le sociopôle, ressources francophones en sociologie
http://www.sociopole.cnrs.fr/
Les signets université
http://www.signets-universites.fr/fr/les-signets/
Une pratique à encourager chez les enseignants documentalistes
Les sites de social bookmarking sont donc à la fois des bibliothèques en ligne de favoris et des réseaux sociaux permettant d’effectuer et de partager une veille informationnelle. Dans le contexte actuel de généralisation des ressources en ligne, cette pratique professionnelle apparaît désormais comme incontournable. Son usage pédagogique est quant à lui novateur mais les compétences informationnelles qui en découlent le rendent pertinent.
Quelques ouvrages :
Tony Faragasso, « De la gestion de signets au social bookmarking : Delicious, Diigo, Zotero et quelques autres», ADBS Éditions, 2011.
Le Deuff Olivier, « Folksonomies », BBF, 2006, n° 4, p. 66-70
Le Deuff Olivier, « Du Tag au Like – La pratique des folksonomies pour améliorer ses méthodes d’organisation de l’information», FYP éditions, 2012